mercredi 1er novembre 2023

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Le rapport au néant et au vide (I/II)

dans l’art moderne et contemporain occidental

, Christian Ruby

Cette brève esquisse philosophico-esthétique se propose, en deux parties, d’analyser comment des œuvres d’art posent le problème du néant et du vide sur lesquels repose l’existence humaine, et forgent la figuration destinée à aider les humains à symboliser l’abîme dans des formes qui ne soient pas indignes de leur condition.

Sur le rapport au néant et au vide dans l’art moderne et contemporain occidental

Première partie

L’objet de cette esquisse n’est pas le vide technique destiné à produire des œuvres plutôt figuratives et classiques, puisque la sculpture et l’architecture contemporaines ne fonctionnent plus ainsi ; elles façonnent plutôt le vide ou l’exposent, voire en jouent avec bonheur. Ce type de vide (technique), sur lequel nous reviendrons tout de même en deuxième partie de ce texte, consiste en général à creuser une matière afin de créer une sculpture ou à délimiter un volume par des murs aux fins d’aménagement architectural.
Son objet vise plutôt l’analyse du lien entre l’abîme – au sens propre d’un fond morbide intangible (du Grec A-bussos, le sans limite, en Allemand Abgrund ou en Anglais Abyss) ou de néant – et les formes symboliques construites par l’humanité afin de surmonter la confrontation directe avec lui, cet abîme inappropriable duquel surgit et auquel retourne inéluctablement le vivant. La figure principale de ce lien est celle du « vide » et des limites qui le définissent à chaque fois (le lieu où l’on n’entre pas, le vide de ceci ou cela, ce qui n’a pas encore eu lieu…), accompagné des termes accolés : vanité, vacuité, évidemment, évanouissement, inanité, etc. Ces figures symboliques n’ont pas de réalité substantielle mais seulement une efficacité comme prétention à véhiculer une vérité quoique restreinte, limitée à un moment d’un temps historique relatif à un espace politique. Elles ont pour fonction de présenter des « solutions » à l’absence terrorisante de commencement, au pourquoi de la vie et de la mort. Elles consistent à produire des références stables, voire des modèles d’états d’âme susceptibles d’être substituées à l’abîme/néant, ou des pensées concrètes soulageant l’existence humaine.
Ces figures sont de deux sortes. Le plus souvent elles disposent du sacré ou des absolus afin de surmonter l’angoisse du terme ou de l’absence : Dieu, Être, Cosmos, Nature, Tradition, Histoire, État, Moi, Transhumain..., lesquels se critiquent eux-mêmes, en outre de leur fragilité due à leur mise en œuvre par des histoires différentes. Ces figures ont pour propriété d’opposer alors le vide et le plein de façon manichéenne, en substitut du néant. Néanmoins, parfois, elles font droit à une positivité du vide à affronter en reconnaissant sa nécessité dans le mouvement universel, physique et historique.
C’est ce fil conducteur que nous suivons dans cette esquisse. Elle interroge cette dimension de l’existence individuelle et collective sur laquelle reposent les règles de vie et de pensée dont les humains se dotent en renonçant à d’autres, dans sa traduction dans des formes plastiques, dont l’image de l’œuvre de Caspar David Friedrich (Der Mönch am Meer, 1808) ouvrant cette première partie est un bon exemple. Encore une telle option est-elle étudiée ici dans son aspect occidental. Non pour en écarter l’art « oriental » ou l’art bouddhiste, par exemple – qui pratiquent le « chemin du vide » –, voire la peinture musulmane et son horreur du vide, par un quelconque présupposé de supériorité. Cette option relève de la décision de ne pas parler à la place « des autres » – il existe d’excellents spécialistes de ces questions impliquant d’autres cultures –, laquelle reconnaît toutefois que des objets et des œuvres d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine ont pris rang dans l’art d’exposition européen, même si par ailleurs il conviendrait d’éviter l’uniformité accolée à ces géographies qui nous condamnent en fin de compte à ne rien percevoir des différentes significations internes à ces continents.
D’emblée, deux références contemporaines, dans des pratiques artistiques différentes, permettent d’approcher cet objet (le rapport abîme ou néant et vide) concrètement.
En premier lieu, le travail de l’artiste Daniel Firman, Excentrique, 2003-2004. Cette œuvre en plâtre, filasse, acier, peinture, cuir et textile, est construite autour de l’esquisse d’un carré central en mode d’approche esthétique du vide. Ici (musée de Nantes), elle est de surcroît placée dans une salle vidée d’autre contenu mais ouverte par des Vedute carrées évidées dans les murs, comme si le regardeur était appelé à passer d’un vide esthétique à des vides techniques et retour.

