lundi 28 août 2017

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Pascal Payen-Appenzeller - "Image Icône"

Qu’est-ce aujourd’hui que l’Image-Icône entre Europe et Asie ? Extraction et singularité. De l’Inspiration.

, Hervé Bernard et Pascal Payen-Appenzeller

Pourquoi le titre d’« image icône » ? Une réponse contradictoire, face au déferlement des images, et la suite d’une réflexion d’un de mes amis artistes Richard Marti-Vives, qui, peignant à l’huile sur le thème du code de la route, me dit : Pourquoi peindre ?

L'architecture de la Communication — Image Icône entre Europe et Asie from BERNARD Hervé (rvb) on Vimeo.

Parce que quelqu’un qui passe devant, se demandera, qui peint ces énigmes qui ne sont pas directement le code, mais son action d’artiste, pour arrêter le temps du regard.

Alors le rapport à l’icône ? Il ne s’agit pas d’une image multipliée. L’icône, pour l’église orthodoxe, est un lieu de contemplation, une apparition unique du vivant, qui par la prière de l’artiste, extrait du temps qui n’est pas l’immortalité, ni l’éternité, en est la présence vivante.

EUROPE ASIE

A partir du moment où je parle d’image icône, je donne de l’importance non pas à l’image mais au regard que j’ai sur cette table.

Je vais vous montrer des œuvres, où il s’agit du rapport entre Europe et Asie. A ce titre je vais vous montrer l’œuvre de Tang Haiwen, dont l’œuvre s’est répandue post mortem, et celle de Richard Marti-Vives.

Lorsque nous nous sommes rencontrés avec Tang Haiwen, il m’a appris à partir des pictogrammes, ensuite des idéogrammes, à écrire le chinois, il m’a appris en m’indiquant bien que ce que vous avez sous les yeux est une variation sur les pictogrammes d’origine. Cette icône, car il s’agit bien d’une « icône », était conçue dans un tout petit atelier, de la rue Liancourt, où régnait le silence, accompagné de thé fumant et de la musique de Mozart.

Il travaille le noir et le blanc dans la journée, en couleur la nuit, le noir et blanc sur des papiers forts, la couleur sur des papiers de riz la nuit. Présence mystique et opérative du paysage pour l’Asie, et du visage pour l’Occident, avec des correspondances avec la calligraphie pour l’Asie, et l’oraison pour l’Occident.

J’alternerai avec les œuvres de Richard Marti-Vives pour établir ce rapport entre Orient et Occident. Ma présentation correspond à un moment de ma pensée, mais la pensée de ce matin n’est pas la même que celle d’hier, car nous sommes en transit permanent. Cette image que vous avez devant les yeux, vous pouvez la traverser de gauche à droite, vous pouvez plonger au milieu, nager à l’intérieur de l’espace, y voir des plantes, des roseaux et des fleurs, voir donc l’image imaginante.

Ce triptyque est évidemment un paysage, mais ce paysage que contient-il ? Des états d’âme. Marie José Mondzain dit très justement que, l’état du bébé, celui de l’enfant, (je vous rappelle que enfance en latin « celui qui n’a pas la parole ») est celui de l’image, des images plus ou moins brouillées. L’enfant en effet entend des sons, l’image son, qui préfigure son oralité, avant le code de l’écriture (l’écriture, l’un des enjeux de l’humanisation).

Autrement dit, puisqu’aujourd’hui nous sommes revenus au temps de l’homme sauvage, de l’homme instinctif, de l’homme sans culture de l’homme naturel, ce que même Jean-Jacques Rousseau n’avait pas conçu, vous profitez grâce à ses images d’une zone de calme, le monde flottant. L’idée de cette image est de créer un environnement, exactement quelques chose qui suggère à votre pensée non seulement que c’est une écriture, mais que cette écriture est à lire comme vous le souhaitez, c’est une écriture ouverte, qui préfigure les pictogrammes.

Il y a une manière de s’exprimer dans le silence : lorsque nous sommes en face de ces œuvres, elles nous permettent de suspendre le temps, une des questions capitales pour l’image, cette suspension du temps. Il est évident que l’espace et le temps sont conjoints. J’enseigne à mes étudiants que la grande mutation, entre le début du XXe et le début du XXIe siècle, consiste dans le fait que nous sommes passés du temps de l’espace à l’espace du temps. Le temps nous importe désormais plus que tout.

Nous sommes là devant quelque chose qui est évidemment sans fin, ce qui est important dans la notion d’icône. Ce n’est pas seulement une présence interprétative bien évidement, mais aussi un ensemble de signes spontanés liés aux gestes, le plus près possible, du vide total au moment de la création.

Le peintre Matthieu avait avancé l’idée que l’on peut lancer un geste sans le penser, ce qui sur le plan neuronal est invraisemblable. Penser le vide, plus un laisser-aller volontaire, tel est le socle.

