dimanche 2 février 2020

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Manière de faire ce qui se chante encore ou la mort de Rowshan

(Ferdowsi : Livre des Rois, chant et dotâr, Rowshan Golafruz)

, Joël Roussiez

Rowshan, tu meurs dans un songe, le malheur est sur toi sans honneur. On le dit comme on peut, on l’a dit comme ce fut.

I

Je dis : il partit avec son cheval baie, ventre à terre, c’est l’expression sur les route du désert pour fuir dira-t-on loin de tout et de lui qui le poursuivait comme l’ombre poursuit l’ombre à la nuit tombante où les loups sont des chiens mais portent de fameux crocs. Je dis : il partit et la route devant lui était comme le mirage d’une piste, une rivière de poussière chanterait un poète, le cheval aveuglé en surplus du soleil, filait à l’allure des peurs et des courses de vainqueur, la route ne ménageait pas les surprises et les courbes en lacets conduisaient entre les rocs et sur les hauteurs d’Hamett d’où se découvrent les splendeurs du couchant. Un homme sur son cheval n’est pas maître de tout, sa monture est la seconde roue et sans elle point de course, on l’exprime ainsi. La route soudain comme s’enfonce un bâton mouillé dans l’eau d’un marécage, la route se retira en partie et les sables bougèrent sous la brise du soir. Je dis : il partit et il s’élança sur la route sans route aux rênes de son coursier ; le soleil tombait au bout de l’horizon et le rouge du ciel alors cramoisi s’étendait comme une nappe de sang, on le dit comme ça. Un regard, pas un, pas un seul sur la route qui disparaissait, la cavalcade fuyait devant elle avec le cavalier. Ne tire pas à gauche, ne tire pas à droite, c’est tout droit qu’il faut aller : vois le ciel et l’incendie… Dans son cœur, je le raconte, brûlait la flamme de haine et celle d’un amour et toutes deux en combat, on l’a ainsi écrit, ne se ménageaient pas. Mais la nuit lentement, sur les dunes et les ergs, la nuit avec ses yeux sans corps et son inquiétante pénombre avançait. Bientôt, on ne distinguait que les crêtes aux sables volatils et de crête en crête se faisait le chemin…

Ainsi toute la nuit, je le raconte encore, toute la nuit donc sur le cheval bientôt fourbu dansait la silhouette serrant rênes et monture dans le burnous volant, écharpe et brillance de soie sous les lueurs des astres, dira-t-on… Qu’ai-je fait, Leila qui cause mon malheur ? Qu’ai-je causé, mon frère Ali qui voulait mon bonheur ? La chanson de son crâne harcelait ses mouvements, il y eut un faux geste, une brusquerie soudaine, une violence d’éperons, une rudesse de bride ; il y eut, dit-on aussi, un caillou tranchant, une pierre pointue, il y eut du sable mou, une sorte de boue, un trou et le cheval, le cavalier, c’est tout un, tombèrent au creux d’une montagne de sable, une vallée dit-on étroite et profonde aux sables glissants, aux pentes prononcées. On l’exprime comme on peut.

Alors le drame comme une mouche s’enfonce dans le miel odorant, le drame se précipita sur les deux êtres infortunés. Il y eut tout d’abord des douleurs et deux cris, un échange de membres, un fracas de sellerie, une gesticulation désordonnée et puis une sorte de ouf, un silence sans inquiétude. L’homme jambe coincée sous le ventre dodu du cheval, l’autre pour ainsi le dire empêtrée dans le harnachement ; le burnous quoique déchiré liant quelques éléments de cheval et d’homme et tout ceci dans la nuit, sous la nuit des étoiles et pas une brise. Le cheval tenta bien des fois la relève par des assauts de forces du cou, des jambes et même de la tête accompagnant l’effort. L’homme de même tentant de désengager sa jambe à chaque sursaut et ainsi des heures et des heures… Et enfin de guerre lasse vint l’assoupissement, le repos du guerrier, l’abandon de la lutte. La lune passa au-dessus de la vallée étroite, la lune au visage blafard éclaira les choses sombres qui dormaient tout au fond et quelques hyènes alors vinrent rôder… Holà cavalier, il n’est plus temps de ne rien faire, holà cheval il est temps pour ta vie ! Alors mouvements de ressource, on les appelle ainsi, réflexes pour survivre, instincts de défense ou de conservation, le cheval le premier tenta de soulever cette outre de panse qui pèse si lourd et l’homme aidant d’un mouvement de reins, d’une secousse des deux bras, d’un coup violent sur la cuisse, l’homme se prenant au concert des forces tenta lui aussi de sauver leurs deux corps. Les hyènes n’approchent que si elles sont sûres mais les voilà si près qu’on désespère peut-être. Et il ne le faut pas, et l’homme s’y emploie et le cheval fatigué cherche les forces qui manquent. Où les trouvera-t-il ? Je le raconte plus tard…

