LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue n°116


Éditorial

« Qui étaient donc ces dieux qui déplaçaient les hommes comme des robots et chantaient des épopées par leur bouche ? C’était des voix dont le discours et les instructions étaient perçus avec autant de clarté par les héros de l’Iliade que celles qu’entendent certains épileptiques ou schizophrènes, ou que les voix entendues par Jeanne d’Arc. Les dieux étaient des organisations du système nerveux central, et peuvent être considérés comme des personae dans le sens où ils présentaient une grande cohérence à travers le temps, où ils étaient des amalgames d’images parentales et admonitoires. Le dieu est une partie de l’homme, et le fait que les dieux ne s’écartent jamais des lois naturelles s’accorde tout à fait avec cette conception. »
Julian Jaynes
La naissance de la conscience dans l’effondrement de l’esprit bicaméral (p.92) Fage éditions

Ouverture

Pourquoi lire Julian Jaynes aujourd’hui ? Telle est la question que pose Jean-Louis Poitevin dans la postface à la réédition tant attendue de ce livre que les éditions Fage ont eu le courage de republier, La naissance de la conscience dans l’effondrement de l’esprit bicaméral.
Livre culte pour certains, livre majeur pour d’autres, rarement un ouvrage a permis de plonger en même temps dans l’histoire de l’humanité en déployant un champ d’explications ratioïdes au sujet des dieux et dans les profondeurs de notre psyché. Étant entendu que nous disposons toujours de deux hémisphères cérébraux distincts et complémentaires, il n’est pas aberrant de chercher à découvrir comment cette bicaméralité est encore et toujours active en chacun de nous et en quoi, quoique postmodernes, nous n’en sommes pas moins encore par bien des aspects « bicaméraux », entendons dotés d’une trame psychique préhistorique. Histoire, art, littérature permettent à cette approche de trouver sinon des preuves du moins des confirmations de sa légitimité, de sa justesse et de son inaltérable actualité.

Mots, idées, positions

Werner Lambersy nous fait l’amitié de nous offrir un nouvel inédit, un De re poetica qui nous conduit aux limites de la pensée, là où vie, mort et poésie, depuis toujours nous ont donné rendez-vous.

Clare Mary Puyfoulhoux publie la seconde partie de son texte Ostie, dans lequel elle met en scène de manière puissante les derniers moments de Pier Paolo Pasolini, réinventant pour nous la scène qui ne finit jamais, celle où « L’homme sur le sol est un corps mort. Battu à mort. »

Philosophe vénézuélien en exil à Paris, Pedro Alzuru a composé un livre à partir de réflexions sur l’esthétique et ses bords. Blocs autonomes, les parties de ce livre forment comme autant de briques d’une construction en perpétuel devenir. Xénophilie, xénophobie évoque la question de l’hospitalité, sujet cher à Jacques Derrida comme à Emmanuel Levinas ou à Edmond Jabès, en prenant pour point de départ la forme qu’a prise cette question dans l’Odyssée.

Nous poursuivons la publication de textes de Joël Roussiez proposant des analyses d’œuvres d’auteurs pour certains toujours à découvrir car éternellement méconnus. C’est pourquoi il n’est jamais trop tôt ni trop tard pour découvrir l’œuvre de Rober Walser qui dans le retrait dans lequel il a vécu n’en a pas moins œuvré à la mutation de la narration qui était en marche en cette première moitié du XXe siècle.

Avec sa Logiconochronie – LV, La photographie et la forme terminale de la conscience, Jean-Louis Poitevin poursuit son analyse de l’évolution des images dans l’histoire en évoquant, ici, la photographie et la manière dont elle se trouve embarquée dans un jeu fécond de métaphores qui nous permettent d’associer écran matériel et écran psychique, signe et représentation, image et fantasme.

Création, conception, expression

« Rien ne sort indemne du vol d’un papillon, ses répercussions sont maximales. La vie serait donc un plan de secousses bien plus que l’avènement puis la chute d’un corps. » Comme toujours, Laetitia Bischoff nous entraîne par sa prose électrique sur les voies secrètes de la compréhension des œuvres d’art, ici celles de Caroline Tapernoux.

Elizabeth Prouvost délaisse pour un temps la photographie et réalise chaque jour au moins un dessin. Elle accompagne cette production d’une méditation textuelle poétique et d’un film qui évoque son parcours, les chemins multiples de sa création et la manière qu’elle a de poursuivre en images ce qu’elle a saisi des mots écrits.

