mercredi 25 mars 2015

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Photo-physique

Tissage & Perrogramme

, Chong Jae-Kyoo 정 재규 , Groupe Novembre , Martial Verdier et Olivier Perrot

La photographie est une image technique produite par un appareil photo. En ce sens elle est un rapport entre science et philosophie, entre matériel et pensée.

C’est une définition rationnelle, mais la photographie est confrontée dès l’origine à une mythologie magique, et cela depuis les camelots du Pont neuf au Moyen Âge qui montraient des revenants dans leur camera obscura, ou Della Porta au XVIe s dont les visiteurs étaient effrayés en voyant sur le mur des petits personnages se déplaçant la tête en bas et qui a été accusé de sorcellerie, jusqu’à nos écrans qui projettent des propositions ubiquistes de réalité et la confusion magique entre l’objet et son image.

« Photo-physique » désigne pour nous ici, l’action de l’homme sur « l’appareil » [1] et le dépassement de la conception indicielle de la photographie. La photo-physique, sorte de photographie adulte, est sortie du « ça a été ». Elle représente le concept de la photographie, la création de la volonté du photographe.

La photo-physique, sorte de pâte à physique, peut ainsi se passer d’appareil et le geste [2] de la photographie se retrouve en décalage avec sa forme présupposée.
Dans le cas d’Olivier Perrot ou de Chong Jae-Kyoo l’image se fait même hors de la chambre noire, camera obscura ou laboratoire. Toute la création est dans la lumière.

La photo-physique se dégage des nouveaux moyens de production, totalitaires, pour s’emparer de la représentation. L’obsolescence « programmée » de la photographie laisse progressivement place à un magma d’images, mais elle permet désormais de s’en saisir à d’autres fins.

La photo-physique met l’accent sur les aspects discrets quelquefois ignorés ou cachés de la photographie tout autant que sur les processus de création et de réception : le choix du sujet (ou de l’absence de sujet a priori) et l’editing, la sélection des images a posteriori.

Chez Chong Jae-Kyoo, ces deux étapes sont fondamentales, son travail s’appuie sur la symbolique des lieux ou des personnages. Les monuments coréens renvoient à des épisodes difficiles de l’histoire de son pays, Marcel Duchamp et Man Ray à la rupture de l’histoire de l’art et à la création libre et ironique.

Dans ses œuvres des mondes se croisent, la photo et le dessin, le papier photo et le papier kraft. Son travail de tissage est en soi une forme de méditation. Les longues heures de découpe et de montage occupent les mains et libèrent l’esprit qui reconstruit les nouvelles images avec de légères et subtiles variations. L’œuvre devient à la fois abstraction et réalité.

Olivier Perrot ne s’embarrasse pas de figuration, ses photogrammes jouent avec l’air, la lumière, le soleil. Ce sont les ombres qui dessinent. Les formes indéfinissables, ténues et subtiles qui forment ses paysages restituent la lumière. Pour aller plus loin, il préfère aujourd’hui le développement numérique au développement chimique.
Les images s’alignent en multiples pour former un horizon composé de tous les horizons, un hors-champ continu qui se répète. Ses plages sont celles des regardeurs, il nous donne les indices pour créer nos images.

En espérant apercevoir la vraie magie du monde, ils tissent, physiquement, éthiquement, métaphoriquement, le papier et la lumière.

Notes

[1Vilèm Flusser « , Pour une philosophie de la photographie, Éditions Circé, p. 252. Sur TK-21 : 252

[2Vilèm Flusser, Les Gestes, Éditions HC - D’Art, p. 407. Sur TK-21 : 407