LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n° 55


Éditorial

« Et là, ils devraient être inculpés d’une immense quantité de crimes que je ne fais qu’énoncer d’un point de vue moral : indignité, mépris pour les citoyens, manipulations des deniers publics, combines avec les pétroliers, les industriels, les banquiers, connivence avec la mafia, haute trahison en faveur d’une grande puissance étrangère... ». Voilà ce qu’écrivait Pier Paolo Pasolini dans ses Lettres luthériennes en 1975. Le procès n’a jamais eu lieu. Il n’aura pas lieu ni là-bas, ni ici. À la place, « ILS » « nous » ont déclaré la guerre, une guerre sociale illimitée dans l’espace comme dans le temps...
Antonio Porchia, lui, remarquait : « Rien n’est pas seulement rien. C’est aussi notre prison. » Nous ne savons pas nous orienter ? Porchia disait encore : « Pour parler avec ses propres mots, il n’y a que la blessure » ou encore « La douleur ne nous suit pas, elle marche devant. » (Voix réunies, p. 68, 73, 107).
Avançons et parlons !

Dans ce Numéro 55 TK-21 LaRevue poursuit son œuvre de décryptage de la notion d’image aujourd’hui. Nous sommes piégés par la volonté de signifier, cette tendance à faire « un » quand on a affaire à une multiplicité. Et l’image « est » toujours plus et autre que « l’ Image », tant elle est multiple, dans ses formes, ses modes d’existence et de manifestation, par les strates qui la composent, mentales, psychiques, matérielles et conceptuelles.

Avec Logiconochronie VI Jean-Louis Poitevin poursuit son interrogation sur les fondements de notre « croyance en l’être » qui sert de cadre à notre pensée des images, en auscultant les Méditations métaphysiques de Descartes à partir de la querelle entre Jacques Derrida et Michel Foucault à l’époque de la parution de L’histoire de la folie à l’âge classique.

Cinéaste et peintre, Jean-Denis Bonan a eu le « privilège » de voir deux de ses œuvres absolument interdites pendant près de 45 ans. À l’occasion de la levée de l’interdit et de la sortie en DVD de ses deux films qui ne vont pas tarder à devenir culte, Tristesse des anthropophages et La femme bourreau, il nous accordé un très long entretien dont nous publions dans une réalisation d’Hervé Bernard la première partie (1/3). Cette vidéo nous permettra de découvrir une pensée en acte et un parcours hors norme.

Topographie de l’art, un lieu d’exposition parisien singulier propose la quatrième édition de « Imagetexte » une exposition composée à partir d’œuvres de huit artistes travaillant tous avec ces deux médium que sont le dessin et le texte : Clara Citron, Matthew Couper, Leila Danziger, Alan Davie, Horst Haack, Jean-Paul Marcheschi, Gilles Privé et Lidia Syroka. Jean-Louis Poitevin développe une réflexion sur les enjeux de cet incontournable combat que se livrent en nous ces deux entités à la fois matérielles et mentales que sont les mots et les images et analyse la manière dont chacun des artistes « vit » ce conflit et le transforme en œuvre.

Naufrage de Stéphane Le Mercier est une analyse transversale de nos errances mentales et de la mutation de notre sens esthétique qui se voit aujourd’hui littéralement saisi par l’actualité, ici l’image de l’enfant syrien mort échoué sur une plage à Lesbos et qui sert à la fois de référent à Ai Wei Wei comme à Gucci pour une publicité. Il met en relation ces images et la disparition de lieux d’art en France aujourd’hui, effets non collatéraux d’une politique de guerre sociale, dont celui de la Galerie du Dourven en Bretagne fermé sans sommation avec beaucoup d’autres lieux de la même région.

TK-21 LaRevue
accueille une vidéo saisissante d’une artiste coréenne vivant en France, Eun Young Lee qui expose actuellement ses œuvres à Douai. Psychanalyste, Hervé Hubert déplie dans un texte riche, les arcanes qui, entre pulsion scopique et agalma, rendent cette œuvre si fascinante.

Attentive à ce qui se passe dans le monde des revues, TK-21 LaRevue vient à la rencontre de la revue fondcommun, publiée à Marseille et qui depuis quelques années s’est imposée par sa singularité critique. Informer en « état » d’urgence, tel est le titre donné par Jean-Louis Poitevin aux pages qu’il consacre à cette incisive revue, héritière active d’une longue tradition. C’est aussi au cœur de la relation tendue entre mots et images que « travaille » cette revue.

Collaborateur régulier, artiste, écrivain et commissaire, Jae Wook Lee développe des remarques sur la notion d’objet à partir d’auteurs souvent français, comme Quentin Meillassoux, Bruno Latour ou Gilles Deleuze, ou comme Graham Harman ou Martin Heidegger. « We think, feel, and speak. Does an object also think, feel, speak, and voice its will ? This article looks at a group of philosophers who have suggested the existence of an object world through the non-anthropocentric lens beyond human comprehensions. »

Nouveau venu dans TK-21 LaRevue, Alban Lécuyer nous propose une réflexion saisissante sur le devenir de Sarajevo. Vingt ans après la fin de la guerre de Bosnie (1992-1995), Sarajevo incarne les enjeux de la ville contemporaine et nous renvoie à ces questions qui se posent aussi ailleurs : comment trouve-t-on sa place dans une société marquée par le morcellement ? Comment se projette-t-on dans l’avenir d’une ville en pleine mutation, où les images de synthèse des promoteurs immobiliers se superposent à l’épreuve du paysage urbain ?

Pol Lujan expose les 12 et 13 Mars à DiverZarts. Habitué de TK-21 LaRevue, il revient cette fois avec des images inédites autour de la croyance, des gestes qui la portent ou l’actualisent en nous et des symboles qui l’accompagnent. Un texte de Martine Catois décrypte avec précision les enjeux de l’interrogation à la fois existentielle et concrète qui parcourt ces images.

Laëtitia Bischoff revient avec Poussée intime, une réflexion nourrie sur l’art et la nature qui reconfigurent leur dialogue et qui ne sont plus l’un dans l’autre ou l’autre dans l’un, mais posés en parallèle, en une poussée miroir, de celle de la plante et de celle de l’art. Ces deux processus se scrutent, de la première graine à la fabrication d’une deuxième, de la poétique à l’esthétique, de l’inspiration à l’œil/cœur/cerveau/épiderme du spectateur.

Lim Hyun Lak est l’un des quatre artistes qui exposent dans le cadre de l’année France Corée à la Cité internationale des arts dans le cadre d’un échange organisé par l’Université de Paris I et l’Université nationale Kyungpook de Daegu. TK-21 LaRevue s’associe à ce projet en choisissant de montrer une vidéo de Lim Hyun Lak. Faites de gestes puissants, ses œuvres à l’encre se déploient aussi le long d’immenses bandes. Lorsqu’il les accroche dans un coin de musée ouvert au vent, ces longues bandes noires et translucides vibrent comme ces lignes de souvenir effacées/inscrites qui tanguent dans nos cerveaux.

Fidèle à TK-21, Joël Roussiez nous propose une de ces proses courtes dont il a le secret, une histoire d’oiseau qui nous transporte dans un doute rêvé singulier. Que les animaux s’adressent aux hommes qui en doutera, mais qu’ils puissent en être les maîtres, personne ne le croira.