Avec Lost in the supermarket#13, Aldo Caredda poursuit ses offrandes au dieu art. En les déposant dans des endroits où les sectateurs officiels de ce dieu n’iront pas les chercher, il leur assure une pérennité secrète quoiqu’incertaine. Par ce rite à nul autre pareil, il s’affirme comme un élément essentiel de ce culte au moment où le nom du dieu s’obscurcit chaque jour un peu plus. Dans le grand escalier du Palais d’Iéna, bâtiment majestueux d’Auguste Perret, l’ascension glorieuse, la légère génuflexion et la presque palpable salutation de la tête sous un triangle magique inséminant le crâne d’une révélation muette, projettent l’offrande de la nuit de l’oubli dans la sphère incandescente de l’effacement. Reste alors à l’officiant, à sa silhouette sombre, la chance d’être accueilli un instant dans l’orbe du visible, voyageur romantique exilé dans un glacier assagi.

Nous poursuivons l’exploration des mondes qui hantent Yannick Vigouroux, inlassable producteur d’images photographiques qui, ici, viennent rendre compte de la vacance, « cet état de disponibilité permanente de l’esprit et de l’œil aux micro-événements quotidiens et qui est aussi un état de suspension de l’être… pour paradoxalement mieux le retrouver. »

Pour analyser Inside The Museum, un travail au long cours de Christian Globensky, que TK-21 LaRevue participe à faire connaître depuis longtemps, Mario Zilio le resitue dans le champ large d’interrogations vitales « sur le White Cube ou la Black Box qui ne sont jamais que des espaces tramés par une multitude de forces — matérielles, idéologiques, historiques, économiques, et bien sûr esthétiques. »

La seconde partie de l’exploration du travail du duo Hantu à travers un entretien entre Pascale Weber et Gabrielle Carron nous conduit, cette fois, sur des chemins essentiels. Ce sont en effet les deux notions de catharsis et de rituel qui sont convoquées et la complexité de la relation avec le public durant les performances qui est mise en avant.

Poésie, humour et érotisme accompagnent les photographies de François Delebecque que nous proposons dans le cadre de notre partenariat avec le magazine Corridor Elephant.

Martial Verdier poursuit la présentation de son projet « femmes sauvages », avec le §V qui a, lui aussi, été réalisé, avec la complicité de Sylvain Paris, au cœur des Ardennes de 2016 à 2017 dans le cadre de la résidence artistique Rrose Semoy.

Expositions proches et lointaines

Ubiquité, ralentissement, intimité, imagination artificielle, rêverie machinique, contact, data et visualisation, mouvement, telles sont les notions convoquées par Dominique Moulon pour rendre compte de l’exposition hybride Metamorphosis Vol.2 qui se tient au Hyundai Motorstudio de Séoul. Elle résonne pour nous sinon comme un manifeste du moins comme un précis de réflexions sur les enjeux de la création à partir de la création même d’œuvres pour l’essentiel liées aux machines, sans lesquelles rien de ce qui compose notre « aujourd’hui » n’existerait.
« Qui associe encore l’informatique à l’apparente froideur de ses composants allant du silicium aux métaux de différentes natures ? » Telle est la question que pose l’œuvre de l’artiste Frederick De Wilde et à laquelle Dominique Moulon répond.

Alexandre Curlet a été invité par la galerie GB agency pour sa première exposition personnelle intitulée Le sens du dépôt. L’espace de la galerie fait l’objet d’une entreprise poétique radicale, solaire, ante-historique et déterminée, qu’accompagne un texte de l’artiste, court et lui aussi radical.

Pour clore ce numéro, TK-21 LaRevue accueille la critique d’art et professeur de lettres Stéphanie Dulout avec deux textes relatifs à des expositions en cours à Ivry-sur-Seine et à Paris. Les deux textes ont été publiés originellement dans le magazine en ligne The Gaze of a parisienne.
L’exposition de Cat Loray à la galerie Fernand Léger d’Ivry-sur-Seine permet de prendre la mesure de la subtilité et de l’originalité de son travail plastique. « Toutes de douceur et de pureté, du fait du lissé et de la sourde blancheur de la faïence cirée utilisée, mais aussi de la simplicité et de la fluidité de leurs formes, ses installations nous conduisent à une nouvelle perception de l’espace, et par là-même, à une véritable expérience sensorielle, du flottement et de l’ondoiement — une plongée dans des mondes en suspens provoquant un salutaire effet d’apaisement… »
Suspendue à la possible réouverture des musées, l’exposition Victor Brauner nous permet une véritable redécouverte de cette figure capitale du Surréalisme et de son « monde onirique et inquiétant où les couleurs ont toujours quelque chose de crépusculaire. » Le musée d’Art moderne de Paris réédite ce geste près d’un demi-siècle après la rétrospective qui lui avait été consacrée en ce même lieu en 1972.


 


Photo de couverture : Yannick Vigouroux, Vacance

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