mardi 30 novembre 2021

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Lieux d’être

Des tableaux de rêve dans les profondeurs de la réminiscence

, Hélène Milakis et Marie Deparis-Yafil

Enfant, C’est avec les mains dans la glaise que j’ai commencé. Aujourd’hui, une large brosse balaye la surface, c’est avec énergie que je me lance dans l’ouvrage. Mon geste accompagne ma pensée, les deux se déroulent sur le support pour ne plus faire que lignes et formes avec peu de couleurs. Il y a parfois le collage, la craie, l’encre qui interviennent pour soutenir et appuyer mon propos dans cet espace où je crée, la toile. Je me laisse porter par mon imaginaire, ma mémoire et me nourris de ce qui m’entoure, de ce qui me touche et me saute aux yeux. Un ensemble apparaît petit à petit, ce n’est plus moi qui décide mais la peinture.

Du souvenir au « ressouvenir », il n’y a qu’une plongée dans les profondeurs de l’âme que l’artiste, sans en avoir toujours la claire conscience, laisse ressurgir à la surface de ses toiles. Souvent dit-elle, il s’agit de se laisser porter par ce qui advient, de se laisser guider par cette inspiration, ce surgissement des images, qu’elle ne maîtrise pas toujours. Ainsi subsiste-t-il toujours un mystère indépassable, s’il n’était que, comme le souffle Platon par la voix de Socrate, le mystère des formes qu’elle peint ne soit que l’éveil d’images latentes qu’elle porte en elle, depuis toujours et au-delà.

« Ainsi, immortelle et maintes fois renaissante l’âme a tout vu tant ici-bas que dans l’Hadès, et il n’est rien qu’elle n’ait appris ; aussi n’y a-t-il rien d’étonnant à ce que, sur la vertu et sur le reste, elle soit capable de se ressouvenir de ce qu’elle a su antérieurement » (Ménon 81b)

Hippothese, 2021,
210x780 cm, acrylique et collage sur toile libre

Peut-être a-t-elle déjà vu la force tranquille de l’animal, la beauté antique des statues grecques et la puissance mythique de Minotaure, elle, que les origines ancrent dans ce pays, cette histoire, cette culture, sans y avoir jamais vraiment vécu. D’où lui viendrait sinon le surgissement du Taureau de Minos dans la bien nommée série une autre histoire (2018), ces paysages de ruines antiques qui peuplent ses fonds de tableaux, et dont le sens dépasse probablement le simple clin d’œil à la tradition picturale ruiniste, ou encore ces corps masculins tronqués de leur tête, que l’on retrouve dans son œuvre de manière récurrente, massifs et mystérieux, rouge comme un argile ou un corps irrigué, vivant donc mais évoquant sans ambiguïté quelque chose de la statuaire grecque ?

La réminiscence, puisque c’est à cette hypothèse que nous souscrivons ici : une séduisante conjecture qui ne trouble pas tant le besoin de croire en la magie, et en la profonde poésie de l’inspiration.

Lieux d’être, 2020,
acrylique, fusain et collage sur toile, 114x162 cm

Au hasard du destin la sensation du paysages

Récemment, pendant la pandémie, Hélène Milakis a entrepris un virage significatif dans son travail.

Cela commence avec la redécouverte d’une photo de sa sœur, enfant, et, sans qu’elle sache vraiment pourquoi, ce cliché sorti du tiroir et ressurgi du passé agit comme un déclic.

Dès lors, l’artiste réintroduit la figure humaine dans son travail au travers de cette image de petite fille toujours positionnée de la même manière, de trois quarts, tenant dans ses mains un oiseau au destin tragique, comme une sorte d’Ananké (déesse de la destinée, de la fatalité) moderne, et qui constitue peut-être, a posteriori, une des clés du travail de Milakis. Plus tard, dans cette série intitulée Lieux d’êtres, l’oiseau disparaît, mais autre chose ressurgit.

Lieux d’être, 2021,
acrylique et collage sur toile, 146x89 cm

Car sans autre transition, l’artiste ouvre sa gamme chromatique à une palette de verts et de bleus peu usités jusqu’alors. Depuis toujours, elle avait privilégié une palette qu’elle définit elle-même comme sommaire, composée de tons rompus ou rabattus de noir, avec parfois une pointe acide. Cette échappée chromatique semble symboliquement signaler une ouverture plus globale de sa peinture vers un extérieur nouveau.

Sans arguer d’une peinture de plein air, on en est loin, Hélène Milakis semble ouvrir portes et fenêtres, offrir et s’offrir une forme de respiration et une sensation nouvelle, quelque chose comme une sensation de paysage.

Ce faisant la peinture à venir d’Hélène Milakis pourrait alors prendre le parti d’une réconciliation, de la pose et du mouvement, des figures humaines et animales, du dedans et du dehors, du mystère et du réel, du passé et du présent, de la tragédie et du bonheur.

Extrait de la préface du catalogue Lieux d’êtres (Ed la fabrique de la Cendronne)

Une autre histoire, 2020,
acrylique et collage sur toile, 114x162 cm

Lieux d’êtres
Exposition du 22 au 30 octobre 2021
De 12h à 19h sauf le lundi
Vernissage et signature à l’occasion de la sortie d‘une monographie
Le samedi 23 octobre de 18h à 21h
22, rue du Cloître Saint-Merri 75004 Paris

Frontispice : Dès regards, 2021, acrylique sur toile, 27x35cm.