Daniel Firman

En second lieu, peut-être que Asteroid City, ce film du réalisateur Wes Anderson (2023) sur le deuil, peut aider aussi à approcher la question. Le film n’a de cesse de s’épancher autour de l’affrontement avec son sujet principal : la peur de la mort, du néant et de l’infini. Rassemblés dans une ville fictive du désert à la lisière du Nevada et de l’Arizona, les personnages se concentrent sur l’observation de la voûte infinie du ciel, oubliant leur condition qui, elle, ne l’est pas. Une critique, Raphaëlle Pireyre (AOC, mardi 20 juin), le relie au « divertissement » dans son acception pascalienne : « tout le malheur de l’homme vient de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre ». On pourrait également référer à Le ciel rouge de Christian Petzold.
Partons de là afin d’éclairer cet objet : le rapport de l’abîme/néant (infini) et du vide (fini) dans les arts, à raison de distinguer le vide technique et le vide-plein symbolique, et en ce dernier, le vide consolateur et le vide potentialité d’opérations.

La pathétique du « vide »

Cette idée de et la réalité du vide symbolique meublent la réflexion, la sensibilité et l’imaginaire humains. Qu’il s’agisse des rapports du vide et de la nature en physique, d’Aristote à l’énergie qui dissout le vide dans la physique quantique ; des philosophes se querellant autour de l’existence ou non du vide en physique ou de l’absence/présence d’un principe premier ; des ethnologues qui témoignent de la divergence des cultures sur ces points (Inde, Amazonie, Afrique, Europe) ; des sociologues qui condamnent la consommation et les médias pour avoir fabriqué des « sociétés du vide », et dénoncent ce règne du vide réduisant le collectif à néant au profit de l’individualisme ; des exorcistes de l’ennui appelant chacune et chacun à faire le vide en soi afin d’atteindre la sérénité intérieure (et pour lesquels le vide ferait donc du bien) ; ou des effets d’angoisse suscités par la rencontre du vide dans un parcours de montagne, le rapport au vide – mis en scène dansé par Trisha Brown dans Man walking down the side of a building, 1970 –, s’il demeure souvent confus quant à la différence entre abîme/néant et vide, ne cesse de pousser les humains à broder des considérations collectives ou individuelles sur leur existence. Par exemple, celles que nous fait approcher l’œuvre de William Turner proposée ci-dessous et commentée en ce sens par John Ruskin, dans Turner (Strasbourg, L’Atelier contemporain, 2023).

