lundi 30 mai 2022

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Informe

Une nouvelle série d’images de Zouhir Ibn El Farouk à la Galerie Shart à Casablanca

, Fouzia Marouf , Ibn El Farouk et Syham Weigant

La photographie, comme avant elle, les diverses et différentes techniques manipulées par ceux que l’on nomme artistes est vouée à toutes les subversions possibles que ceux-ci sauront imaginer. Deux textes se conjuguent pour dire deux visions des œuvres de Zouhir Ibn El Farouk, présentées successivement à l’espace culturel de Bois Colombes et à la galerie Shart de Casablanca.

Immortaliser

C’est dans le cours des choses.

La photographie, comme avant elle, les diverses et différentes techniques manipulées par ceux-là que l’on nomme artistes est alors inéluctablement vouée à toutes les subversions possibles que ceux-ci sauront imaginer…

Oui, C’est dans le cours des choses…

Pour ces artistes-là que d’expérimenter, en photographie, comme avant elle et même après, les diverses et différentes techniques qu’ils auront à portée de leurs possibilités ou de leurs nécessités ainsi que de leurs affinités. Cela pour exprimer ou plutôt traduire tous ces récits, indicibles, inaudibles, invisibles dans un langage révélateur des multitudes de questions discursives ou intuitives avec ou sans hypothèses de réponses mais vouées à habiter un monde plus vaste que l’esprit qui les a envisagées puis formulées.

Ces œuvres ou fictions en se réalisant prolongent la vie de ces médiums conçus au départ comme outils d’observation et de mesure voire de représentation de la réalité sans jamais réussir vraiment à s’en saisir. Instable, irrégulier, changeant, le réel est aussi impermanent que les subjectivités humaines ou les technologies qu’elles auront créés pour en figer une image ou un instant T. Les représentations que nous produisons se révèlent toujours imparfaites et donc inaptes à capter et restituer avec certitude et objectivité les vérités que nous expérimentons. De par nos inconsciences ou nos réflexes interprétatifs, des interférences biaisent nos capacités à saisir avec objectivité nos contextes condamnés à l’éphémère et ses caducités.

Ibn El Farouk

C’est ainsi qu’une grande diversité d’outils et d’instruments aux obsolescences scientifiques programmées sont mis au service des arts pour en augmenter les aspirations de nouvelles possibilités. Car à défaut d’expliquer ou rationaliser nos vécus, elles produisent par leurs erreurs, des réalités alternatives parfois poétiques ou esthétique.

Et c’est au cours de ce cours des choses de cette photographie, que des artistes dont Ibn el Farouk se font explorateurs voire inventeurs de langages qui sauraient exprimer non pas ce réel impossible mais les rêves, les souvenirs ou encore les peurs qui nous habitent en tourmentant de désirs, de douleurs ou de plaisirs aussi bien nos sens que notre esprit.

Pour ce faire, Ibn el Farouk étudie aussi bien les mécaniques de l’appareil, qu’il en teste et en mesure de manière empirique les limites en-dedans et en-dehors desquels, il peut être utilisé comme révélateur de toutes les nuances de nos subjectivités.

Et alors, ce que Ibn el Farouk nous rend visible, audible et tangible, ce sont tous les univers intérieurs qui l’habitent et dont il est fait. Et c’est seulement en se revendiquant du fictif et du subjectif, que ces récits peuvent réussir à captiver notre attention. Et alors, le monde s’arrête enfin alors que le temps s’immobilise tandis que c’est enfin à nous de vivre une multitude de mouvements réflexifs ou spirituels qui nous changent à toute vitesse et pour aussi longtemps que nous l’accepterons. Parfois aussi c’est un transport aussi subtil que radical de nos sens et de nos émois qui fait vivre et battre d’un rythme aussi fou qu’affolé toutes les particules physiques et chimiques de notre corps qui remet à sa place cette fameuse réalité dont le décor s’efface par cette aventure que crée et forme l’œuvre d’art.

Ibn El Farouk

C’est ainsi que Shéhérazade fera de mille et une de ses nuits, un éternel présent qui se réinvente par la parole et par l’imagination qui crée du temps et un espace propres et autonomes que régissent une volonté qui se forge un destin imperméable aux agitations de ce monde qui ne compte presque plus pendant qu’il s’écrit et se lit.

