mardi 6 décembre 2016

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Le jeu des trois coups

, Cyrille Noirjean et Mengzhi Zheng

Pensée nocturne, Li Po (701-762)
Devant mon lit – clarté transparente.
Est-ce bien du givre sur la terre ?
Tête levée : je contemple la lune.
Yeux baissés : je songe au sol natal.

La cosmologie chinoise se fonde du trois : Yang-Yin-Vide Médian, auxquels les confucéens font correspondre terme à terme Ciel-Terre-Homme. L’homme n’habite ni la terre ni le ciel, il trouve sa place dans la Voie du Milieu juste, le Vide médian. C’est par cette question que Mengzhi Zheng ouvre l’exposition : deux voies d’apparence divergentes s’offrent au visiteur, « j’entre où ? » « J’entrouvre », répond le maître zen, faisant valoir la fonction du trou. Et je trouve, qu’à emprunter la Voie du Milieu juste, je conjoins l’une et l’autre. Cet espace dynamique qu’est le Vide Médian ne se soutient pas de la séparation, mais de la reliance et de la continuité de l’un et de l’autre, de ciel et terre, d’intérieur et extérieur. Voie traduit le chinois Tao qui joue de la même équivoque en chinois et en français. C’est d’être parlant que l’homme s’inscrit dans la voie du Vide médian. Mais ce lieu du sujet, ce lieu du Vide, n’est pas le lieu du néant ; il est l’espace habité de la rencontre du Yang et du Yin que réalise l’homme.

Dès lors, lire la poésie et la peinture chinoise avec les codes de la représentation méconnaît la radicale altérité de cette culture qui ne s’intéresse pas à la différence entre l’objet et la représentation. Poète et peintre supportent leur pratique d’un système qui organise des liens, qui tisse. Michel Foucault, dans son commentaire des Ménines au chapitre premier de Les Mots et les Choses, nous permet d’apercevoir l’enjeu de cette manière d’habiter le monde : « Mais là, dans cette dispersion que [la représentation] recueille et étale tout ensemble, un vide essentiel est impérieusement indiqué de toutes parts : la disparition nécessaire de ce qui la fonde, – de celui à qui elle ressemble et de celui aux yeux de qui elle n’est que ressemblance. Ce sujet même – qui est le même – a été élidé. » Le sujet trouve son habitat dans cet écart de l’un à l’autre (du ciel et de la terre pour métaphoriser).

Mengzhi Zheng rejoint ses parents en France lorsqu’il a sept ans ; on sait que ce sont les impressions premières de l’enfance qui fondent et commanderont un sujet. Aussi ses premières gravures (réalisées en 2007 dont l’URDLA édite une suite en 2013) naissent du retour en Chine. Le choix de la technique (graver, creuser le métal) répond à ce commandement d’inscription du vide. Ce chemin vers ce qu’il convient de nommer l’écart ou l’entre-deux, plutôt que le vide qu’irrémédiablement la langue française renvoie au néant, retranchant que ce qui constitue le vide c’est le plein – ce chemin vers l’entre-deux, la nécessité de le révéler se lit dès 2008 dans les séries de photographies (dé)ranger et chambre 16 où l’usage du panoramique indique que le tout contient l’écart, contient l’entre-deux.

Aussi poursuit-il en toute logique la voie du milieu : la planéité de la feuille s’érige en volume précaire (Plis-déplis) qui dessine, cette fois, dans l’espace l’entre-deux : entre le plat (plein) et l’armature (qui trace l’écart). L’habitat ne prend sa fonction que de la présence du visiteur, invité à se loger, à faire tenir la structure par la présence de son passage. Tête levée, son regard traverse une forme qui ne l’arrête pas, où intérieur et extérieur sont mis en continuité. Le dessin du volume (dessiner l’espace) contient son avers : le volume dessine. Les maquettes sont dites abandonnées parce qu’elles ne sont pas un dessin en attente de s’ériger mais à la fois dessin et à la fois volume, l’un et l’autre, échappant tout à la fois à l’un et à l’autre : entre-deux, lien. L’atteinte du lieu de cette fragilité nécessite la fonction de la hâte qui n’est pas sans évoquer la réponse du maître zen qui dans la saillie d’un mot, d’un coup de pieds attrape et renvoie l’énigme de la question. Feuille, ciseaux, colle, morceaux de bois, carton, mains dessinent en relief, assemblent. Elles assurent la circulation du vide. Le suspend du geste fige le regardeur qui se réfugie dans la représentation ; Mengzhi Zheng le remarque : « Quelle que soit la forme que l’on donne au carton ou au bois, dès qu’il s’agit d’un volume et n’importe où dans le monde on songe aux architectures rudimentaires, aux cabanes, aux abris qui n’abritent précisément jamais de rien. » Quand le sage montre la lune, imbéciles, nous regardons le doigt, prenons la forme pour béquille plutôt que de suivre le dessin.

