mardi 23 février 2016

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Sismographe de nos croyances

Une exposition de Pol Lujan

, Martine Catois et Pol Lujan

Photographe de la rue, Pol Lujan arpente la ville et en capte ses humeurs : au milieu de la foule, dans une gare, une ruelle presque déserte, ici ou ailleurs.

En mars, Pol Lujan investit « l’Appart » de DiverZarts. Son exposition a pour titre : Croyances Photos Créalités. Elle se déploie dans la grande pièce centrale de l’appartement : sur un mur, une pyramide de photographies monte vers le plafond. Sur d’autres, quatre tirages grand format noir et blanc et un autre saturé de rouge. Et puis, il y a un écran d’où, inlassablement, surgissent d’un diaporama en boucle, de multiples figures, des personnages, des situations, des scènes qui tous nous renvoient une image diffractée de ce que nous sommes.

Gens, foules, multitudes, passions et convictions, excès ou discipline… mais aussi solitudes, abandons, exils, retranchements et disparitions : les images de Pol Lujan semblent répondre au cycle même de la vie. Issus de l’eau puis retournant à la terre, entre naissance et mort, tous ces êtres que nous sommes paraissent avoir besoin, pour poursuivre leur chemin, de « croire » en un avenir meilleur que le présent qu’ils vivent chaque jour.

Croyances Créalités : dans cet énoncé aux sonorités bizarres – où la réalité, malgré elle, semble à la fois submerger le reste et se laisser avaler par la bouche ouverte de la croyance – Pol Lujan constate que le quotidien de chacun ne peut être supporté sans une certaine croyance, qu’elle soit religieuse, sociale, politique, écologique...
Photographe de la rue, il arpente la ville et en capte les humeurs : au milieu de la foule, dans une gare, une ruelle presque déserte, ici ou ailleurs. Ce sont les gens qui l’intéressent, ceux-là même dans lesquels il se voit, lui, comme dans un miroir. Eux, c’est lui. C’est nous. Dans leurs attitudes banales comme dans leurs écarts, dans leurs sages rituels comme dans leurs folies, il décèle les gestes qui les poussent à continuer de vivre encore et encore chaque jour.

Pol Lujan est un enregistreur. La main prolongée de l’appareil, il consigne sur papier photo les informations qu’il tire de ses déambulations. Mines de renseignements, indices, anecdotes ou événements de grande envergure, ses images sont le sismographe de la vie ordinaire. Adepte du noir et blanc, il y trouve une manière efficace de sublimer l’instant. Entre lumière et ombres qui se profilent, se révèlent des morceaux de vie, des moments à la fois fugitifs et éternels, des opportunités de rencontres avec les autres.

Qu’est-ce qui pousse l’homme à rechercher le contact de ses semblables au sein d’un groupe ? Qu’est-ce qui le fait s’engager dans une démarche assez folle, voire même utopique, s’il ne se sent soutenu par les autres dans un même élan, un même espoir de rendre possible ce qui, seul, lui aurait paru insurmontable : changer les choses, se battre contre l’injustice, résister aux pressions, mais aussi accomplir des actes démesurés ou grandioses ? Les foules, c’est bien connu, sont capables des meilleurs comme des pires agissements…
Qu’est-ce qui le pousse cet homme à commettre parfois des gestes inconsidérés, irresponsables voire irréparables, envers lui-même ou les autres, sans quelque « folie » apparente ? Qu’attend-il lui-même de la vie, quitte à la risquer, à s’anéantir, à anéantir ses semblables ? Quelle motivation le pousse, quel objectif, au-delà de sa propre personne, veut-il tenter d’atteindre ? Quel idéal lointain, quel absolu, l’entraîne parfois à l’extrême ?

Dans les images qu’enregistre Pol Lujan, peuvent se discerner toutes les manifestations que l’homme invente pour s’adapter à l’existence, qu’elle soit banale ou problématique, démunie voire même critique : situations communes, actions que l’on répète quotidiennement, événements surgissant au détour d’une rue, au gré d’une déambulation.
Dans les rues passantes de la grande ville qui absorbe chacun sans possibilité d’issue, les uns se démarquent par des attitudes (harangues, gestes ou paroles outrées, vêtements criards, signes distinctifs, …) qui veulent montrer, parmi la foule des anonymes, qu’ils sont là, qu’ils existent.
D’autres au contraire se réfugient dans une retraite solitaire, à l’écart. S’isoler parmi les autres pour lire le journal ou faire une prière, cela participe-t-il d’un besoin de repli sur soi ?

Qu’attendre des nouvelles du monde si ce n’est tenter de déceler, parmi les catastrophes qui remplissent les colonnes, l’espoir d’une amélioration de la vie ? Qu’attendre de la foi, d’un au-delà promis comme possibilité de rédemption, de paradis, face à celui qu’on ne peut trouver sur terre, qui toujours nous échappe, si ce n’est poursuivre sa route grâce à la certitude d’accéder ensuite, au bout du chemin, aux cieux promis ?

De la Terre-Mère que l’on embrasse de son corps au ciel au-dessus de nos tours, de l’eau dans laquelle on baigne au feu qui nous dissout, de l’air que l’on respire au bois qui nous recouvre, on ne peut continuer d’avancer sur la route qui se déroule sous nos pas sans cette certitude que demain sera certainement plus serein, à condition que l’on y croie encore, sans cette conviction que, dans l’avenir, pour chacun, il reste encore des chances à saisir…

Après le déferlement des images sur l’écran, la pyramide de Pol Lujan nous montre-t-elle un des chemins à suivre ? Le chemin monte, certes, mais il est semé d’embûches, à l’instar de ce christ barricadé d’échafaudages et dont la voix, peut-être, ne porte plus si loin. Pourtant là-bas, tout en haut, sur le parapet du pont, un ange ? Mais le chemin qu’il emprunte ne semble pas non plus dénué de risque…

Une exposition de © Pol Lujan à l’appart DiverZarts – 12/13 Mars 2016 de 15h00 à 21h00
– CROYANCES – PHOTOS – CRÉALITÉS –
Une présentation d’Art© du photographe Pol Lujan
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