William Turner, Le pont du diable au Saint Gothard
1803 1804

Au demeurant, ne doit-on pas se défier, dans les conversations banales, les repas de famille et les sites internet, des usages premiers de cette catégorie de vide, parce qu’elle est presque toujours reconduite à un déficit ou une cruelle absence dont on voudrait se défaire : « le réservoir est vide », « sa mort laisse un vide », le « vide de l’existence », « le lit est vide » dit Sophie Calle, en avril 1970, cherchant alors « les dormeurs du jour ». Aussi, tantôt le vide est-il comblé par du « ressenti », ce verbe substantivé ; le problème étant qu’en lui donnant la fonction d’un « plein », ce dernier est réduit à ce mysticisme qui proclame l’existence d’un pur caractère ineffable envahissant un sujet, en l’opposant à l’impassibilité de la pensée, alors que ce « ressenti » est subordonné à une forme sociale de saisie du monde. Tantôt il est expulsé (ainsi que la conscience du vide) par des institutions prônant l’existence d’une présence supérieure pleine et effective – promesse d’un bonheur supportable ou simple promesse de bonheur, salut dans une éternité possible sans être importuné par une fragilité, vide mystique de Saint-Jean-de-la-Croix, et ainsi de suite. C’est même cela, qu’en dernier recours, les religions opèrent fort bien en promettant de combler tant l’angoisse que ce vide. Alors il est mué en caractéristique du diable dont on devrait saisir l’opération dans le méditant qui réussit à se défaire du démon pour laisser place à la présence de Dieu ; ce que montre fort bien Frédérick Tristan, dans Les Tentations (de Jérôme Bosch à Salvador Dali) (Strasbourg, L’Atelier contemporain, 2023), dans son commentaire de la Vie de saint Antoine. Ces usages constituent surtout une manière d’affirmer que le vide n’est rien d’avantageux, qu’il est passif et pesant, qu’on ne lui doit aucune créativité.
En ce sens, effectivement, de nombreux discours moraux, religieux et politiques s’alignent sur des aspirations manichéennes à la liquidation de tout vide. Ils reconduisent même, comme ce fut signalé ci-dessus, des comportements sociaux d’ennui, d’addiction, de désenchantement, de désengagement et d’asepsie à des situations de vide désastreuses. Qu’il s’agisse des enfants (enquête européenne datant de 2012) ou des adultes, et même si les raisons diffèrent, ils parlent d’insatisfaction, de frustration, de ressentiment qui domineraient les esprits au point de les vouer à une perte due à ce vide. Ce n’est pas tant la situation matérielle qui est visée, que « l’esprit du temps » qui se diluerait dans un affreux cauchemar, alors qu’il pourrait s’agir d’un mécontentement diffus. On ne saurait négliger le détour littéraire qui serait aussi nécessaire ici, puisque la question du vide existentiel y est abondamment traitée, par exemple chez Joseph Roth (Le miroir aveugle, 1925, Paris, Rivages poche, 2023, p. 81) ou Robert Musil, Les désarrois de l’élève Törless (1957, Paris, Seuil, 1960).
Leur aversion à son endroit produit de violentes réactions. La principale vise à conjurer le vide ainsi déterminé par des discours dramatisants, afin d’encourager à lui substituer, par des résolutions définitives, des orientations abstraites vers des valeurs fixes, des fusions définitives et de fermes mises en scène morales et politiques susceptibles de produire – par répression ou adhésion – ce plein ou cette présence qui fonctionnerait alors comme une délivrance. Surtout quelque chose plutôt que « rien » ! De la consommation ou surconsommation plutôt que de la réflexion. L’artiste Barbara Kruger en fait un slogan critique : « J’achète donc je suis » (I shop Therefore I am).

Barbara Kruger, Untitled (I shop therefore I am),
sérigraphie sur vinlyle

Comme si ces instaurations normatives, consolatrices et souvent standardisées, toujours de surplomb n’étaient pas plus vidées encore de toute vitalité, et chargées de violences, selon la démonstration déjà ancienne des artistes du groupe Les Malassis, à Grenoble, dans les années 1970.

