dimanche 27 février 2022

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De l’incertitude qui vient des rêves

, Marie Barbuscia

Dans son œuvre « De l’incertitude qui vient des rêves », Estefanía Peñafiel Loaiza fait échos aussi bien au prologue cinématographique du Chien Andalou (1929) par Buñuel et Dali qu’à l’essai éponyme de Roger Caillois rédigé en 1983.

De l’incertitude qui vient des rêves

Nous devons donc en conclure que l’artiste brouille les pistes de lecture sautant d’une citation à une autre puisque c’est ainsi qu’elle s’est forgée l’œil. D’autant que Luis Buñuel et Salvador Dali sont deux figures qui se font de l’œil un sujet qu’ils n’ont cessé d’entrevoir au couteau : le regard et sa mise en scène. Ce regard comme un tiers fait figure d’acteur sur l’horizon oculaire des spectateurs. Il est vu, entre rêve et réalité, entre fiction et vérité. Il est en présence dans l’œuvre saisissante « De l’incertitude qui vient des rêves » de Estefanía Peñafiel Loaiza.

Que faire de l’image d’un fin couteau de cuisine à barbe tailladant lentement avec une régularité mécanique cet œil en fine lamelle, provoquant sous le coup de l’exécution, l’ouverture obscène de ses filaments visqueux. C’est cette attractive répulsion hissée comme fantasme absolu qui est précisément libéré et exhibé dès la sortie du film et qui ne cesse de troubler encore ses héritiers.

Photogramme du Chien Andalou

Dans le reflet au creux d’une rétine, cette scène si particulière du Chien Andalou sur le cristallin de cet œil-ci rend ici plus qu’ailleurs les nerfs optiques. S’ouvrir, se refermer, l’œil est intentionnellement un fugitif en lieu clos. Que faisons-nous d’une telle rétention ? Nous rabattons nos cils sur la cruauté du geste et nous la faisons entrer en nous tel un souvenir évanescent, toujours prêt à se raviver à la moindre sommation du film de Buñuel ?

La grogne du Chien andalou tient en quelques images qui fragmente la nature même du « regard » ? Et si, nous participions involontairement à cette hallucination collective ?

La lame à l’œil : En quoi l’association surréaliste tient-elle du politique ?
La tâche s’annonce difficile tant nous nous l’occultons. Ce qui crève les yeux rend le paradoxe d’autant plus complexe pour y voir clair.

De l’incertitude qui vient des rêves film de Estefanía Peñafiel Loaiza, 2018

Au commencement était le grésillement, le noir absolu, ses bruits sourds qui agissent comme autant de preuves que la machine a disjoncté. Les oreilles n’ont pas de paupières mais « L’œil écoute  » écrivait quant à lui, Paul Claudel — et ce que nous entendons visuellement, c’est le désordre de ce qui est en train d’advenir, ce chaos qui nous sautera ensuite aux yeux. La camera fait ses réglages dans un flou d’apparat. On croit reconnaître les sonorités du reproductible qu’elles proviennent de l’obturateur d’un appareil photographique ou de la mise en rut d’une imprimante. On sent qu’un visage de femme s’imprime en nous sans qu’il soit possible d’en distinguer les contours. Et puis, un œil en gros plan surgit sur lequel se greffe l’image de sa contemplation. Avec elle, l’éternel retour de l’obsédante image dans la cornée de cette femme qui est vue de profil de sorte qu’elle pense davantage encore qu’elle ne regarde : La tension attentive.

La vidéo est ensuite focalisée sur l’impression de la rétine qui fixe non sans clignement au-devant de la projection dans laquelle figure l’œil qui va vers son sacrifice, il s’agit d’une réduction de la séquence de l’œil du Chien Andalou de Buñuel. Si l’élément saillant du film du Chien Andalou tient en une infime seconde sur la pellicule montée, il est impossible de ne pas le relier aux scènes précédentes et celles qu’elles génèrent. Or, Estefanía Peñafiel Loaiza se concentre sur 4 images en particulier qu’elles isolent de la série. Elle ne présente que l’œil ouvert d’une jeune femme dont le nom d’actrice n’est autre que Simone Mareuil (mar-œil), la lame de rasoir, le passage du nuage (formant un écran noir sur la rétine de la femme) et successivement l’œil de veau lacéré.