II

Holà, holà ! La cavale ne cavale plus le cavalier non plus. Je le dis, ils partirent pourtant, de la dune se sauvèrent et comment ils parvinrent au bord du fleuve Mahad et s’y baignant tous deux, la monture et le montant, ils furent emportés sur le fleuve Mahad comme de vieux matelas s’agrippant l’un à l’autre avec le harnachement, avec le long burnous, mêlés l’un à l’autre comme les eaux le sont qui les portaient au loin, très loin dans des pays curieux où personne ne se souviendrait d’eux. Ah, ah, youp, youp, youp ! On flotte comme une éponge avec le poids lourd des vêtements, on le raconte, ce sont de vieilles algues, dit-on sur les berges où vont parfois des promeneurs et aussi des pêcheurs… Aïe, aïe, les berges sont rugueuses, on y déchire sa peau, le poète l’a chanté : comme des herses de pierres sont les rives du Mahad. Yahoup, yahoup ! La cavale, le Cavalier tous deux emportés au détour d’un méandre sur l’île Mandorh accostent fatigués, endormis ; encore bercés par les eaux, ensevelis en leurs assoupissements, a-t-on écrit, ils abordent la rive par la plage du nord, épaves de vieil arbre, paquet de branches flottantes, le sable les retient au détour d’un méandre ; les voilà, les voilà sur la rive échoués sous l’eucalyptus à l’ombre fragile. Et le ciel : pas un nuage, le soleil brûlant. J’ai mal Ali, Leila, mes pleurs, mes regrets ! Ma cavale est fourbue, je suis moulu et nous voilà tous deux, tous deux… Eh, eh, eh ! La cavale ne cavale pas plus que le Cavalier, au milieu du fleuve Mahad, je le dis, voilà tous deux arrêtés en la course fluviale. Un âne bientôt passe au-dessus sur la sente de sable parmi des herbes hautes et des joncs. Yèp, yèp, yèp ! Un homme une baguette en main est derrière, et tous deux trottent. Tous deux trottent, on les aperçoit de la plage, dit le conte, car le Cavalier s’est redressé au son des clochettes. L’âne secoue en effet un collier de dix grelots, il trotte allègrement : ohé, ohé, ohé ! C’est la voix qui revient sur le sable plus bas où tente le cavalier un effort de ses reins. La cavale, je le dis, soudain d’un effort tout pareil s’ébroue en un coup, en deux, au troisième elle se lève tout à fait. Le Cavalier, l’homme, il ouvre les yeux, un regard sur les lieux, il parcourt l’espace alentour, un âne, un homme derrière, frr, frr, se pressent : ohé ! La voix ne porte pas… Sur l’île Mandorh au bord du fleuve Mahad, bientôt ils furent d’aplomb, c’est comme ça qu’on l’exprime ; ils furent dispos, on peut le dire aussi et décidés aussi sans réfléchir beaucoup, ils avancent sur la plage, le Cavalier à pied tenant la bride de la cavale qui suit. Et l’homme avec l’âne se sont arrêtés, la cavale hennissant réveille l’attention, on se retourne, on s’aperçoit : qu’est-ce ? Qui donc ?… Le Cavalier lève le bras, agite le mouchoir de dentelle, le cheval hoche la tête. On voudrait se rejoindre mais la pente est rude, on piétine, on s’élance, l’avance est difficile. Je t’ai tendu les bras et tu n’es pas venu ; mais non bien sûr, tu n’as pu les prendre car je les tendais mal : Ali mon pauvre ami, Leila ma douce aimée, venez, je le dis, au secours du gâchis… Mais le temps passe, la montée est rude, l’âne aide à tirer, l’homme prête la main, chacun déploie ses forces, on s’entraide cordialement. Et puis voilà, il faut raconter. Que raconte l’homme, que raconte le Cavalier ? Vous êtes ici sur les lieux de Mandorh, une tente de trois ares, une tente de maître, en son milieu il s’y tient, rend la justice et régale. Je le raconte maintenant, une tente peu petite, de nombreux mâts de chênes, des cordes de chanvre de deux pouces, des ustensiles de cuivre et de bronze, une armée de chèvres, des brebis, des moutons et des vaches ; quant aux chevaux, on ne peut dire mieux ! Finesse d’encolure, museau humide, souffle profond… Et moi, je viens du fleuve, m’ai failli noyer, ma cavale et moi-même des jours dans le désert, contre les rives avons craint de mourir écharpés, brigands malfaisants et rocs éreintants : sommes ici, demandons protection. Je le dis : l’homme et lui, et le cheval et l’âne partirent sur la sente, le chemin qui serpente dans le marais peu sûr, passages étroits, vases gluantes, herbes coupantes et tous quatre marchant avec précaution sur des sortes de digues. Le ciel est clément mais le soir approche, dix kilomètres de chemins pour conduire au Bey, c’est ainsi qu’on l’appelle. Voici la tente, immense pour le logis nomade, devant sont quelques chiens et des hommes en armes. Viendrait donc le drame ici même après périple comme on finit un rêve en se levant brusquement ? Je le raconte : voici le Bey qui se présente, qu’est-cela qu’on me dérange mais c’est un homme un cavalier et sa cavale, belle cavale, harnachement solide et ouvragé ; viens homme naufragé, viens prendre le thé, parlons enfin, voici le temps de ton réconfort. Merci de ton accueil, je suis fourbu mais le cheval l’est aussi. Qu’on donne une litière, de l’avoine un peu et du fourrage beaucoup…, de l’eau, et de l’eau ! On entre sous la tente où brillent les ustensiles, où chatoient les couleurs, on le dit ainsi, c’est la chaleur des tons mêlés aux surfaces laineuses, la lourdeur des rouges mêlés aux bleus, ce sont les tapis profonds, des couvertures épaisses qui se reposent dans l’ombre de la tente au vingt pièces. Voici le repos promis et pour lit la peau de laine haute. Les bruits atténués dans la pénombre, on s’installe : qu’as-tu à dire au Bey ?