Les Malassis, Variation sur le Radeau de la Méduse
1975 Grenoble

Des confusions

Partant de là, la question se pose de savoir s’il n’est pas plutôt envisageable a contrario non seulement de conférer au vide une figure positive, active et créatrice, mais encore de penser l’efficace de cette figure symbolique en potentiel de transformation. Des pratiques artistiques contemporaines y appellent en effet, elles qui, après avoir rompu avec la surface écran du tableau et fermé la fenêtre ouverte sur la nature de la peinture perspectiviste, célèbrent le vide en lui conférant une teneur finie plus légitime et, en première instance, une fonction potentielle de déplacement des situations et des présuppositions notamment. Si la sculpture, la nature morte, la musique par le silence, et l’architecture, pour nous borner pour l’heure à ces références, font du vide une fonction essentielle de leurs pratiques et non plus de leurs techniques, ces pratiques contribuent aussi à élaborer la figure de contours qui ouvriraient au rapport abîme ou néant/vide des avenirs inconnus mais pas nécessairement aventureux, ainsi que le soulignent Walter Benjamin, dans « Le caractère destructeur » (1931, in Œuvres II, Paris, Gallimard, 2000, p. 330-332), et Georg Simmel, dans La philosophie de l’aventure (1911, Paris, L’Arche, 2002).
Ces contours permettraient de penser le mouvement en soulignant que rien, dans l’ordre humain et culturel, n’est ni fixe ni définitif ni infini. Dès lors, ces pratiques artistiques font signe vers une toute autre dimension du vide qui n’appellerait pas impérativement du plein pour l’éconduire, mais qui serait insérée dans les choses, les situations, les comportements en leur permettant de se transformer, de passer d’une forme à une autre, d’un monde sensible à un autre, sans opposer dramatiquement, essentiellement, le vide et le plein, mais en les dialectisant (si l’on pense au rapport infini/fin chez Mark Rothko). Un vide que l’on penserait surtout comme opérateur fini de mondes spécifiques, fonction d’élaboration de règles toujours discutables et modifiables sur l’abîme infini qui nous propulse. Un vide moteur de changement, non parce qu’il existerait en soi, mais parce qu’il déploierait ses limites en permettant de penser des mondes potentiels – en cosmologie, en anthropologie, en sociologie, en matière politique – sans référence au plein d’une nature ou essence des choses et des existences.
En quoi Jacques Derrida, dans Les arts de l’espace (Paris, La Différence, Essais, 2015) a raison de déconstruire le plein, la causalité, le propre (l’essence), et la perspective anthropologique (logocentrisme, phallocentrisme), interrogeant alors le plein métaphysique (Dieu…) en rapport avec l’abîme ou le néant. Au commencement, le rien, sinon une trace jamais présente, inaccessible au savoir et à la science. Il est souverain. Encore s’ouvre-t-il à une adresse qui creuse quelque chose tout en demeurant à venir (donc encore le rien ou ce qui n’est pas encore). Rien n’est posé d’avance. L’adresse elle-même est sans intention ni don. Elle arrive, imprévisible. En cet abîme commence le mouvement de la différance, la dissémination, peut-être comme en figure un Just Becquet (1829-1907) ?

Just Becquet, L’Abîme
1901

Partant, la lectrice ou le lecteur doit mieux appréhender une difficulté dans les propos et les références enregistrées ci-dessus. Cette difficulté tient au fait que le vide y est pris pour un fait, une évidence à dissoudre. L’artiste albanais Adrian Paci, qui a exposé à Paris des œuvres portant sur les thèmes de l’errance et de la quête d’identité, du souvenir, de l’espoir et de la désespérance n’y a pas cédé. Le vide lié aux désillusions politiques de l’exil, demeurées la caractéristique indubitable du monde que nous avons fabriqué ou que nous sommes encore en train de fabriquer (soit l’Occident), se fait appel à une transformation du monde social et politique.

Adrian Paci, Centre de rétention provisoire
2007

En réalité, cette évidence (réfutable) aurait donc son revers, ou son corrélat soit dans le plein de marchandises, d’objets manufacturés, puis transfigurés et mis en spectacle dans les villes modernes, élevés enfin à la puissance de signes, d’images, d’informations données en excès, dans les moindres recoins, les moindres interstices encore inoccupés du monde contemporain ; soit dans des régimes forts qui s’écarteraient définitivement de ces dangers, grâce à un « chef » repérable, audible et omni-représenté.
Aussi, affirmer, comme nous y procédons, que l’existence humaine est cernée par l’abîme (sans aucun bord, ni terre, ni horizon, ni rivage, ni ciel, comme il en va des Nymphéas de Claude Monet) et que sa représentation en un vide symbolique, donc délimité, peut être positive est un propos qui se heurte à l’usage négatif trop familier de cette notion, usage dont nous nous défions par là-même. L’abîme, en effet, peut être esthétisé en un vide remplissant une telle fonction symbolique – au sens de la capacité humaine à dessiner des représentations grâce auxquelles les humains peuvent organiser et partager des relations au monde et aux autres, et « danser au bord de l’abîme » (Nietzsche, Le Gai savoir, p. 347) en le rendant moins supportable qu’efficace. Alors, il devient positif. Évidemment si l’assentiment au vide ne va pas de soi, il reste qu’on peut l’aborder et l’activer dans le cadre théorique et artistique ici proposé. En légitimant l’opérativité du vide, cette brève esquisse prétend donc simultanément grandir l’humanité, lui conférer dignité et mobilité en la délivrant de tout ordre naturel des choses rapporté à un fondement (constat négatif), une essence ou une propriété fixe, voire une éternité, puisque n’existent que des histoires et des cultures, des règles dont le mouvement et les transformations sont toujours possibles, voire toujours déjà en cours (constat positif), et par conséquent libérer son imaginaire créateur, comme l’indique Marc-Antoine Mathieu, dans ce mur peint.