Énumérer des parties, c’est voir dans le détail. Le sens propre du détail sale, c’est « couper en morceaux ». Dans les deux cas, l’œil est une partie isolée cherchant son paroxysme. Les yeux sont isolés du corps. Ils s’incarnent en dehors de la totalité, ils sont présentement la totalité. Dilacéré l’œil revient à hacher le symbole de la conscience entraînant tout un réseau d’images agressives qui ne sont pas sans frapper l’immensité céleste de sa scabreuse vérité comme chez le cas dans « l’Histoire de l’œil » de Georges Bataille :

« Cette fêlure ouverte au sommet du ciel, apparemment formée de vapeurs ammoniacales devenues brillantes dans l’immensité – dans l’espace vide où elles se déchirent comme un cri du coq en plein silence – un bœuf, un œil crevé ou mon crâne ébloui, collé à la pierre, en renvoyaient à l’infini les images symétriques » [1]

Dans le Séminaire XIII, Lacan voit à travers « l’Histoire de l’œil », une inquiétude chez Bataille qui relève de «  l’intimement authentique du politique » décriant par là le fait que ce soit un «  roman qui passe pour sulfureux ou érotique ». J’entends dans un « roman qui passe » - non pas simplement un roman à qui on inflige une prétention qui n’est pas la sienne comme enfermé dans son passage – mais la possibilité donnée par Lacan d’entendre que ce roman n’est ni « un roman de passe-passe sulfureux » et ni « un roman de passe érotique ». Ce n’est pas pour rien qu’un rapport direct est établi avec le spectateur tant dans « L’Histoire de l’œil » que dans la vidéo « De l’incertitude qui vient des rêves ». Ce rapport est troublant et troublé à la fois, afin de toucher au plus près du regardeur : sa cornée. C’est ce que tente de saisir Estefania Peñafiel Loaiza en interrogeant la réception des images.

Agrippé à l’œil, c’est la tension entre eros et thanatos, un duel attraction/répulsion qui fait une percée à nu. Dans la « Belle du seigneur » d’Albert Cohen, le désir d’ouverture se métamorphose sous un battement de paupières entre Ariane et Solal contenant déjà l’alarme funeste :

« En notre vie mortelle, il n’est d’autre vérité que le chevauchement, tout le restant n’étant que lanternes et fariboles. Car l’homme ne vit que durant un clignotement de paupières et ensuite c’est la pourriture à jamais, et chaque jour tu fais un pas de plus vers le trou en terre où tu moisiras en grande stupidité et silence, en la seule compagnie de vers blancs et gras comme ceux de la farine et du fromage, et ils s’introduiront en lenteur et sûreté dans tous tes orifices pour s’y nourrir [2] ».

Cette rencontre ainsi décrite sous le sceau de la condamnation n’est pas sans lien avec l’angoisse de putréfaction des corps et celle de la pétrification du regard qui interrogent nos réactions les plus instinctives. Dans la phobie de l’énucléation, on retrouve l’angoisse païenne du « mauvais œil », élan superstitieux d’un sujet timoré pensant déjouer les fatalités par des phrases ou objets talismans, pour ne rien perdre du contrôle sur l’aléatoire des événements.

Capturer l’action de visionnage, c’est oser la mise en abyme à la fois d’un même médium et d’un même sujet. Ces superpositions nous intriguent autant qu’elles font écran à l’écran. Un écran de verre sur nos yeux ahuris ?

C’est parce que nous sommes devant un œil-miroir, placé non pas frontalement mais l’un dans l’autre, générant un jeu de reflet et de dédoublement des images dans lequel le spectateur plonge son propre regard : « Le narcisse aura besoin de son miroir tout au long de sa vie : du germe à la fleur, puis encore jusqu’à la flétrissure. Par l’œil, se confirme la coïncidence persistante d’un « espace irrationnel du vécu intérieur avec l’image spéculaire, comme si le contenu devait être confirmé par l’apparence du contenant. » [3]

Tout se recouvre, découvre, s’ouvre et nous nous y retrouvons au bout comme pour se jouer du regardeur qui se défie ensuite de ce qu’il regarde. Estefanía Peñafiel Loaiza ne cherche pas l’approbation des spectateurs puisque l’œuvre en elle-même les contient en tant que témoins oculaires. L’œil garde en elle sa fonction de récepteur, nous nous regardons regarder et être regardés par ces mêmes regards. Nous percevons également l’entaille dès la fine touche de l’aiguille sur l’intérieur de l’œil mais que fait le regard qui voit la coupure ?