Les maquettes abandonnées de Mengzhi Zheng nous poignent parce qu’elles désignent précisément stabitat qui est le nôtre. Pour se tenir dans le monde un appui est nécessaire qui ne réclame pourtant pas la prison ni l’enfermement – modalité courante de rejeter l’étranger à l’extérieur de la clôture. Au contraire ce qui s’expérimente là, c’est la possible labilité : labitat qui n’entrave pas le mouvement qui n’exclut pas. Mengzhi Zheng poursuit sa marche des maquettes au dernières linogravures (paradoxe de la planéité de la gravure) qui sont à lire, comme chacune des œuvres isolées et comme l’ensemble du parcours, en paysages mentaux. La représentation classique n’est d’aucun recours pour la traversée à laquelle il invite.

Cyrille Noirjean

Notes de travail

L’espace comme objet manipulable et relecture de l’espace.
Investir l’espace de l’URDLA, c’est d’abord le désacraliser et le ramener à l’essentiel, le simplifier et le rendre manipulable. L’espace aplati est relu/revu. Prendre une feuille blanche et la plier en deux. La diagonale domine. Voilà le geste qui structure l’espace de l’exposition dans son ensemble et qui se repère sur les supports en tôle métallique des maquettes abandonnées fixées au mur tout comme pour la série colorée des linogravures où le pli - mental - est à faire. 
Plier donc pour ériger des formes et les déployer dans l’espace. Pli/dépli est posé au sol et tend vers une échelle qui invite à la traverser. Quant à l’autre sculpture et à l’autre bout, une maquette d’un autre pli/dépli est posée sur un support. De cet angle, le visiteur remémore le souvenir frais de la grande. L’illusion du faux-miroir s’opère à partir du l’objet-bureau-central qui le (dé)multiplie. L’une se cache de l’autre et le parcours se refait inversement.

Aplatir

Le travail de sculpture des maquettes abandonnées m’avait amené à passer du plat au volume. Les matériaux : bois, carton, feuille... remplaçaient l’espace blanc d’une feuille de dessin et la colle le crayon. Chaque maquette est un dessin dans l’espace ou un espace dessiné, ou encore la transcription d’une photographie mentale et unique dans les conditions de l’atelier. Ces maquettes abandonnées sont montées en mikado dans des laps de temps très court et sans croquis au préalable. Ces inarchitectures ou architectures - qui semblent - inachevées, n’ont pas vocation à être reproduites dans une autre échelle. J’évoque une architecture sans fonction pour l’usager, si ce n’est peut-être de pouvoir les habiter le temps d’un instant.
 Aussi, les linogravures découlent inversement de cette pratique du dessin, comme une réponse au travail du volume. On repasse au plat. Ce sont des paysages mentaux qui se composent à partir de couleurs et de formes dans les mêmes conditions de travail.

Mengzhi Zheng, labitat
du 1er décembre 2016 au 28 janvier 2017

jeudi 1er décembre 2016, vernissage de Collection à l’étude à Villeurbanne
samedi 3 décembre, à 15 h commentaires de l’exposition

URDLA
207, rue Francis-de-Pressensé - 69100 Villeurbanne - M° Flachet


04 72 65 33 34 – www.urdla.com
du mardi au vendredi, de 10 h à 18 h les samedis, de 14 h à 18 h

entrée libre