– Je dis : je suis parti, oui, j’ai fui le malheur et le bonheur également, personne derrière moi qui chercherait vengeance, dépit et chagrin m’ont mené jusqu’ici. Désert hostile, fleuve sans rive, comme qui s’accroche aux branches d’un arbre en dérive, ma route sans issue.

– Je propose donc et tu disposes, viendrais-tu jusqu’au camp de Lisaphan qui est à deux jours, là je te ferai connaître ce que je te propose ?

– Je viendrai, dit-il au Bey. On lui servit le thé et les sucreries, réconforts des fourbus, amusement de bouche… servit donc, je raconte, minces biscuits aussi, régal pour les dents, sésame des paroles. Oui, je te ferai une proposition qui te conviendra, ne suis-je pas ton ami ? Oui, puisque tu ne m’as pas tué, tu es mon ami, je viendrai au camp de Lisaphan. On lui servit, la semoule roulée, les raisins secs, les aubergines, le mouton ; on mangea avec les doigts, force graisse fut consommée, on l’exprime ainsi. Au bassin d’argent, on lava les extrémités qui servirent à manger, un poète l’a écrit, on s’allongea pour la sieste, ce fut ensuite sommeil réconfortant, le soleil au zénith déclina, le Cavalier ne se réveilla qu’à la tombée du jour. Alors, déjà tout était près pour le départ nocturne. Sa cavale harnachée, ses vêtements lavés, il remercia la jeune fille soigneuse, le jeune homme attentionné qui le pressèrent de partir, on le dit ainsi. Ils partirent bientôt, sur la rive du fleuve Mahad, ils trouvèrent des barques… La nuit, le ciel, le fleuve très tranquille, les senteurs du soir et l’humide fraîcheur, et les affairements des hommes, celui des bêtes impatientes ; la vie active et joyeuse avait quelque projet de voyage : on l’exprime ainsi… Je le dis : une fois franchi le fleuve par les barques, quelques arbres, quelques épineux en bordure de rive puis le sable, et le sable encore, voilà ce qui se présentait. Ils décrivirent une large courbe parmi les dunes et la pierraille, ils prirent le chemin du nord mais route tortueuse, il faut approcher les puits avec prudence. Une caravane de cent hommes, sur cheval ou sur des ânes, le Bey allait devant avec trois hommes liges et le Cavalier. Ils avançaient plus vite et ne se souciaient de la suite, la suite vint en drame… Je le raconte plus tard !