Il plie peut-être, il bat des cils sûrement mais ne rompt pas car il espère le montage, d’une illusion confectionnée, et ce même si ce sont nos invisibles blessures qui nous contemplent désormais. Regard et coupure sont au centre de la superposition des images qui avancent vers nous. Dans ce face à face violent, le regard est comme un espace vitreux qui donne à voir les principes de vie et de mort rassemblés et opposés dans un jeu continuel de passe-passe. Dans la cloison des yeux qui se ferment contre le battement d’une porte, le sujet intériorise un retrait ou une aventureuse quête en réussissant à se soustraire de l’agitation des images.

Re-voir – l’éternelle souvenir des images qui s’inscrivent sur nous, les paupières closes.
Re-voir – les yeux grands ouverts, les pupilles dilatées en action de capture de l’image.

On note aussi l’incomplète vision des jeux de regard dans la vidéo de Estefania Peñafiel Loaiza, toujours tronquée étant réalisée à travers la réception d’un œil et non pas d’une vision binoculaire. Ce qui dresse le portrait d’un œil semblable à celui qui voit à travers la serrure des portes à fantasme tels des boites de Pandore où se renfermeraient tous les maux de nos excédents. L’œil de porte, ce judas maudit n’est pas sans évoquer le verrou de l’interdit. C’est à travers ce judas que notre traîtrise apparaît, ce regard se tourne vers ce qu’il ne devrait pas voir, pis encore, il se laisse traverser par l’imagination. Regarder par le trou de la serrure, c’est chercher à lever le voile sur un secret, c’est entendre aussi que ce moment est lié à une « sécrétion » car on ne saurait oublier que l’œil est une zone érogène qui ne gêne pas l’éros à se déployer. La vision reliée au désir est pénétrante allusion. Il y a dans le fait de « lorgner », l’idée du « borgne » qui s’avance et qui en déviant du regard devance son viseur en déviance.

Dans le texte de Bataille comme dans la vidéo de Buñuel et d’Estefanía Peñafiel Loaiza, on regarde moins que ce que l’on aperçoit rapidement en quelques scènes. Aussi, « apercevoir » fait pendule sur l’expression d’un désir et le trou béant d’une blessure. « Qui aperçoit désire, est blessé [4] », voilà ce qu’écrit Georges Didi-Huberman dans son ouvrage « Aperçues  » fragmenté de ses propres perceptions. Il ajoute qu’«  Apercevoir serait saisir au vol, dans le réel, quelque chose qui a rencontré – est venu soutenir soudain, ou contredire soudain – notre désir ». Le regard et le désir sont deux bombes à retardement. Ce qui va dans le sens du temps pour Bergson pour qui le souvenir d’un présent passé s’ajoute toujours à un nouveau présent.

L’œil supplicié capte le regard, le convoque à l’interdiction d’un voir davantage. Il est seul face à un désir paradoxal qui sera dès lors intériorisé. Ce regard transgressif place le désir en un objet de torture qui n’est pas sans rappeler le regard du rêveur qui s’accroche dans l’inconscient en se faisant l’expression des désirs non avoués. Cela pose le problème de l’attribution : à qui appartient vraiment ce qui se raconte les yeux fermés de bouche à oreille ?

Ce sont les fameuses histoires de Caillois dans « De l’incertitude qui vient des rêves » qui posent le constat de la nature réelle ou irréelle de tout songe. L’œil refermé conserve l’image, elle imprime sa trace sur le bloc opératoire du souvenir pour faire le vide comme par devers nous.

