LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°93


Éditorial

« Or, si la vie d’Ulysse, de Télémaque et de Pénélope accepte de nouveau de prendre la peine de se conformer au temps qui passe, cela n’arrive qu’en vertu du souvenir. Et pas par hasard : si le souvenir sait libérer la vie de sa stase dans le temps, c’est parce que l’exercice du souvenir est avant tout une pratique qui sait retrouver l’unité du cours existentiel propre, contraignant le présent à tenir compte de la direction que la vie s’est choisie. Au comportement qui consiste à s’attarder dans le présent et dans sa répétitivité éternelle, le souvenir oppose une forme de temps dans laquelle une direction est marquée, le fait de procéder en raison d’un choix qui a déjà été pris depuis longtemps. » (Ithaque, enfin de Paolo Spinicci, Ed Vrin, p.24)

Mensuel nous sommes, mensuel nous restons, avec un N° 93 éclectique à souhait, nous faisant voyager du Qatar à Casablanca en passant par la Corée, entre Ensor et Kluge, entre réflexions sur l’art et images prenant l’art pour sujet, entre personnages atypiques comme Michel Giroud et découverte d’artistes inconnus comme Caroline Besse. Collaborateurs réguliers, Jae Wook Lee, Dominique Moulon et Laetitia Bischoff sont présents dans ce numéro et nous emmènent à la découverte d’univers peu connus.

Avec sa Logiconochronie XXXVII, Jean-Louis Poitevin explore la naissance du mouvement dada à travers une analyse du livre d’Hugo Ball, La fuite hors du temps, le plus mystique et le plus conscient des fondateurs de ce mouvement plus que centenaire, ce livre contient des indications d’une grande valeur sur le statut et la fonction des images et des relations entre art et magie. C’est pourquoi il continue d’influencer activement la pensée aujourd’hui.

Alexander Kluge nous fait le plaisir et l’honneur de nous confier certains de ses films pour les présenter au public français. Nous commençons ce travail de défrichage par la présentation du film Siècles Noirs : James Ensor et Alexander Kluge, qui a eu lieu à la Fondation Van Gogh d’Arles. Jean-Louis Poitevin accompagne cette présentation d’une brève analyse de la « méthode » Kluge, une approche de l’image et du texte dans le cinéma qui n’a pas son équivalent chez les réalisateurs français.

Vivant aujourd’hui à la montagne, Michel Giroud est moins facile à croiser, à voir, à entendre. Un jeune artiste, Vahan Soghomonian, a eu la bonne idée de lui rendre visite au coyotte, fondateur entre autres choses, de Kanal Magazine, revue qui défraya la chronique dans les années 80, et de laisser tourner la caméra. Bienvenue dans le monde sans frontière de cet esprit incurablement vivant.

Avec Andy Picci, nous partons à la découverte d’un travail qui se saisit d’une question que notre époque ne peut éviter de regarder en face, celle de la possibilité de s’inventer une personnalité. « Who are you ? A question that has tormented humanity since time began. A question that’s not asking you what you’re called ; what you do or what you like ; but who you are. This particular question grows ever more absurd in the era of social media. An age where everyone and everything can be fabricated. » Et celui qui ici pose cette question sait de quoi il parle, lui qui base son travail sur sa ressemblance jouée, assumée, avec Peter Doherty !

Avec son texte intitulé Turbulences et spéculation, Dominique Moulon nous fait découvrir Le Mirage Festival de Lyon, artistiquement dirigé par Jean-Emmanuel Rosnet et qui compte parmi les événements importants consacrés aux questionnements que suscitent les cultures numériques. On y découvrira donc des œuvres s’articulant, notamment, autour de la notion d’intelligence artificielle comme celles de Vincent Ciciliato, Rocio Berenguer, Thomas Garnier, ou encore Dominique Sirois et Baron Lanteigne. Et l’on verra que demain est déjà à penser en relation avec la ruine alors qu’hier peut être source d’un avenir différent.

Avec Babel de Corée, Kza Han nous entraîne dans une réflexion d’une richesse rare puisque nous voyageons entre des citations puissantes, entre autres de Kluge ou de Derrida détricotant le mythe de Babel, et la mise en perspective d’éléments de sa biographie en relation avec l’évolution de la pensée des années soixante. Elle y raconte comme elle a vécu la France d’avant 68 et d’après et comment, coréenne attirée par la pensée française, elle a su déjouer les pièges de l’embourgeoisement intellectuel pour se lier aux révoltes de cette époque incisive.