III

Les dunes, les dunes toujours les dunes, je le dis sans ménagement, la route était pénible et pénible les propos. Le Bey veut savoir d’Ali et Leila, l’histoire, la raison, le Cavalier s’entête : à quoi bon savoir, c’est le destin qui pousse et c’est parfois l’orgueil. On s’arrête pour manger, à la flamme d’un feu, on grille de la viande, de petits gigots d’agneaux tendres, on parle parmi les tintements des boucles de bronze. Point de grelot ici, le Bey n’est pas chez lui. Je le dis qui n’est chez soi est chez un autre, il doit le ménager, apporter des présents. Que présenteras-tu à la main du messager, Cavalier, le sais-tu ? Ta cavale vaut bon prix et ta vie ne vaut guère… ? L’humeur est belliqueuse, on ne sait pourquoi, le vent est chaud comme un souffle de braises. Il faudrait donner le cheval magnifique, deuxième doigt de ma main celui qui de deux font un, non ! Je le dis : mourir est bienvenu ! Alors le Bey : c’est bien, tu es fier et l’orgueil te sied. Je donnerai un âne de ma troupe, mais dis-moi de Leila, d’Ali qu’en est-il et pourquoi ? Ah Bey, tu me forces l’âme et le secret te hante ; tu voudrais savoir ce que je ne sais pas ; Ali, mon ami, Leila mon amante, mon bonheur, mon malheur, les voilà réunis, tous deux sur la couche, tu le veux savoir, tous deux donc amants devant moi qui surgit dans la chambre aux rideaux baissés. La pénombre n’est pas si grande qu’elle ne cache l’étreinte, on le raconte ainsi. Je ne sais ce qui naît, sentiment confus, trouble du chaud et du froid, vapeur et frisson jamais ressentis. Les embrasser, je le désire, les frapper, je le veux aussi, je reste au seuil, donne nouvelle de rien et voilà que je fuis ! Ho ! Viens cavale fière. Je fuis, je file, j’arrive jusqu’ici, Bey, ici tu vois l’homme devant toi, la cavale fourbue, l’homme fatigué, tu prends soin d’eux, les voici avec toi. Ainsi, murmure le Bey, ainsi tu n’as pris vengeance ni de l’un, ni de l’autre, on me raconte pourtant que tous deux sont morts, ils étaient mes parents, la vengeance est mon plat ! Comment faire, le dilemme est sérieux ? Peut-on croire cavalier fuyant innocent quoiqu’il y eût deux morts ? Le Bey ferme les yeux, il secoue la clochette de bois, appelle ainsi des hommes ; se retire promptement du foyer, rassemble ses cavaliers, parlemente, il y a de grands mots, certains chevaux montés se cabrent et soudain quelques uns filent. Le Bey a dit : allez prévenir que nous traversons, nous sommes prêts à payer. Que le voisin pardonne, nous contournerons ses troupeaux… Et voici que reprend la marche, les dunes et, derrière, les dunes, des dunes encore, est-ce loin, est-ce près ? Deux jours de marche, une promenade, je le chante. Cavalier t’ai-je dit, j’ai payé le passage, on ne te cherche pas, je le sais mais moi qui dois-je croire ? Bey, je te l’affirme, pas moi, ni l’épée, le sabre, le poignard, ni le foulard qui étouffe, aucun n’a pris la vie de tes parents. Vois, je pleure leur mort que je ne savais pas, j’ai perdu sans comprendre, c’est déjà bien assez ! Ils chevauchèrent encore longtemps, deux jours dans le désert hostile mais en nombre, tous, ils étaient forces et décisions, c’est ainsi qu’on l’exprime. Ils campèrent au soir non loin du puits, au puits de Moulahd, ils campèrent autour étaient les sables, dunes sur dunes, je le dis. Éh, éh, éh ! Et le vent subitement se leva, sous les couvertures, les tapis, derrière les bêtes assagies, pas de tentes arrimées, pas de cordes tendues, ni piquets enfoncés, ils attendirent que passe l’ouragan, crible des yeux, fouets et cravaches d’émeri. Chacun rumine en son camp, le Cavalier est serré de près, trois hommes forts, les gardes du Bey, sont contre lui. On te protège, on te menace, qui le sait ?... Mais je le dis, dune après dune, la tempête s’arrêta, soudain comme se perd l’élan du torrent dans les eaux du lac, les flux venteux s’évanouissent dans l’air brûlant, c’est le poète qui l’écrit : eau tranquille maintenant, mer aux vagues immobiles, les sables reposaient dans le désert assagi… Ils reprirent la route, ils partirent, avancèrent lentement, les pieds broutant souvent dans le sable crissant, les moutons et les bêtes hésitant et braillant. Allez, allez, on y sera bientôt !... Et puis vient un grand creux, un creux profond, étroit tout de sable glissant, et puis le Cavalier dedans, sa monture dessus et le sable, le sable qui coule sur lui, sur eux deux et le Bey qui regarde en haut de la colline, qui regarde et d’un geste retient ceux qui veulent descendre… C’est le drame annoncé ! Cependant : je t’ai promis un poste, Cavalier, ma promesse vaut ce que je vaux. Je suis le Bey, j’ai deux ares de tente qui en dira autant ? Trois hommes de la garde rapprochée, on les appelle ainsi, descendent dans la gorge étroite, le val malfamé, la source du malheur, trois hommes rivalisent, on le dit, d’efforts et d’efforts. On tire le Cavalier. Du sort, il s’est sorti, la cavale à sa suite qui hennit et s’ébroue. Et voici : la marche reprend son cours, ruisseau de bêtes et d’hommes, ruisseau sans rive qui s’écoule par les crêtes, se répand dans les creux et sur des veines étroites de sol dur, se resserre en file sous le soleil qui monte et monte encore. Quelle…, mais quelle fournaise ! Harassement, accablement, pas un mot, silence, bouche fermée, seules tintent parfois les boucles de métal, et les yeux brûlent, ceux des bêtes et des hommes, sous le sel des suées… Sous le sel des suées, ils grimpent lentement franchissant de fortes masses de sable, se laissant ensuite couler à leur base, une dune après l’autre avec effort et lassitude… Et puis, hop, hop, hop, voici un âne qui vient, un âne à dix grelots qui trottine vers eux. Une ânesse braie, des chevaux soufflent, des moutons bêlent et soudain se précipitent les marcheurs, c’est bientôt, on arrive : vois Cavalier voici le village, mon domaine et mes gens ! Alors le régent, on l’appelle ainsi, c’est lui qui dirige quand le Bey est absent, voici qu’il vient, belle monture, accoste le Bey : comment va-t-il, comment se portent ses proches et ses gens, le séjour à Mendorh fut-il profitable… Voici un cavalier, je veux qu’il soit régent, c’est le Bey qui le déclare sans préambule, ni remerciement... Ouh, ouh, ouh ! Voici que se préparent des colères d’outrage, on l’exprime simplement, c’est l’orgueil blessé qui aiguise son humeur et sur la meule de l’arbitraire affûte ses raisons, je le déclare savamment pour obscurcir l’affaire. Quelle affaire ? dit le Bey au régent qui s’en plaint ; oui, quelle affaire en fait, je raconte sans tarder.