Et c’est cela que l’artiste Ibn el Farouk nous offre dans ses méta-photographies : la sensation ou la consolation qu’une éternité apte à prolonger et à survivre à nos finitudes pourrait s’énoncer. Et même peut-être se perpétuer.

Simples mortels. Passants de passage et bientôt du passé. Mais peut-être par l’art et ses récits, qui sait, la possibilité d’une renaissance démultipliée dans le regard et l’imagination de ceux-là qui nous survivront et de tous ces autres qui vivront encore bien après…

Voilà ce que la photographie d’Ibn el Farouk concourt à créer ou comme l’on dit : à immortaliser…

Oui c’est exactement de cela qu’il s’agit : immortaliser.

Syham Weigant

Ibn El Farouk

Informe

Informe, est une traversée au confluent de la photographie et de l’expérimentation trouvant son point d’orgue dans l’abstraction. A la croisée de la matière et des espaces, elle s’inscrit dans un entre-deux. Dès lors, cette exposition itinérante, dont l’idée a germé de concert entre la ville de Bois-Colombes (Grand Paris) et la galerie Shart à Casablanca, est présentée au sein de la Salle Jean Renoir. Voyageuse, elle fera ensuite halte dans la métropole casablancaise. Ibn El Farouk est un passeur qui sonde, ravive, triture, les limites de la matière photographique. Il structure leurs compositions, nées de l’improbable, afin de bousculer les codes et l’inconscient à travers une nouvelle esthétique. Il pose au fil d’un processus créatif fécond, incessant, de nouvelles mises en perspectives. Comme en écho à Michel Poivert : « De même, rappelons que l’expérimentation est la condition de l’existence de la photographie. Elle est au cœur de l’invention des procédés. Mais elle est également au centre des travaux de l’avant-garde. La notion d’expérimentation se retrouve donc aussi bien du côté du progrès des techniques que celui d’une esthétique indifférente aux règles du bon usage », Le Prima du photographique, Photographie Expérimentale et Abstraite 1945-1985.

Ibn El Farouk

Informe, se déploie, au rythme d’une recherche obstinée en quête d’une pulsation au-delà d’une trace. Des reliefs. Des couches. La ligne couleur inaugurale jaillit pour dire l’insondable, l’impalpable, l’intangible du photographique. Alchimiste, l’artiste tisse les fils d’un nouveau récit. Un espace s’ouvre pour explorer le jeu, le hasard, les similitudes plastiques tangibles. Qu’est-ce qui loge dans notre regard et l’informe ? Informe, interroge et questionne notre perception. Le jeu des mondes plastiques se poursuit, lieu de la réflexion de l’esprit. Le jeu des ressemblances esthétiques façonne un langage technique. Des textures, des couleurs s’entremêlent sur la matière, forment une multiplicité de strates, de lignes sinueuses. Informe, déploie tous les possibles du mouvement. A l’instar du photographe Mario Giacomelli « des choses ou des idées qu’il pouvait voir mais peut-être pas déchiffrer, comme un papier buvard placé sur une tache, il fallait la ramasser, la fixer, la mettre de côté. [...] La photographie n’est rien de plus qu’une feuille de papier avec des signes dessus, des signes comme des idées, tout est une vue de l’esprit », Michele Smargiassi, Giacomelli e l’universo (blog de Repubblica).

Ibn El Farouk convoque d’autres éléments plastiques, il féconde d’autres référents et imaginaires en imprimant une nouvelle dimension à son œuvre. Il transcende les frontières et les territoires. Le travail du photographe expérimental, sensible, s’ancre dans l’imprévisible et l’inattendu de l’exploration, dans des pensées et des émotions, des images et des couleurs originelles au sein de son atelier, à Bois-Colombes se déployant jusqu’à la métropole casablancaise. Le rouge ardant de Mark Rothko, le jaune éclatant de Monique Friedmann, le noir énigmatique de Malevitch se déroulent dans la continuité de sa production. Au travers de ses grands formats, Ibn El Farouk fusionne la matérialité et l’immatérialité. Informe, organise l’équilibre de l’essence photographique, harmonise son abstraction et son identité philosophique.

Fouzia Marouf

Vue de l’exposition de Ibn El Farouk
Vue de l’exposition de Ibn El Farouk