À propos de Corée, Jae Wook Lee, de passage dans son pays natal pour une exposition à laquelle il participe, revient sur la manière dont des artistes peuvent s’approprier un sujet aussi délicat que la séparation entre les deux Corée et la célèbre DMZ, zone démilitarisée devenue une oasis et un refuge sauvage pour animaux libres. « The DMZ show isn’t simple. The curators take various angles, looking at the complex nature of the DMZ. The exhibition has five subtopics, including the current and past military presence, the speculative future, soldiers’ and people’s lives, the landscape, and the bio-environment of the DMZ. » Une visite à ne pas manquer !

Avec Basculement Minéral, Jean-Louis Poitevin ouvre une porte sur l’univers mystérieux et puissant d’une artiste singulière, Caroline Besse. Elle pense et vit son corps comme émetteur-récepteur d’intensités variables. Un basculement s’opère dans sa pratique artistique lors de la découverte des minéraux broyés. Fascinantes, ses œuvres se situent hors des cases dans lesquelles en général on tente de faire entrer les pratiques artistiques. Bienvenue dans son atelier !

« Et si après tant de siècles passés à nous élever au-dessus des autres composants de ce monde, nous faisions le choix d’ouvrir notre champ culturel à d’autres individus, animaux, végétaux… si nous le rendions non-exclusif ? » Croisant la pensée de Philippe Descola, Laetitia Bischoff part à l’abordage des œuvres de Claire Morgan et celles d’Henrique Oliviera qu’elle analyse avec justesse.

Dans le cadre de nos échanges avec la revue Corridor Eléphant, nous présentons a.m.o.u.r., une série d’images d’Éric Petr. « a.m.o.u.r. serait une énorme vibration, une onde qui traverserait les galaxies et irradierait notre subconscient. » Prises à la Sainte-Baume lors de la procession de Noël, ces images montrent combien une approche « mystique » de l’image à partir de la lumière et réciproquement reste un enjeu important aujourd’hui.

Nous accueillons la suite de Dans un grain, voyage au long cours que nous propose Guillaume Dimanche à la découverte du Qatar comme on ne le montre jamais. « Sortis de la brume péninsulaire, des portraits et des fêtes de famille, des emblèmes, des corps morts. Dans cet état qui n’a pas encore 50 ans, sous un climat extrême, avec une population soumise à d’autres nations durant plus de cinq siècles, les traditions et les racines sont sources de fierté et mises en exergue. »

Nous poursuivons notre présentation du travail de Christian Globensky autour de la figure du musée telle qu’elle s’impose à nous aujourd’hui dans le monde. Car le musée est devenu un personnage de notre réalité mentale, un lieu qui porte avec lui une partie de la mutation sociétale que nous accomplissons. « C’est dire qu’il faut être de plus en plus conscient qu’un au-delà de la finitude est à portée de main. Et en déduire aussi, que toutes les salles de musée à venir, seront vécues simultanément comme la naissance et l’aboutissement d’un projet déjà achevé, résolu et autonome. » Aujourd’hui, c’est le MAMCO de Genève qui sert de point focal pour cette interrogation nécessaire.

TK-21 LaRevue
accueille son premier texte en langue arabe, une traduction réalisée par le poète marocain Boujemaa Achefri du texte que Jean-Louis Poitevin a consacré au travail de Ibn El Farouk. C’est une nouvelle occasion de redécouvrir son travail qui, à partir de la matérialité même de la gélatine, nous conduit à des univers colorés fascinants.

Pour clore ce numéro 93, nous poursuivons notre exploration de Longwy et de ses alentours en suivant les pas de Martial Verdier et Xavier Pinon qui ne cessent de s’y rendre afin d’explorer pour nous ce qu’il en est de ce coin de France désindustrialisé et des fantômes qui le hantent. « Quand quelqu’un arrive pour la première fois sur le bassin de Longwy, il peut être surpris. Il découvre une ville construite autour des usines, mais il n’y a plus d’usine. » Affaire à suivre donc ...


Photo de couverture : Longwy 40 ans déjà !

De nombreux problèmes subsistent encore pour des utilisateurs de Safari. Le mal semblant être profondément ancré chez Apple, nous vous conseillons de lire TK-21 sur Firefox ou Opéra par exemple.
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