dimanche 2 juillet 2023

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Filer Les Tangentes, jours 1 & 2

18, 19 juin 2023

, Guillaume Dimanche

Filer Les Tangentes est une action artistique qui durera un peu plus de deux mois. Je veux voir si, comme Ulysse, mais plutôt Érasme, Zweig, Dürer, van Eyck, Vermeer ou Vinci, Goethe ou Van Gogh, on peut encore aller dans quelques villes, rencontrer quelques amis, artistes, savants, chercheurs, inventeurs ou poètes.
5000 km, arrivée prévue fin août 2023

Filer Les Tangentes - jour 01

Parc Naturel de l’Albufera - Estacion de Palancar (Barracas)
117.5 km / CO2- 21156 g / Moy 16.4 km/h / D+ 1983 m.

Réveil tôt, avec les oiseaux. Nuit avec les moustiques. Je ne sais si j’ai plus pas dormi ou dormi. Ce n’était pas vraiment un réveil, sinon sortir et se mettre debout. Une toute première nuit dehors sous un trap. À l’air avec une toile en toit.
Je m’étais fait dans mes répétitions des 15 drivers jours des pointes de 120 km env. La seule différence avec cette journée, ce sont les 2000 mètres de dénivelé. Je suis parti de zéro ce matin, après avoir transcrit le texte d’hier en digital et l’avoir publié. Bien joué d’avoir digitalisé au café gâteau. J’ai économisé une douche sous l’averse qui est tombée du ressort jusqu’à près València. Une petite heure pas mouillé. Ça gratifie le retard.

Pour le soir, j’avais visé un bunker de la guerre civile, sur un plateau dans une forêt. J’ai poussé un poil plus loin sans aller le voir pour une petite construction spécial week-end, barbecue et jeux d’enfants. Finalement, ce soir, c’est un camping sauvage. Avec toit et table en dur. Calvin est déjà arrivé. Il est sud-africain, de Vancouver. Il en est à environ 17000 kilomètres ces douze derniers mois. Traversée du Canada, Irlande, la côte Atlantique jusqu’au Maroc. Il remonte, longe plus ou moins la Méditerranée, pas trop près des côtes. Jusque... il ne sait pas encore où. Tant qu’il roule, il roule. C’est sa retraite. Son fils vient le joindre de temps en temps. Échanges et dîner partagé. Il ne sait pas encore sa route de demain, jusqu’à l’endroit qui lui fera passer les Pyrénées avant Toulouse. Au milieu peut-être.

Je fais quelques portraits de lui dans notre installation. Tension de mon toit entre deux murs et la table avec de grosses pierres, gonflage du matelas à la bouche, sac de couchage déroulé, cinq minutes. Les oiseaux nocturnes commencent à passer, le soleil est tombé. Les mosquitos ont fait un dense, mais, ouf, bref passage.
La journée...

À peu près rien autour sinon la route, la côte. J’entendais ce bruit déjà en arrivant dans l’après-midi. Une sorte de détonation, sonnant plus comme un gros claquement, genre porte, mais loin, donc très fort. Toutes les 4 à 6 minutes. Un clac, un jeu du ressort ? Je ne sais pas. Et finalement aussi toute la nuit. Peut-être avec un volume moins élevé. Une sonorisation, à position variée. Évidement, j’ai la réponse auprès du manager bureauté (un peu toucheur des secrétaires) de la boutique en partant : "c’est pour les oiseaux." Ah bah évidement. On s’installe dans une réserve, ou juste au bord, et on fait péter un BLAM ! H24 parce que les oiseaux, c’est bruyant. Et ça chie dans la piscine, même la nuit. Et sur les voitures. Et peut-être même ça bouffe les frites.
Enfin, la plage était si belle. Isolée.
Et aussi, en plein dans le cœur, des petits messages de mes kidzzz pour ce jour spécial. Un jour comme un autre quand on vous envoie des ❤️, mais particulièrement quand même celui-ci. Le daddy special !
Je rge, en route, il pleut. Il faut que je trouve de l’électricité. 

Alors, il faut monter, grimper, suer, pousser et tourner. Et encore grimper, suer, pousser, monter, grimper, tourner, grimper, suer, ça ne finit jamais. Deux 4x4 des champs et forêts me doublent. Des motards que je croise, certains lèvent les yeux de la route difficile, me klaxonne et me signe pour Yahoou ! Bravo ! Cool ! Et ça grimpe, il faut pousser, tourner, suer, tourner, pédaler. Bientôt le sommet, les géants, je les touche presque.
En haut, dans le vent, sous la couverture grise et sombre, tout à coup, je n’ai plus chaud. La sueur ne coule plus du front, ni dans le dos. Je me couvre un peu et les machines se mettent à ronronner, à vrombir. Les pales se mettent à tourner. C’est un salut. Je les rends immortels, ces géants producteurs.