IV

Le nouveau régent, et notre cavalier, je le dis nôtre car on s’attache à lui, dût s’occuper d’organiser le mouvement des troupeaux, la perception des redevances, les embauches, les mariages dont les responsabilités sont grandes. Qui s’allie avec qui, voilà une affaire sérieuse. Mais notre cavalier s’y prenait bien, il eut même compliment du Bey au sujet d’une affaire d’alliance. Isah était la fiancée, Mahmud le fiancé, tous deux seraient héritiers de grands biens, de beaucoup au-dessus des ceux du Grand Bey. On donna au père de l’une une place lointaine et très honorifique, au père de l’autre une place tout aussi favorable. Les amants ne purent se voir de longtemps, et le temps aidant… Le temps aide, voilà que nous avançons dans l’histoire de notre cavalier, de sa cavale qui dans le troupeau fut saisie par l’étalon noir, le magnifique Igradèch. Naquit une pouliche mais à qui revient-elle ? Au Cavalier, au Bey qui fait saillir ? Et l’ancien régent dans les trames et les intrigues pousse des racontars, élargit les rumeurs, favorise la jactance, on le dit comme ça. Alors sous la tente de deux ares, dans le village de Lisaphan, on entend ce qui ne s’entend pas, des bruits courent sur le Cavalier, d’où vient-il, que veut-il, à qui la pouliche de droit, plus belle, on ne vit ! Mais la vie continue, fuite devant soi, et l’histoire progresse, je le dis comme il faut. Le Cavalier s’enrichit bientôt voilà qu’il s’amourache, c’est ainsi que ce fut exprimé, de la fille du Bey qui est très belle, il faut dire ce qui est. Japha, c’est son nom, des cheveux noirs, noirs sont ses cheveux sous un léger foulard, mèches lourdes, couleuvres de jais qui s’ourlent jusqu’aux reins. Qui les a vus, a vu ce qui séduit ! Mais les yeux ! Les yeux, c’est la brûlure, escarbille de feu sous les plumes ténébreuses, regard qui égare, flèche, poignard, le Cavalier blessé, hagard, il se laissa frapper, je le dis ! … Puis l’ancien régent, cabale obscure, voyant l’intrigue qui se noue, révèle au Bey ce qui est en cours. Le Bey sait déjà, tout cela est su, c’est le piège qu’il tend, il veut voir où la traîtrise se glisse, où l’honnêteté s’affirme, il veut saisir de l’homme le déshonneur, la droiture, l’honneur ou la fourberie. Il veut saisir la manière qui distingue le vrai du faux. Je le dis sans façon : la pouliche grandit, le Cavalier au profit du Bey la cède. C’est le cadeau qui plaît, on dresse déjà la jeune jument et à la corde, elle répond docilement. Vient alors l’heure des comptes, un jour en effet, c’est le jour des comptes. Le Cavalier, et régent pour nous autres, rend ce qu’il doit rendre, partage, évalue, projette et distribue. Le Bey en est content mais survient l’intendant, il manque dix moutons et trois vaches, les comptes ne sont pas bons, un cheval en surplus a disparu. Le Bey furieux de son protégé argue qu’il conspire contre lui, sa fille, la belle Japha ne se plaint pas de lui, pourtant il lui manque de respect, l’ancien régent ne l’a-t-il pas vu lui offrir un mouchoir de dentelle ? Et ce mouchoir, aïe, aïe, aïe, à qui fut-il qui n’est plus ? Qui n’est plus : Leila, Ali, on le sait, mais à qui la dentelle ? Voici le Bey furieux, accusant l’intrigue derrière le cadeau, la pouliche nerveuse, bientôt jument fine et forte, sœur de Rakhch le cheval de Rostam. Aïe, voilà clos le débat, le mouchoir est montré, c’est celui-ci, c’est bien lui. Mais Japha n’est pas là, Bey, elle peut, elle seule, dire ce qu’il en est : un amour partagé… Un amour partagé sans le père sachant ; quel partage, quelle honte ! L’ancien régent accuse. Alors de la petite foule réunie pour juger, sort un homme pâle, un sage d’autrefois, barbe longue et cheveux épars, visages de vieillesse, parchemin de savoir ; c’est celui qui s’exprime : moi qui ai beaucoup lu et beaucoup appris… Il connaît le mouchoir, il fut celui de son ami, le vénérable Amjad en la tribu des Yaouzi au-delà du fleuve Mahad. De lui, le mouchoir parvint à son fils Ali qui le donna à Rowshan qui est ce cavalier-là, celui-là dont le père refusa la main de Leila : affront et colère sont nés de l’orgueil des pères ! Et le Bey qui est père, en sa gorge retient et la colère et le sanglot, on le dit confusément mais on chante : furieux et triste celui qui montre les dents pleure avec ses yeux ! Il s’arrache les cheveux, sort son poignard, veut fendre sa veste atteindre le cœur puis soudain se rue sur le Cavalier, le retient à la ceinture, ses muscles sont puissants, sa colère est grande, le Cavalier ne se défend pas, tu es mon père, contre toi je ne lèverai pas le bras, fais ce que tu dois ! Soudain la main, voyez la main, la main du Bey, la voilà sans force, pince brisée, griffe retirée : qu’on amène Japha, ma fille bien aimée ! Alors, je raconte, que vint fièrement la fille du grand Bey, de la tente de deux ares, elle est sortie déjà. Autour, on se déplace, place, place, le Grand Bey la réclame, elle avance parmi les siens, les ânes et les poules écartent leurs ménages, les enfants de tous âges s’inquiètent, silencieux sous les caresses, bouche bée, ils observent. Avance donc Japha, c’est elle au pied léger, le vent, une brise, un souffle dans ses vêtements, et ses yeux, soleil sur les eaux, et les sourcils, plumes de faisan noir, et ses joues, pétale de deux roses, elle avance rapidement. Le Bey : viens, approche, vois-tu celui-ci ? Il présente le Cavalier : veux-tu de lui ? Et la belle Japha, sourire inquiet – oui inquiet car qui sait ? Je le dis. Japha, perles de fins diamants entre les rubis de ses lèvres, n’ouvre la bouche que très peu sans un mot. Le Bey à son admiration, n’en attend pas davantage, il comprend. Et la petite foule retient le harcèlement de son sang, respire à peine et prépare les you-you. Mais, aïe-aïe, encore, le régent, l’ancien, ça va de soi, criaille : qu’en est-il des comptes ? Il en veut à ta fortune, Bey ! Le Bey blêmit, saisit l’ancien régent, le jette dans la foule, horreur il se relève saute sur le Cavalier, veut éteindre sa vie : ta fortune, la voici !

