dimanche 20 décembre 2015

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Ce qui borde la mer

, Étienne Diemert et Guillaume Fandel

Répondant à une commande du conseil général de Moselle sur le thème de la mer du Nord, le photographe Guillaume Fandel a longé ce littoral jusqu’aux îles de la Frise et à la mer des Wadden (déjà imagée par Johan van der Keuken dans “La Jungle plate” en 1978).

Sur les rivages de la mer du Nord, il n’y a pas de « bord de mer ». L’expression désigne le plus souvent un lieu de villégiature, une côte fréquentée, une plage populeuse —présence multiple et profuse. La visée de ces photographies est autre : rendre compte des confins du territoire, d’une langue de terre sauvage ou désertée, d’un bord littoral ; s’exposer en tant qu’observateur à l’effet de bord. Mais que recouvre cette formulation ?

Dernières nouvelles de l’exploration : tout commence avec une « exposition »,
par laquelle l’observateur décrit une lente avancée vers le paysage et vers l’événement de l’image. Il se porte à la rencontre du lieu, quelles que soient les modalités de cette rencontre ; il s’abandonne à la contemplation d’une étendue dans la perspective d’en enregistrer et d’en interpréter les signes ou les marqueurs ainsi que les bornes (toujours l’étendue est comprise entre deux bornes, deux limites ou deux seuils, qui forment un cadre ou un champ).
Lumières changeantes des Pays-Bas, manteau de neige, camaïeu de teintes effacées ; un lit de pierres semble partager l’eau du sol et courir en courbe vers l’horizon ; deux surfaces vierges s’étendent à perte de vue depuis cette ligne jusqu’aux côtés du cadre.
Dans l’effet de bord propre au littoral, le photographe prend le risque d’un entre-deux ; il n’est plus dans l’enceinte des terres, au mitan ou au milieu d’une géographie, au sein ou au centre de la demeure ; il pose pied sur le rivage, cette frange qui borde la mer et qui voisine avec la distance illimitée, avec l’extériorité. Finis terrae. Ici finissent les terres, c’est le bout du chemin ! Aux extrémités correspondent souvent l’imminence d’un événement, la promesse (ou la menace) d’un dépassement ou d’un accomplissement — et le tremblement qui en résulte dans la psyché… Aux abords de l’île frisonne d’Ameland prévalent silence, dépouillement et dépaysement (au sens de sortie hors du petit pays en direction de la mer, de changement de milieu, de passage) ; mais le punctum [1] de la photographie existe bel et bien, qui conduit les regards jusqu’à l’envol des oiseaux vers la nue. 

L’écrivant est sentinelle qui témoigne de la réalité la plus immédiate, quand le photographe est une vigie qui scrute les lointains pour en recueillir l’image.
Avec une grande retenue, entre finitude et infini, Guillaume Fandel a longé le littoral nord en s’approchant au plus près des signes discrets qui le composent.

Notes

[1Piqûre, point ou petite tache en latin, le punctum a été théorisé par Roland Barthes dans La Chambre claire et désigne « ce qui me point ou me meurtrit », ce qui m’attire et m’atteint au sein de la photographie.

Voir en ligne : Site de Guillaume Fandel.

Texte écrit à l’occasion de l’exposition collective « Voyages, rivages. De la Seille à la mer du Nord », qui a eu lieu à Bruxelles en 2010, à l’initiative du conseil général de Moselle.
La série complète « Noordzee » est visible sur le site de Guillaume Fandel : http://www.askanialab.com/noordzee-1/
Plus de textes d’Étienne Diemert : http://etiennediemert.tumblr.com/