Dans une démonstration assumée, Caillois se propose d’évider le sens du rêve de son souvenir pour ne rien perdre de son côté illusoire en le mettant sur un pied d’égalité avec la réalité. Dans « De l’Incertitude qui vient des rêves », il indique vouloir « tirer au clair ce qui, de droit, appartient à l’obscur [5] » entraîné par un désir raisonnable de « trouver du significatif à l’insignifiant » à travers une question lancinante : « Où est le vraisemblable si la réalité prend des allures labyrinthiques de rêve éveillé ? »

L’œuvre semble ainsi mettre le rêve à l’épreuve. De sorte que les mots de Caillois résonnent encore en images chez Estefanía Peñafiel Loaiza : « Dans un cauchemar, les dangers auxquels le dormeur se voit exposé, les sévices qu’il croit subir, certes, sont imaginaires, mais non pas son angoisse et son épouvante [6] » qui elles sont eux bien réellement éprouvés. Or, il y a une tension supplémentaire à cela, l’authentiquement vécu a lui aussi un complice fictionnel qui émet une hésitation dans le réel. Ce qui lui permet de conclure qu’« il faut consentir que la mémoire n’est pas immanquablement en mesure de distinguer avec certitude le souvenir du rêve et le souvenir de la réalité [7] permettant de poser que la réalité est un rêve imbriqué à son souvenir mis à mal par une mémoire défaillante et des mises à jour perpétuelles : Les souvenirs s’érodent, les détails se pendent au diable, l’horlogerie est en roue libre.

L’incertitude qui nous vient des rêves, est similaire à celle qui provient d’illusions en pagaille, d’illusions en Bataille lorsqu’elles se projettent à nos yeux obscurcis sur la réalité caverneuse. Et pourquoi rêve-t-on ?

On rêve, comme abandonné à soi-même pour s’échapper de la fatigue du monde qui nous peuple, par « horreur de l’habitude [8] » ou désobéissance civile face aux règles du réel. On rêve, là, où l’esprit demande son laissez-passer.

Le testament d’Orphée
un film de Jean Cocteau

Nous les Matières à Rêves Shakespeariens à la passivité du dormeur si proche de celle du regardeur, nous ignorons que l’inconscience agit comme la fuite évanescence d’une aspirine.

En somme, le « ça » me regarde autant que je le regarde. Les images s’emboitent isolément et se laissent s’évanouir en un rêve. Il s’agira ensuite de relier l’ensemble pour donner sens au non-sens [9], signe au vide qui surgit sans transition ni raison en des paillettes scintillantes encore sous le feu des projecteurs. Le rêve en tant que corrélat extensif de l’art est toujours déjà re-création, elle est la poésie qui rend inévitablement vrai toutes étrangetés d’images. Qu’est-ce que le rêve et ses yeux clos dit de la réalité de ses yeux grands ouverts ?

On cherche l’oracle simulacre, la prophétie salive répliquant de réalité dans l’absolu rêvé qui ne saurait dire s’il s’en souvient «  tant l’intensité diffère de l’état de veille et de celle de la rêverie, alertés de conscience, qui a souvenir d’elle-même » [10]. Nous sommes sommés de mettre en mouvement ce ramassis d’impressions flous et de souvenirs passés à l’essoreuse d’un rêve bien neuf. Caillois ajoute qu’« Un scintillement précaire n’a pas de mémoire, ni même d’existence : il n’existe qu’à la manière de l’ombre inconsistante projetée au cinéma sur l’écran [11]. » Ce qui permet de comprendre que « L’ombre ne peut pas se souvenir mais moi qui lui reproche de nier ce qu’elle se souvient, il faut bien que je me rappelle. Or, elle n’est rien d’autre que moi. Comment donc puis-je en même temps savoir et ne pas savoir [12] ? »

Caillois comme Buñuel et désormais Estefanía Peñafiel Loaiza convoquent les pouvoirs du songe, c’est-à-dire qui nous place intentionnellement dans un état d’hallucination qui n’est sans rappeler celui du rêveur pour nous soumettre en victime au sein même de notre docile acquiescement.