Marc Antoine Mathieu, Mur peint
1991 Angoulême Rue de Beaulieu

En légitimant cette idée d’une opérativité du vide — pas de principe premier, d’origine, d’essence ou de cause —, nous nous extrayons à son égard du manichéisme et de la théologie. Nous grandissons bien l’humanité, parce qu’il n’y a rien qui soit un Grund (un fondement intangible, éternel, un absolu). En conséquence, c’est seulement à elle de choisir ses opérations et d’apprendre à les transformer si nécessaire. Autrement dit, cette idée permet de penser une inventivité humaine éternelle. C’est même elle qui rend la pensée du vide centrale, un vide concevable comme moteur de l’humanisation, de l’histoire, des transformations sociales et politiques. Un vide qui oblige à penser aux limites, et à penser les limites comme conditions du mouvement de la pensée et des actions. Quoique reposant sur un aspect incontournable des anéantissements des humains, ce serait un peu à la manière du travail de l’architecte Daniel Libeskind pour donner corps au musée juif de Berlin (Leerstelle des Gedenkens, Memory Void), une architecture qui troue et refuse de combler.
En somme, nous rejoignons ce propos synthétique de Friedrich Nietzsche, dans Le Gai savoir : « Nous nous sommes affranchis de beaucoup de représentations — Dieu, vie éternelle, justice distributive dans ce monde et dans l’autre, péché, rédempteur, besoin de rédemption : une espèce de maladie passagère exige que les vides soient comblés, la peau frissonne quelque peu au froid glacial parce qu’elle était autrefois couverte à cet endroit. » (à propos de Le Gai savoir, 1882, note p. 1236 sur les « Fragments posthumes », Paris, Gallimard, Pléiade, 2019). Ce propos trouve d’ailleurs une application cruciale dans certaines situations. Jean-Jacques Rousseau expose en effet cette positivité du vide en rapport avec sa propre formation, dès le début des Confessions. Revenant tardivement d’une promenade au-delà des remparts de Genève, il trouve la poterne de la ville close. Au lieu de s’angoisser, il saisit une telle occasion pour partir et écrit rétrospectivement de cet événement : « Je trouvais en moi un vide inexplicable que rien n’aurait pu remplir, un certain élancement du cœur vers une sorte de jouissance dont je n’avais pas d’idée » (Lettre À M. de Malesherbes, entre 1762 et 1772, Paris). De tels propos viennent de trouver un nouvel usage, un peu décalé, dans une exposition, dans laquelle figurent des œuvres de Louise Bourgeois de 1949, intitulée The God that Failed (Lauzanne, 2023), et figurant la dignité d’humains en plein effort pour se tenir debout, sans doute à l’encontre de l’écrasement religieux, sinon à respecter la signification originelle de cette expression visant les désillusions relatives au communisme (André Gide, Arthur Kœstler, Stephen Spender), voire la crise de la notion d’autorité (mâle, politique, sociale…). Désillusion, donc, et plongée dans un vide qui pourrait bien être positif, obligeant à inventer autre chose.

La suite au prochain numéro.

Voir en ligne : www.christianruby.net

Image d’introduction : Caspar David Friedrich, Der Mönch am Meer, 1808