Qu’arriva-t-il ensuite que je n’aie pas encore dit ? Je le dis bientôt.

V

Les lignes de fins diamants s’écartent, bouche entrouverte c’est un cri qui s’élance du cœur et ne peut être retenu, Japha sous la crainte du malheur hurle soudain l’effroi qui dresse les cheveux. Aïe ! L’ancien régent, rancœur insensée, âme égarée, d’un couteau de boucher veut trancher du Cavalier la tête, d’une pauvre lame faite pour égorger, il veut ôter sa vie, c’est bien assez ! Pas de poignard, de sabre, ni d’épée : voici pour toi ! L’honneur est bafoué, passe encore la vengeance mais la bassesse déshonore le Bey qui lance alors une lame fine, lame de Tolède, flèche vive de feu, poignard qui transperce entre les omoplates du régent vicieux qui s’écroule. Boire le sang du traître même le sable s’y refuse et ce ne sont que les mouches qui pompent avidement la gelée gluante dont le rouge noircit. Je le dis, flaque noire qui tache l’endroit, personne n’y passe sans cracher ! Le Cavalier alors s’avance vers le Bey, s’agenouille à ses pieds réclame sur ses cheveux la main du père qui protège, avoue ce qu’il aime et Japha ferme deux lèvres de rubis tandis que ses yeux pleurent. L’amour fait souffrir, qui ne le sait ? Éh, éh oui, je le raconte : voici la joie ! Le Père accepte la liaison, on fera mariage grandiose et bombance de dix jours, venez mes chers enfants, embrassez votre père. Voici la mère qui pleure, et la sœur et le frère, tous embrassent chacun, on l’a ainsi décrit : et même les gens de la troupe se mêlent à la mêlée. La pouliche sera pour la fille du Bey, Japha, ainsi elle revient au Cavalier qui héritera bientôt : je suis vieux, il me faut songer à partir, dit le Bey. Le frère nullement, nullement le frère, ni la sœur ne s’en offusquent car leur revient aussi leur part, l’île de Mendorh et d’autres territoires de pâture… Ainsi s’arrange donc l’histoire, le mariage a bien lieu, on le croit, on l’a dit. Il y eut bombance de dix jours, de loin, on vint offrir des parfums, des nattes, des tapis, des chèvres aussi, des moutons et des bœufs, et puis force vaisselle d’or, d’argent et d’étain ; harnachements de Cordoue, lames de forge de Tolède, eau de rose de Konya, de Cappadoce, on porta des fruits et le guano de pigeon ; quelques chameaux déblatérèrent, ceux de l’homme riche, oncle de Japha qui venait de loin, d’un pays qu’on rencontre à la remonte du fleuve Mahad sur la droite dans les vallées sèches mais riches de sels et de pierres remarquables. Père de Laila, c’était lui, du fils de son frère, c’était l’oncle d’Ali… Wouip, wouip, de l’une, parent de première ligne, de l’autre de seconde. Il voit le Cavalier, ne le reconnaît, félicite le garçon, félicite sa nièce, félicite l’un et l’autre et leur trouve bonne mine, sans façon est l’homme riche des vallées sèches, sans apprêt, c’est un homme fort et simple, on le décrit ainsi. Voici donc, je le dis, la nuit première de la fête, celle qui unira les corps. Tard, très tard s’épuisent les chansons et les plats, tard, très tard les amants épuisés vont au lit sous un dais de fleurs et de lin. L’amour est consommé dès cette première nuit. Le bonheur pétille derrière les yeux cernés. On recommence, aux lendemains qui chantent, on exprime sa joie ! Le rossignol, la fauvette chantent, les lourdes têtes des palmiers dansent, sous le soleil clément les tables sont remises, les gâteaux, les gigots reviennent. À dix jours, le vieil oncle déclare : maintenant il faut reprendre la tâche, je vais rentrer. On se quitte, le dire ainsi est exact. Embrassades cependant, pleurs parfois : quand donc nous reverrons-nous ? Le Bey en fait la demande. Tu me l’enverras, répond le frère de sa femme, l’oncle de Japha, Japha, perles de nacre, regard adamantin… Il lui serait, oui, il lui serait agréable de la voir chez lui, avec celui-ci, ce neveu, mari de sa nièce : que dieu les ait en sa clémence ! Et il s’en va, il s’en va l’Oncle bienheureux, il regagne par le désert son lieu, son endroit de terres sèches mais prodigues, c’est ainsi qu’on l’a décrit. Il est accompagné d’un unique serviteur, on ne l’a pas dit, ils chevauchent de concert avec prudence, les dunes sont les dunes, ici