dimanche 28 octobre 2018

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Le crâne-dé

Photographies de Jean-Christophe Ballot

, Jean-Christophe Ballot et Jean-Louis Poitevin

Le dé ? Un crâne ! Qu’il soit en résine change un peu la donne, car il est bien un dé et non pas une relique, même s’il en occupe la fonction.

Vadémécum

Il y a dans cet ensemble d’images réalisées par Jean Christophe Ballot, des images qui ne sont qu’une partie d’un ensemble non fini relevant de la méditation sur les fins de l’homme, comme un parfum d’angoisse qu’il métamorphose en effluves agréables. C’est cette métamorphose qu’il importe de saisir ici, car, au-delà des éléments visibles, c’est un renversement de notre appréhension et de notre position face à la trame de l’existence qui est en jeu.

Le dé ? Un crâne ! Qu’il soit en résine change un peu la donne, car il est bien un dé et non pas une relique, même s’il en occupe la fonction. C’est là que se joue le glissement qui nous fait passer d’un réel supposé à une fiction probable.

La partie ? Se joue seul face à l’autre qui est une version qui restera inconnue de nous-même. Quand nous serons prêts pour prendre la place du dé nous ne serons plus en mesure de nous voir. Heureusement, il y a l’art, la mise en scène, la représentation, le grand théâtre du monde, tant il y a un côté baroque doux dans ces images, le petit théâtre des passions, le jeu de la lumière et de l’ombre, la pierre et l’eau, le plasma rêvé et le sourire de la mort, pour nous permettre d’accéder vivants à l’autre côté, à ce « là-bas » où nous serons et dont nous ne pourrons pas rapporter, « ici » des nouvelles ou des images.

L’ombre et le trait constituent les preuves absolues et indépassables de notre existence, celles qui ont permis à Dibutade, en dessinant les contours de l’ombre du visage de son amant sur le mur où elle était projetée par la lumière à laquelle son corps faisait écran, d’ouvrir la boîte de Pandore du jeu des signes et des formes à partir de quoi on a inventé l’infinie variété des vadémécum.

Car, oui, répondant à la définition rare du vadémécum, celle d’un objet personnel que l’on garde avec soi, les crânes en résine couverte de couleur métallique ou dorée jouent ce rôle aujourd’hui dans la vie de Jean-Christophe Ballot.

Conscience – © JC Ballot

Métanoïa

En effet, relique ou souvenir, objet fétiche ou caillou ramassé sur le chemin, qui n’a jamais gardé par devers soi un objet auquel il prêtait une fonction symbolique voire même activement magique ? Qui n’a jamais désiré que cet objet devienne le vecteur d’une transformation, d’une métanoïa, d’une métamorphose ?

Ainsi en faisant de ce crâne abstrait le dé qui tourne au cœur de ses images, c’est à une partie infinie qu’il nous invite, une partie dont il extrait, pour nous, des éléments majeurs en ceci qu’ils indiquent mieux que d’autres sans doute la direction dans laquelle tourner notre regard. Ce que nous regardons tout d’abord ou ce que nous voyons et ici ce que nous voyons souvent briller, c’est la chose. Car la fonction de ce vadémécum, c’est d’incarner aussi, comme en secret, la chose même, la chose en soi dont ce crâne est à la fois le symbole, l’incarnation paradoxale, la manifestation contradictoire et la preuve qu’elle n’existe pas. On se souviendra ici de l’anamorphose du crâne dans Les Ambassadeurs de Holbein comme un des moments dans l’histoire de l’art où cette question a été posée avec une ironie conduisant à une certaine forme d’extase.

Ici, le pari qui est fait, c’est de révéler l’ambiguïté de l’existence en jouant au dé avec l’objet le plus sacré, car il porte encore la parole et la vie du disparu, de tous les disparus, et le plus repoussant car il « est » la manifestation visible de notre devenir à tous. Et chacun de nous qui regardons et voyons est ce crâne, est ce dé, car c’est bien dans notre crâne que se forme l’image, dans notre crâne que se joue la scène imaginaire inaccessible, dans notre crâne que se décide l’avenir et le commencement et que s’organise l’acceptation ou le renoncement à la sagesse, à la voie, au silence.

En descendant le Styx – © JC Ballot

Rire

Il y a, dans ces images issues de mises en scène, de la pierre, de l’eau et aussi parfois un voile qui fait penser à la transparence de celui qui nous enveloppe dans cet autre moment de notre vie dont nous ne gardons aucun souvenir, celui de notre séjour en apesanteur dans un milieu aqueux. Et, nous faisant face tel un de nos doubles futurs, il y a ce sourire qui transite d’un côté à l’autre de la tête, qui suinte des dents, qui traverse le visible pour venir se loger en nous. Il nous accompagne ensuite lorsque l’immense et sempiternel éclat de rire qu’il semble retenir mais dont nous prenons conscience dès que l’image s’est formée, explose dans le silence de notre crâne. On dirait alors le bruit d’un vieil obus, d’un pétard peut-être. C’est en tout cas une ombre. Elle nous fait peur mais pas assez pour que nous partions en courant.

Car, oui, il faut le dire, nous sommes autant fascinés par le crâne que par le vadémécum, par la peur que par l’objet transitionnel oublié mais toujours hurlant dans un coin de la mémoire et c’est de cette double fascination que nous parvenons à sortir lorsque ce rire explose. Alors oui, quelque chose a lieu qui nous a projetés sans que nous ne puissions nous y opposer, de l’autre côté du miroir, de l’autre côté de la vitre sans que celle-ci n’ait explosé en mille morceaux. C’est l’envahissement de notre vide intérieur par le souffle glacé mais vital de l’ironie.

Et alors, oui, nous aussi, enfin, savons que nous rions !

Silence – © JC Ballot

Jean-Christophe Ballot
L’éternité et un jour
Photographies
Du 9 novembre au 21 décembre 2018
Du mardi au vendredi 11h – 19h
Vernissage le 8 novembre
Loo&Lou Gallery
45 avenue George V, 75008, Paris
www.looandlougallery.com
T. +33 1 53 75 40 13
Métro George V (ligne 1)
Ouvert du mardi au vendredi de 11h à 19h
contact@looandlougallery.com
https://looandlougallery.com

Illustration couverture : Compas © JC Ballot

Attente – © JC Ballot