mercredi 1er mars 2023

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La censure revient !

, Alain Snyers

Deux cas récents de projets d’expositions censurés par 2 universités.
Lyon. Automne 2022

Deux projets d’Alain Snyers pour deux universités lyonnaises annulés : Lyon 3 (campus de la Manufacture des tabacs) et l’Université catholique de Lyon/UCLy (campus Saint-Paul).

Ces deux projets simultanément initiés pour des lieux différents furent sollicités par le bureau de la Biennale Hors Norme (BHN) pour sa 10e édition de septembre 2023 à Lyon en lien direct avec les Universités.

Le contexte visé de ces 2 installations en milieu universitaire :
- Introduire un événement d’art contemporain dans les espaces communs des campus (sur la Manufacture et à Saint-Paul) lors de la rentrée universitaire 23/24,

Être une manifestation de la Biennale HN sur le terrain universitaire,
Présenter aux Journées européennes du patrimoine une création contemporaine dans d’anciens bâtiments rénovés (16 et 17 septembre 2023) :
- à Lyon 3 : considérer le personnel de l’ancienne usine de tabac célèbre en son temps pour la fabrication de la cigarette La Gauloise,
- à l’UCLy : se rappeler l’existence sur son site de la prison Saint-Paul dont un élément architectural significatif est conservé et intégré au niveau campus.

Les projets d’Alain Snyers

À l’invitation conjointe de la Biennale HN et des services culture des deux universités, Alain Snyers conçoit pour chacun des deux sites concernés un projet spécifique adapté aux contextes.

À partir d’un premier travail de recherche aidé par les services des Universités, Snyers a construit deux projets contextuels qui croisent chacun des références directes autant à l’histoire des lieux qu’à l’univers universitaire. Par ce mix original et amusant, il a introduit le passé dans le présent des deux institutions.

Pour l’université Lyon 3 (site de la manufacture), le projet La manu, un passé parti en fumée, s’appuie sur des photographies d’époque fournies par le service de la documentation. Projet conçu sous la forme d’une grande campagne d’affiches dans les espaces de circulation du campus.

La présentation de l’équipe
Le club femmes red MANU

Pour l’UCLy, le projet Secteur des évasions savantes mixe à travers une contre-signalétique, le vocabulaire du monde carcéral avec celui des pédagogiques universitaires.

3 panneaux signalétique hall
panneaux 9 salles
UCLy st Paul nomenclature

Ces deux projets, menés de façon parallèle et totalement distinctes avec les partenaires locaux, mettent en scène la mémoire des lieux et se conçoivent comme des parcours dans les espaces communs des établissements.
L’usage d’affiches pour l’un et de panneaux de signalétique pour l’autre, visa à complétement les intégrer dans les campus concernés.

Dans les deux cas, les budgets de ces projets étaient très peu élevés. L’impression des affiches à Lyon 3 pouvait être faite en interne.

Le refus des universités :

Novembre 2022 : réalisation de dossiers de présentation avec des maquettes et des mises en situation pour être communiqués distinctement auprès des référents culture des tutelles pour la validation définitive.
À la grande surprise des partenaires de terrain, le chargé de culture de la Présidence de Lyon 3 annule en novembre le projet puis le 26 janvier, c’est l’équipe de direction de l’UCLy qui rejette le projet construit sur place avec des équipes de l’Université !

Ce n’est ni le budget (très modeste), ni l’absence de partenaires qui ont motivé ces choix dont l’argumentation interpelle.

Voir ici les lettres d’annonce des refus.

Courriel du 23 novembre 22 de Lyon 3 :

« Cher Alain Snyers,
 
 J’ai bien reçu le projet d’installation que vous avez élaboré en vue d’une participation à la 10ème BHN à l’Université Lyon 3, et je vous remercie pour ce projet déjà très détaillé.
 Il se propose de réactiver le passé ouvrier de la Manufacture des Tabacs, et à ce titre a retenu toute mon attention, ce pourquoi j’ai pris le temps d’y réfléchir un peu longuement avant de vous répondre. 
 Après réflexion, donc, et après consultation, je ne vais toutefois pas donner de suite favorable à votre proposition. Malgré les précautions que vous prenez en joignant des messages de prévention au logo des cigarettes gauloises, il me semble en effet qu’elle présente le risque de diffuser un message de promotion du tabagisme, ce qui est bien sûr très délicat dans une université.
 Enfin, et c’est pour moi le point principal, il me semble que les paroles humoristiques accolées aux images d’archives véhiculent un message ambigu concernant l’activité académique, pouvant être pris pour une forme de dérision, et que ce message pourrait être porteur de beaucoup de malentendus malheureux à l’égard de la communauté universitaire.
Très cordialement,
 