était le chemin des caravanes, le voici disparu, un autre est né. Ils chevauchent et soudain, voici qu’ils découvrent entre deux dunes resserrées, deux dunes hautes et rapprochées, rares dunes qui se suivent et laissent entre leurs flancs une vallée, une crevasse profonde, on peut le dire ainsi ; ils découvrent donc une cavale sur le flanc couchée et sans vie semble-t-il et la montant encore coincé, le cavalier par son burnous mêlé aux harnais de cuir : un harnachement précieux, déclare le serviteur. Le serviteur propose, l’Oncle dispose, propose le serviteur de descendre, d’y prendre la bride, le mors, les rênes, les étriers, les étrivières, la sous-ventrière, et la selle, les quartiers s’il se peut ! Le burnous ? Le burnous, tu n’y penses pas ! L’Oncle s’en offusque, existe-t-il un honneur pour le voleur ? Quoiqu’il en soit, je le dis comme ça vient, le serviteur descend prend ce qu’il peut, l’Oncle s’est éloigné maussade, maussade on le dit, car il faut bien faire le feu du bois qui se présente. Qui passe à côté du butin, peut-il être respecté ? L’Oncle, à l’ombre de sa monture, accepte l’occasion. Le serviteur montre bientôt les pièces de harnais. Quel est ce sigle déjà vu, à qui appartient-il ? Ah mais, à qui donc, l’Oncle a pris de l’âge, il s’en rend compte, il le regrette, mais à qui donc ce sceau ? On chevauche vers chez soi, la route est longe et pénible après les sables, c’est la pierre. Yep, yep ! Il faut encourager les bêtes, on cavale tant bien que mal, voici le lit d’un oued, caillasse et galets font trébucher, l’Oncle tombe soudain et il saigne au front, le serviteur veut essuyer le sang : ôte-toi, ôte te dis-je, ne suis-je pas le père ? Où est donc ma fille, Leila que je n’ai protégée ? Un homme l’aurait égorgée, cela se peut-il ? Qui l’a vu ? Et l’Oncle se lamente en essuyant son front. Il se redresse soudain, soudain, cela lui revient d’un homme, un cavalier avec belle cavale on l’appelait, comment donc qu’on l’appelait, peux-tu le dire ? Rowshan, c’était son nom ; Rowshan, un bel homme, n’était-ce pas son ami ? Oui, son ami c’était, le serviteur confirme et l’homme, père de Leila, s’étonne assis dans le lit asséché : qu’est-il devenu ? On ne sait !... Bientôt maître et serviteur, chevauchent à nouveau, voici la vallée sèche et les falaises qui la bordent, sinueux est le chemin qui contourne les vieux rocs, mille ans peut-être qu’ils sont là ! L’Oncle s’en soucie : où serais-je bientôt ? Et puis ça lui revient, Rowshan et sa cavale, belle bête ; les sigles, les poinçons, le décor de la selle, oui, c’est bien ça, c’est bien eux. Montre voir ce que c’est ? On s’arrête, on déballe et voilà, c’est bien ça : la bride, les étrivières, la selle, les étriers et voici le R de son nom ! Le conte raconte ceci, je le dis : … Un cavalier partit, puis dans la crevasse de sable coincé sous la cavale, tous deux se débattaient contre l’ensevelissement puis de guerre lasse abandonnant la lutte, dormant et donc rêvant. Il partit et la route devant lui était comme le mirage d’une piste, un cavalier fuyait, franchissant le désert, nageant dans le fleuve Mahad, comme une éponge lourde dérivant jusqu’à l’île Mehrod où le sauva un homme qui avait un âne et le conduisit au Bey qui l’éleva au grade de régent, le maria à sa fille mais l’Oncle le reconnut comme celui qui avait fui Leila, sa fille ; et peut-être, il faut que ce soit éclairci, avait, est-ce possible, tué celle-ci. Aïe, aïe, aïe que ma tête est confuse, je dis : mais encore qu’en est-il d’Ali ? Ali et Leila tous deux enlacés sur le lit, le sommeil les a pris, Rowshan tardait à venir, il faisait chaud, tous deux s’endormirent et les corps ? Les corps, inspirant, expirant, choses vivantes l’une vers l’autre dans la nuit du sommeil et les brumes des rêves, l’un vers l’autre se mêlant, c’est ainsi qu’on le dit… Dunes sur dunes dans la fuite, la crevasse insurmontable et les deux, cavale et cavalier ensevelis, je ne l’ajoute pas, c’est ainsi, les paroles glissent, les paroles fuient, les paroles se mêlent l’une à l’autre : le Cavalier s’en sort, de la fille du Bey le voilà mari mais l’Oncle devine que c’est lui, que pourrait-il s’ensuivre ?