Descente vers Barracas. Arrêt à un routier sur le bord del autopista. Je remplis pour la 3ᵉ fois de la journée mes quatre bidons. Il était temps pour cette recharge. Je prends aussi mes 2 énormes tomates pour le menu du soir. Presque les mêmes que celles d’hier. Sel, poivre, huile d’olive. Calvin m’offre une tête d’ail. Menu royal. En dessert, deux tranches de mangue séchée.
Dans la journée, j’avais avalé mon ménage d’amandes et frutos secos, une empenada et e demi livre de gâteaux aux noix d’une boulangerie d’un village traversé, près de l’église et de la fontaine.
Il fait bientôt nuit noire. Je ne vois plus les traits que je pose sur mon carnet. Quelques étoiles entre les nuages et, en fond, lointain, mais là, l’autoroute.

Good Night Calvin !
Dimanche soir la suite.
Enfin, lundi midi, environ.

Il faisait un peu trop nuit pour que j’écrive tout. Pause à La Puebla de Valverde. Juste une petite averse pour mouiller mon papier. Un joli moucheté.

Donc, hier, que n’ai-je pas tout ecrit sur le Resory Camping ! Il en fallait un, c’est fait, à éviter. First of all, on dort sous un lampadaire dix-neuf fois sur douze. Il est quand même éteint au milieu de la nuit. Mais surtout, implanté au milieu de la réserve, cf. dessin, sur un bord du lac, ses canaux, dans la pinède un peu loin de la mer. À peu près rien autour sinon la route, la côte.

Une petite histoire d’insectes de mi-juin qui sortent des œufs, larves sous le toit et tombent dans le café, ça dure 15 jours, par le trier de la supérette au café du camping.

Puis la route, fraîche, sur les pistes cyclables presque toute la journée. C’est dimanche. Plein de cyclos route ou VTT dans tous les sens. Sur le plat, sur les chemins de cailloux rouges des premières pentes. Ça grimpe vite après 30 km de plat. Heureuse la pluie qui est passée et laisse des nuages un peu partout. Il ne fait pas si chaud. Sauf une brève paire d’heures dans une vallée sèche sur une belle petite route quasi déserte. Plein de bosses, de collines, de petites montagnes. Un aigle vient me saluer à l’entrée d’une des vallées que j’emprunte.
Il faudrait monter jusqu’au plateau à 1000 mètres d’altitude. Passage par une voie verte, un ciel parcourt de tortillard. Un long chemin en pentes douces, parsemé de tunnels. Complètement hors de tout bruit automobile. Sauf deux fois, ça surprend. Je croise là quelques paires de bikepakers.
J’ai trois apps de GPS, ça permet de faire des moyennes entre les sentiers impraticables et les routes chargées. Pas les sentiers trop ardus, impossibles avec mes 30 kg entre les jambes. En voiture on pratique beaucoup l’autoroute, alors toutes les petites routes sont bonnes et safe.
En haut de la dernière shootée à prendre, des dizaines de géants avec leurs bras armés. Ceux que je vise sont absolument immobiles. Je ne veux pas passer près, ni sous, encore moins, de ceux qui tranchent l’air en m’attendant. Une longue route. Ils sont posés sur une muraille, et même semble-t-il sur plusieurs rangs. Je me cache entre les arbres. Ils m’ont sans doute vu. Quand je passais près de l’aérodrome. Je me suis arrêté. Un quart de seconde l’idée d’arrêter tout de suite et de prendre mon jet pour rentrer. Abandonner déjà ? Non ! J’ai encore plein de cuisses à faire. Et puis, je n’ai pas de jet ! Et je crois que je ne veux plus prendre l’avion. Du tout. La dernière fois, j’ai été malade avec 40 de fièvre pendant trois jours après le vol, une allergie.

Filer les Tangentes - Jour 2

Estacion de Palancas (Barracas) - ancienne gare de Santa Eulalia

100 km / départ 9 h 00 - arrivée 20 h 00 presque / D+ 740 / manque les 40 premiers km de stats : CO2- 1092 / Moy 21 km/h
Total km : 217 kils

Belle nuit dans ce camp sauvage avec ce vieux rouleur au long cours. 🙏🧡 Calvin ! Café offerte encore quelques conseils.

Mauvaise gestion des batteries, je suis en rade de téléphone, donc de GPS. "The Road will decide". C’est exactement cela Paul. Merci aussi à toi.

La nuit a été fraîche, jusqu’à 14°C. On est à 1000 mètres. Forcément après une journée couverte et d’averses. J’ai presque eu froid parfois. Surtout entre 4 et 5. Ou 6. Jusqu’à 7 h 00. Jusqu’au café chaud. Jusqu’à reprendre la route, le chemin, la Via Verde.
Je savais d’où je venais, alors dans quel sens reprendre ce chemin des Yeux Noirs. Je l’ai suivi jusqu’au soir. Trop belle cette voie. Que de couleurs dans ces terres, ces rochers, ces caillasses. Des rouges si denses quand elle n’est pas trop sèche. Des jaunes, des bruns, des gris, des ocres. C’est encore un peu vert par ici. L’altitude, les bosses doivent retenir les nuages qui sont passés et ont fait tomber un peu d’eau.

