jeudi 2 juillet 2020

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La nécessité de re-voir

, Dominique Mérigard

Le triptyque de Christine Delory-Momberger exils / réminiscences, paru en 2019 aux éditions Arnaud Bizalion, n’était pas seulement l’aboutissement d’un travail de neuf années de recherche photographique. C’était les prémices d’une réflexion plus profonde sur le processus artistique.

La rencontre avec Valentin Bardawil, cofondateur de Photo-Doc a donné lieu à une « en-quête » sur les territoires de l’intime et permis de mettre en évidence « l’interaction agissante entre l’art et la vie ». Le livre, Le pouvoir de l’intime dans la photographie documentaire qui vient de paraître aux éditions Arnaud Bizalion nous permet de suivre le cheminement d’une auteure, Christine Delory-Momberger, qui a le courage d’interroger la dimension mystérieuse de ses images.

Tout a commencé lorsque Christine Delory-Momberger a regardé dans le viseur d’un appareil photo pour mieux voir les détails d’une toute petite image, une des photographies qui font partie de son album de famille. Le blow-up en action lui dévoila des détails qu’il ne lui avait pas encore été donné de voir. En appuyant sur le déclencheur, elle comble des absences et pose un nouveau regard sur les moments forts de l’histoire personnelle ou collective qui refont ainsi surface. Le travail photographique de Christine Delory-Momberger, et plus particulièrement sa spécificité formelle, est né de l’incapacité à voir avec précision et à reconnaître ce que les images héritées de son histoire familiale pouvaient lui délivrer. De cette altération visuelle a surgi une incroyable clairvoyance, les images ayant agi comme le révélateur d’un travail intérieur commencé depuis longtemps. Christine Delory-Momberger documente autant son monde intime que celui qui l’entoure. La force de ses photographies tient dans le fait qu’elles semblent jaillir de la nuit, tels des flashs mémoriels souvent plus proches du cauchemar que du rêve, où les êtres se révéleraient être de petits fantômes.

Le résultat obtenu, où le noir l’emporte sur le blanc, où le grain du film est omniprésent, où le flou et le bougé sont des dons, aboutit à des images d’une incroyable puissance évocatrice et les rend plus fragiles, plus sensibles mais aussi plus familières. Ce n’est ni un artifice ni une manipulation. Christine Delory-Momberger souhaite aller au-delà de la simple représentation du réel, tout en s’appuyant sur les traces et sur les cicatrices de la petite histoire, celle d’une famille migrante dans l’Europe de la première moitié du XXe siècle en prise avec les soubresauts de la Grande Histoire qui pousse les hommes sur les routes et vers les frontières. Christine Delory-Momberger est mue par un désir irrépressible de se raconter par la photographie et par l’écriture. Son histoire et, par-delà, son travail artistique trouvent une résonance particulière dans la période actuelle, et de jeunes migrants réfugiés, formant la troupe du le Good Chance Theater, se sont retrouvés en mars 2020 dans un tiers lieu culturel du 19e arrondissement de Paris, juste avant que le confinement n’arrive, pour une performance où ils ont associé les images de sa trilogie exils / réminiscences à leurs histoires personnelles, créant ainsi un pont entre les migrations du XXe siècle et celles du XXIe siècle. Palimpseste biographique où les images et les langues se rencontrent et se répondent [1].

La première fois que j’ai vu les photographies de Christine Delory-Momberger et que j’ai échangé avec elle, j’ai perçu combien elle était habitée par cette histoire, son histoire, et par une volonté de transmettre. J’ai aussi été saisi par la sombre poésie de ses photographies, par leur densité et par l’émotion qui s’en dégageait, tout cela faisant écho en moi. Nous avions en commun la passion de l’image et du texte et l’obsession de la mémoire. Quand elle me proposa de l’accompagner dans la conception et la réalisation de l’édition de la trilogie exils / réminiscences, elle me permit de partager son histoire. Nous avons alors beaucoup échangé, j’ai accompagné sa réflexion, essayant de donner à son récit une forme expressive au plus près de son désir (de ses intentions). J’ai ensuite joué le rôle d’interprète graphique et de passeur.

Christine Delory-Momberger a la volonté farouche d’immortaliser ou de faire renaître, mais elle sait que le temps est compté, elle a conscience de cheminer vers un horizon qui s’éloigne au fur et à mesure qu’elle avance dans sa recherche. Ce n’est pas un échec, bien au contraire, car le voyage est riche de découvertes et la quête infinie. Christine Delory-Momberger est avide de rencontres, d’échanges, de propositions, de tout ce qui peut approfondir sa réflexion et sa pratique. exils / réminiscences n’était donc pas la finalité et il fut le point de départ de l’« en-quête » qui s’ensuivit et qui a abouti à l’écriture d’un livre commun avec Valentin Bardawil.

Christine Delory-Momberger et Valentin Bardawil ont voulu comprendre le processus de création qui avait été à l’œuvre dans ce projet, sa genèse et sa construction. Le livre décrypte la recherche menée par la photographe pendant de longues années, arpentant sans relâche les territoires de l’intime. Il se lit comme une enquête où l’on découvre au fil des pages le processus artistique mais aussi l’éblouissement face aux images et à la vie qu’elles portent en elles. On progresse avec Christine Delory-Momberger face aux interrogations liées à la portée intime et politique de ses images. Les deux auteurs mettent en évidence la trame du travail réalisé et « le pouvoir de l’intime dans la photographie documentaire » qui donne son titre au livre.

La quête de mémoire de Christine Delory-Momberger ne s’arrête pas et elle a déjà entrepris de ramener à la surface d’autres pans d’histoire personnelle ou collective… L’histoire continue.

Notes

[1Pour voir la performance « Quand des histoires d’exils se rencontrent… », suivre le lien : https://vimeo.com/406496504

Le pouvoir de l’intime dans la photographie documentaire
un livre de Christine Delory-Momberger et Valentin Bardawil
Arnaud Bizallon Éditeur,
FF 17 x 21 cm, 96 pages, impression noir sur coral book natural 120 g.
ISBN 978-2-36980-193-1– PP 19,50 €
Signature à La Nouvelle Chambre Claire le jeudi 9 juillet 2020
3 rue d’Arras - 75005 Paris
M° Cardinal-Lemoine / Jussieu
tél : +33 (0)1 42 01 37 36
Du mardi au samedi
de 11:00 à 19:00
et sur RDV
https://la-chambre-claire.fr/