Comme on finit un rêve en se levant brusquement, dans la crevasse on s’ébroue, on sort du piège, on se secoue et la course reprend, cavalcade éperdue que ne ronge aucun frein, on le dit de cette manière, cavalcade que rien ne retient donc, toute à la fuite étourdie et confuse sans plus d’amour, ni de haine ! Hé, hé, hé ! Des talons s’agace la cavale, du lointain se brouille le regard, toujours devant, l’étendue des sables et puis un cavalier, ombre que les vapeurs mollissent, je le dis ainsi : apparition, miracle ou destin, c’est Ali qui se presse, bientôt il est sur lui, moins fatigué, il rattrape l’ami qui veut fuir : loin de moi ami, amant de Leila, je ne veux plus de toi, laisse courir mon cheval. Ali par la bride retient la cavale qui docile à la main amicale marche doucement, les deux hommes sont proches : qu’y a-t-il, qu’as-tu ? Leila et toi enlacés sur le lit, crois-tu que je n’ai rien vu ? Ah, l’ami, ah mon bon, ce ne sont qu’amicale tendresse, point d’amour je le jure. Tu le jures ? Oui ! Alors tous deux en compagnie, ils gagnent le chemin du retour, Leila par ici ou là, elle attend, voit venir la paire, deux amis de toujours, et son sourire, rubis et diamants, s’élargit mais alors… Alors, écoutez bien, alors vint sur la droite une bande de pillards Houkruz, sabre en main et violence surgie, renoncerait-on au butin qu’on peut prendre facilement. Une femme et deux hommes ce n’est rien, on file, on saute, on cravache les cavales et c’est la course ! Hou, hou, hou, je le chante : c’est la course éreintante, sauve qui peut, chacun roule pour sa vie, n’en est-il pas toujours ainsi ? Leila prise en chasse mais les deux hommes ses amis, les deux hommes, leurs vies sans elle ne les tente plus. Voilà l’appât, voici le gibier, deux hommes à fine monture, richesse dans les ceintures, harnais de luxe, selle kirghize. Soudain, oui soudain il faut le dire ainsi, la surprise est stupeur, un homme, malfrat maudit, homme harcelant la vertu, immonde créature soudain sur les épaules de Leila d’un bond se jette. Elle tombe dans la poussière, se démène, l’homme dessus déjà, l’homme sans honneur, voleur d’hymen et les deux cavaliers harcelés derrière à leur tour tourmentés, on lance contre eux, il faut le croire, un léopard et un lion toutes deux bêtes féroces. Que faire, il n’y a pas de chance, il faut fuir ou mourir. Ali guerrier véloce sur le léopard qu’il blesse mais à son tour ce dernier, voyez comme on l’exprime, la bataille est complexe, ce dernier mord, crocs puissants dans la jambe plantés. Et tombe le cavalier, et le Lion s’entremêle bientôt, à coups de dents se déchire la chair que les fauves se disputent. Voici Rowshan qui survient, il voit le drame, le tragique l’atteint, ah, les pleurs, il en faudrait mais il n’est plus temps, il faut fuir, Rowshan fuit, tu es seul, il y va de ta vie ! Je le dis, je le chante, le malheur est sur lui, point d’honneur dans la fuite, qu’en est-il de l’amante ? Les chiens, les fennecs et les hyènes… Oui, c’est cela que rumine dans sa crevasse le Cavalier Rowshan tandis qu’avec sa cavale, il faiblit et s’endort quand le rêve s’empare de son âme …

Rowshan, tu meurs dans un songe, le malheur est sur toi sans honneur. On le dit comme on peut, on l’a dit comme ce fut.