Benoît AUCLERC
Chargé de mission à la culture ».

lettre Benoit Auclair 23 11 22

Courriel du 26 janvier 23 de l’Université Catholique de Lyon (UCLy) :

« Bonjour,
Je suis au regret de vous annoncer que votre proposition « Secteur des évasions savantes » concernant l’installation de panneaux de départements fictifs jouant avec la mémoire de nos campus ne pourra voir le jour. En effet, il apparaît que le lieu est trop sensible pour jouer sur les aspects de l’univers carcéral.
 
J’en suis bien désolé,
Bien à vous,
 
Laurent DENIZEAU | Chargé de Mission Culture
Université catholique de Lyon
10 place des Archives | 69288 Lyon Cedex 02 

 

lettre Laurent Denizeau UCLy 26 01 23

 
En réponse à ces courriers, Alain Snyers a écrit aux deux Présidents. En décembre 22, il a adressé une lettre ouverte fustigeant un acte de censure non seulement au Président de Lyon 3, mais à tous les responsables de départements et d’unités de l’Université. Idem à l’UCLy.

Lettre ouverte au Président suite à la CENSURE

Aucun retour de ces lettres ouvertes à part des « bruits de couloirs » gênés.

Que cachent ces arguments ?

Si il faut légitimement fustiger le tabagisme, ce n’est pas en le cachant qu’il sera moins nocif ! À l’Université elle-même à faire le ménage chez elle en supprimant par exemple toutes les mentions « manufacture des tabacs » figurant sur sa communication officielle !

En évacuant ainsi le tabac et sa manufacture, les « censeurs » oblitèrent non seulement le passé architectural de leur campus, mais aussi, et surtout la mémoire de celui-ci qu’elle fut ouvrière ou qu’elle fut celle de ce monument français que fut La Gauloise au paquet bleu dessiné par Jacno !

L’inquiétude que des « paroles humoristiques » accolées à des photos d’archives puissent fortement nuire à l’Université de Lyon 3 paraît démesurée et totalement hors propos ! Ce ne sont pas quelques combinaisons de mots et allusions ciblées qui risquent de déstabiliser l’institution !

Ce n’est certainement pas l’allusion à l’univers carcéral qui va remettre en question « la sensibilité » de l’Université catholique de Lyon ! Nier cette réalité correspondrait à refuser de voir le bâtiment conservé de l’ancienne prison Saint-Paul comme une marque du passé !

Ce que peuvent dire ces arguments ?

Comme ces deux refus émanent de structures différentes et sans aucun lien commun, il n’y a donc pas de relations directes entres elles.

Une même procédure méthodologique basée sur la considération historique et une certaine forme d’espièglerie créative se voit aujourd’hui rejetée.

L’occultation la plus prégnante est le refus de regarder la mémoire et l’Histoire des lieux occupés par deux nouveaux campus : une manufacture ouvrière d’un côté et une maison d’arrêt de l’autre. Les « prolétaires et les détenus » face à la « jeunesse et à l’intelligence du monde universitaire » ! Ces gestes tendent à effacer ces différentes activités antérieures ne laissant visibles que les contenants immobiliers. Sur les deux sites, ces bâtiments sont remarquables, inscrits et rénovés à fort budget et grande publicité ce qui participe au prestige des établissements occupants.

Le tabagisme peut ici être perçu comme un « vice » contraire à l’hygiénisme d’une nouvelle morale d’ordre et de propreté. Morale « sensible » qui pourrait être ainsi bousculée par quelques dénominations inspirant plutôt le sourire et la connaissance que le dénigrement et le « malentendu malheureux » capables de déstabiliser de si solides institutions !

Le débat interrogatif, la contestation ou tout simplement la dérision sembleraient gêner des « communautés universitaires » qui préféreraient « le sans histoire et le lisse » qui ne bousculeraient pas l’image corporative de l’Institution.

L’annulation d’expositions ou d’événements n’est pas un fait rare surtout si cela est motivé par des coûts non acceptables ou des changements de politiques ou de personnes. Aucun de ces facteurs existent dans les cas présents. Derrière une frivolité ambiante et la crainte de déplaire, un glissement semble se dessiner au sein d’importantes institutions vers une révision de la pensée que rien ne doit perturber ! L’humour, le sarcasme ou la dérision deviendraient-ils des expressions politiquement incorrectes ?

L’interrogation reste ouverte…