Pour faire éclore l’inconscient, le cinéma coupe l’organe de la vision sur lequel il repose. C’est un doigt dans l’œil. La paupière renferme et se referme sur la représentation de la scène de cruauté. L’imaginaire est parfois bien plus cruelle que la vision crue de l’œil coupé. En absorbant en profondeur la scène, on s’en rend coupable ou en ressent du dégoût par la vision même de l’image, fermer les yeux signifie autant un déni qu’une introspection. C’est cette culpabilité qui nous intéresse ici en tant que contrainte morale intériorisée. L’art apparaît ennuyeux si celui-ci ne questionne pas le mal, il se doit de mettre en visibilité les angoisses afin d’en faire émerger les tensions sous-jacentes.

patientèle féminine des leçons du mardi du professeur Jean-Martin Charcot

Soutenir le regard de cet œil qui poursuit son extension face à nous en tentant de dire ce qu’il sait du néant et de son contenant par un rêve infiniment suspendu à son auditoire, c’est convoqué le souvenir presque halluciné, d’un déjà vu chez la patientèle féminine des leçons du mardi du professeur Jean-Martin Charcot au XIXe (1825-1893) dont le regard hagard, soumis à l’éternel retour du médaillon hypnotique, constitue encore l’imagier en noir et blanc de la folie. On ferme les yeux des morts comme on agrandit ceux des fous à qui ont attribua une psyché si dévorante qu’elle en est hypertrophique. L’hystérie est ici affaire de représentation. Il s’agissait dans les épreuves photographiques de rendre compte d’un temps d’auscultation qui n’est rien d’autre qu’une construction scénographique visant à mettre en image, un discours sur la folie. De ces regards cloitrés comme le sont ces femmes sous la double emprise de la pendule et de l’objectif photographique, machines à engendrer les actes violents, ne sont pas les exaltées d’antan contrairement aux appareils du progrès légitime qui les oppressent.

De ces «  êtres-anges », rien de stupéfiant que l’artiste Estefania Penafiel Loaiza est réalisé cette œuvre « l’incertitude qui nous vient des rêves » au cours d’une résidence dans un lieu d’arts contemporains (3bisf) installé au sein de l’Hôpital des insensés au XVIIe siècle à Aix-en-Provence. Les lieux de création ne sont pas indifférents aux attitudes et expériences qu’ils héritent. Dans ces lieux hors de tous les lieux, l’hôpital psychiatrique est un contre-emplacement ou l’ancrage même d’une hétérotopie foucaldienne ne pose pas question. Souvenons-nous qu’au ras du visage exposée dans l’œuvre d’Estefania, il y a l’œil d’une femme qui voit et se perçoit dans le regard d’une autre femme. De sorte, qu’il serait aisé d’y voir dans la cavité de la femme, l’œil caverneux en quête de projection intériorisée d’une extension visible d’elle-même.

Or, être libre, ce n’est pas être fonctionnel sinon d’un couteau dans l’œil, on se retrouve éborgné. À croire que le libéralisme est la libération des passions et pulsions procédant d’une perversion qui se nie [13] ou qui sait foutrement bien se mettre le doigt dans l’œil. Voici, ce que je crois être «  l’intimement authentique du politique » sous les prunelles de l’ensemble des artistes cités. C’est, peu ou prou, vivre cet œil en soi-même !

En conclusion, il nous faut croire en une percée dans la multiplication des regards renfermée en cette vidéo et appliquer le brûlant conseil de Flaubert sur la nécessité de se refuser à une lecture univoque : «  Et crève toi les yeux à force de regarder sans songer à aucun livre (c’est la bonne manière). Au lieu d’un, il en viendra dix, quand tu seras chez toi à Paris. Quand on voit les choses dans un but, on ne voit qu’un côté des choses » [14].

Notes

[1Georges Bataille, « Histoire de l’œil », L’imaginaire Gallimard, p.5

[2Albert Cohen, « Belle du seigneur », p.566

[3Annie Anzieu, « œil et peau », La femme sans qualité, p.26

[4G.Didi-Huberman, « Aperçues  », p.81

[5Caillois, « L’incertitude qui vient des rêves  », première publication Gallimard, 1956 ; réed. Coll. « Idées », 1983, p.619

[6Caillois, Op.Cit. p. 630

[7Caillois, Op.Cit. p. 628 »

[8Testament d’Orphée, dernier film de Cocteau

[9Bataille ajoute : « Il est difficile de laisser entendre à quel point “le désert” est loin, où ma voix porterait enfin, avec ce peu de sens : un sens de rêve. » Georges Bataille, « L’expérience intérieure », p.41

[10Caillois, Op.Cit. p.636

[11Caillois, Op.Cit, p.661

[12Caillois, Op.cit. p.661

[13Dufour, « La cité perverse », p.147

[14Flaubert à Feydeau, 4 juillet 1860, Correspondance, t.III, pp.96-97