mardi 30 novembre 2021

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Aldo Caredda #21

Lost in the supermarket #21

, Aldo Caredda

Aldo au château de Versailles

Aldo Caredda LOST IN THE SUPERMARKET #21, Versailles from TK-21 on Vimeo.

Versailles, un su-per-mar-ket ! On est proche de l’offense ! Déposer son empreinte en offrande dans les recoins des lieux d’art contemporain, pourquoi pas ! Mais là, à Versailles, au château, dans le château ! Oui, là sous une colonne, aller déposer une trace de sa petite patte de manant, sous les ors de la plus sublime des royautés, celle du grand Louis, XIVe du nom, celle du roi soleil !

L’immoralité n’a plus de limites, l’indécence non plus ! L’immensité de la gloire outragée par la minuscule trace d’un doigt anonyme dont le nom du propriétaire s’effacera à peine aura-t-il quitté ce monde ! Et en plus, il faudrait trouver cela intéressant ! S’en réjouir ! Et même y trouver un sens !

Le monde tourne à l’envers, il n’y a plus aucun doute !

Puis surgit la question, comme jaillissant d’un gouffre mental qu’on n’avait pas vu et qui dormait jusqu’à ce jour dans la plaine ravagée de nos âmes. Ce geste, immoral par sa petitesse même, cette offrande minuscule, ne s’adresseraient-ils pas malgré tout à une sorte de divinité ? Un dieu ? Mais quel dieu ? À une image ? Quelle image ? Rêvée dans un rêve renversé par le doute ? À un saint ? Mais alors un saint de pacotille !

Rien ne peut excuser une telle offense ruminent les mânes de ceux qui vécurent ici et de ceux qui prétendent en être les augustes descendants. Rien ! Et de se transformer immédiatement en Érinyes et de tenter de poursuivre le coupable de leur infinie vengeance.

Trop tard ! Elles arriveront trop tard ! Nous le savons bien nous qui avons assisté à la scène. Car l’homme de dos, l’anonyme des villes, l’homme traversant les foules erratiques défilant sur la terre comme dans les rayons d’un su-per-mar-ket et leur opposant son dos et son geste, cet homme a déjà disparu.

Pris en flagrant délit et mis aux arrêts ?

Rien de tout cela n’est vrai. Rien de tout cela n’est possible.
Subtil esprit agitant la soupe du néant, il est allé après avoir déposé un morceau de son histoire dans les archives de l’Histoire, tout simplement droit devant lui, sans hésitation, sans remords aucun, car il sait qu’il n’y a pour ce monde qu’un seul soleil. Et c’est dans le soleil que pas après pas, en une extase silencieuse, à peine troublée par les babils des âmes errantes, que là, devant nous, là, sous nos yeux, là, pour nous, oui dans l’immensité infinie de la lumière, il se dissout, s’efface, et s’installe dans nos mémoires comme une apparition aussi légère qu’une hallucination à laquelle on n’a pas eu le temps de cesser de croire.