Chaque jour (ce n’est que le deuxième) j’ai le sentiment qu’il en passe quatre.
Deux fois, à des pauses que je prenais, d’autres voyageurs, espagnols, m’ont consulté, demandé une aide pour leur chemin. Le même que le mien, dans l’autre sens. Alors, je connais. J’ai pu répondre, échanger quelques mots, un peu d’eau dont l’un d’eux manquait, les rassurer sur l’accès au prochain tronçon, à la prochaine fontaine du prochain village pas trop loin devant eux. Buon dia ! Adios !

Enfin, après les 2 premières heures, ou plus, environ 40 kilomètres non enregistrés, au sortir de la via verde, une autoroute, un échangeur, un resto routier. Je rechargerai mon téléphone. Un peu. Suffisamment.

Mais, les tomates, abricots et pêches sortent aussi du frigo et sont aussi fraiches.
J’avais ramassé dans le premier tronçon ce matin, une dizaine d’abricots sauvages tellement délicieux ! Des abricots qui n’ont pas les couleurs mélangées, ils ne sont pas oranges, ils sont jaunes et rouges.

Pour finir sur mon dernier tronçon avant de m’installer abrité du vent et des yeux dans l’ancienne gare de Santa Eulalia, sur la voix verte, une belle rencontre. Et quelques photos. Un troupeau de moutons broute avec leur chien, leur berger et un pote à lui, sur son biclou. Ils se racontent leurs histoires, en même temps que le berger crie et siffle. Je ne comprends pas tout de leurs questions. Ils comprennent bien, je confirme. L’accent ancien du plateau. Je prends les bêtes et un peu les deux gars aussi. De donde vienes ? A donde vas ? Oulala !!!

Et je file encore sur la piste. Ce bout est lunaire. C’est ailleurs. Des champs de cailloux, des herbes, des fleurs sauvages, des chants d’oiseaux.
Il va encore, déjà, bientôt, faire nuit.

Demain, je ne sais pas où je vais. C’est la route qui me le dira.
Ah cool ! Super ! Il y a une putain d’alarme "PIPOU PIPOU" qui sonne bien fort dans la cimenterie à 300 mètres de ma gare. J’espère que ça ne lui prendra pas trop longtemps. Elle était calme et endormie à 20 h 00, ils se remettent au travail à 22 h 00, sous d’énormes projeteurs blancs.
Je me couche un peu plus couvert qu’hier. Les 15°C sur le plateau, la nuit, c’est bon, mais c’est frais.
Hier vers 16 h 00, l’aigle m’a signé un au revoir dans le ciel en quittant les montagnes.

Et puis j’ai installé sur mon arrière le capteur solaire, chargeur de batterie externe. On est toujours sous les nuages et les averses. Ça ne va pas aller vite. Il faut ces outils quand même. Sans, ce serait une autre route. Donc, ça charge. Déjeuner d’une tortilla con semola et une petite assiette d’oreilles de cochons. Aïe, j’ai cassé mon régime végétarien. Ahaha ! Mais l’oreille de cochon, il faut goûter. Chaque village du monde, d’ici jusqu’en Chine, en passant par la Sarthe, le Perche et ailleurs, elles sont différentes.

Un peu plus bas, en faisant le tour de La Puebla De Valverde, déserte, j’ai écrit le petit complément à la journée d’hier. Au resto, je tape tout ce texte. C’est long, les 12 pages de carnet, écrit gros faisant nuit, 8 pages de notes sur le téléphone, à deux pouces, plus les publications.

Retour sur la route vers 15 h 00. Je lâche le sentier, ça ne roule pas très vite et pour aller jusqu’à Terruel, après le dernier col à 1200 m., ce ne sera qu’une longue descente.
Une longue descente à 50. Il faut bien tenir la roue, le guidon, la route. C’est un jeu d’équilibre. On ne sent rien du tout en automobile à 50. Sur un demi centimètre de pneu, un peu plus. À Terruel, je tente de trouver de quoi me faire le dîner du soir. On dirait que le lundi est un second dimanche. Mais il n’y a plus de fêtes, même les bars sont fermés, tout est fermé. Sauf les boutiques de construction.

Je calcule mon dernier tronçon. Il y a encore la Via Verde. Au départ, dans les quartiers des industries, c’est du sable. Niet. Je suis trop lourd. Alors là route. Droite, toute droite. Et plate, toute plate. Sur le plateau, 10 kilomètres entre 990 et 1010 mètres d’altitude, je roule à 35. Bien lancé, ça trace. Quelles jambes ! J’avais un peu aussi le vent dans le dos, merci l’aigle, merci Éole.

Dernier village, 18h. Dernière chance de remplir mon sac et ma gamelle ce soir. Encore un labyrinthe. Sur la Plaza Mayor deux banques, un assureur, une pharmacie. Zéro commerce, ni même un bar. Ça monte raide, ça descend, ça tortille. Ouf, une supérette. La dame m’échange ma canette chaude contre une bière du frigo.
Gracias !

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Pour aider le projet :
"Filer les Tangentes" sur KissKissBankBank.
https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/filer-les-tangentes-fddc748b-9172-41b0-9964-aed596c48311.