Laisser poser ce qui vous traverse, ce que l’on ne voit pas, ce qui n’est pas de l’ordre de la vision, ni de l’incorporation. Une sorte de relation étroite où l’homme devient création. Quelque chose de l’ordre du dedans.

Les signes, que vous avez sous les yeux, sont une évidence. Je m’y attarde un instant car il faut rester longtemps devant une œuvre et lentement la quitter. Ici toute la surface vous est donnée, c’est-à-dire l’intervalle. Althusser a prononcé cette parole remarquable « Tout est dans l’intervalle ». Très peu d’occupation visible de l’espace, et, par contre, ces grandes traînées comme des nuées à l’arrière. L’artiste, dans sa jeunesse, avait pratiqué la première technique chinoise, la technique de la représentation méticuleuse du portrait.

Tang partit ensuite à la rencontre de l’abstraction lyrique. Ce dessin n’a pas de plein, ni de délié. Avec Tang j’ai appris un geste : le moment où la main parle. Il m’a appris que lorsque je commence un trait, je dois le poursuivre avec la même intensité, sans conscience de quelque faiblesse ou épuisement.

Voici, une œuvre de Richard Marti-Vives, translation d’un panneau de circulation, étirement de la forme dynamique, qui part en réalité d’une figure banale, pour nous donner la plus grande impression du réel.

Alors que le tableau précédent était de l’ordre de la réalité, celui-ci appartient à l’ordre du réel, le réel urbain. Je retiens cette parole remarquable de François Zacot, anthropologue, qui dit : « L’imaginaire est le réel ».

Le code de la route, pour les étrangers ou une expression de la France, et donc de la langue française. La manière dont on explique un code par une image commune à tous, et qui se traduit dans les ordres que l’on se donne à soi, même si l’on passe par la langue pour interpréter et formuler. Ainsi nous passons du cri de l’enfant à la parole.

Entre Occident et Orient, il y a aucune différence. Contrairement à l’énergie spontanée de Tang, ce que vous avez sous les yeux est très savant. Nous allons des fractales énigmatiques, aux figures élastiques, produites par la science.

Où se trouve la science ? La science de cette préparation, de ce travail de contrainte (vous êtes devant une œuvre de contrainte)… Œuvre fermée, mais ouverte à l’intérieur, (l’autre est ouverte à l’extérieur), elle constitue le tempérament et la recherche. Le point commun entre les deux : elles portent à l’imaginaire. Aujourd’hui entre Occident et Orient, compte tenu l’internationalisation des communications, leur trait d’union : être contemporains.

Chez les artistes contemporains, la recherche est concomitante de la culture qui nous permet de voir d’où nous venons, les différences, et les inter-influences en l’occurrence. Chez ceux qui travaillent dans le silence, qui ne cherchent pas à exposer à vingt, trente ans. Une erreur profonde, car il faut le temps de la maturité, de la recherche, le temps du silence et de l’image icône.

Je vous présente Sebastieno di Borgo, le collègue, le protégé, le collaborateur de Michael Ange. Nous sommes au XVIe siècle. Cette fameuse Pieta, il se trouve que Sebastien di borgo et Michael Ange ont travaillé ensemble. On s’est très longtemps posé la question de l’attribution.

De quoi s’agit-il ? Une sorte de prière-extase. Le bas du corps est un socle, sur ce socle s’élève le buste. Construction pyramidale, un fond ténébreux enfonce ce visage qui centre l’ensemble. Ce visage est-il différent de l’icône ? (c’est qu’il est en mouvement par la gestuelle qui l’accompagne, alors que l’icône est normalement liée à l’immobilité). En l’occurrence, mon regard sur les tableaux et sur la manière dont un artiste travaille (j’ai montré que le visage est lié à l’oraison : il est lié au mystère de la vie intérieure). Tout à l’heure vous découvrirez des éléments en surface, en flottaison qui pouvez vous faire penser au monde de l’eau. L’icône par destination lie le visible à l’invisible.

On dit à plus ou moins juste titre que l’image est le message de la Contre-Réforme. En l’occurrence il y a quelque chose qui est très juste la dedans, mais qui est insuffisant, parce que si l’invisible n’était représenté que par des sentiments, ce serait tout simplement une expression. Bien au contraire il s’agit de l’intériorité, du mystère en pèle-mêle iconographique.

Alors je pose tout de suite, la question de l’extraction : qu’est-ce que nous allons extraire ? Et serait extrait par l’artiste ?

Cette part d’ombre qui traverse le buste est comme un insigne, et divise la lumière en deux parties. Rôle très important de l’ombre qui fait éclater la lumière, quelque chose qui, dans l’œuvre de Tang Aiwen, reste sous-jacente. Alors qu’ici la lumière est espace, et c’est un moment, un instant donné. Ce que vous avez vu est fait d’un instant, mais il ne se représente pas comme tel. Ayant quitté le mode d’expression hyper réaliste. Tang Aiwen a pris partie pour l’absence de l’humanité. Lorsque nous regardons une icone nous avons tendance nous en occident tendance à voir toujours un visage et une personne. Personna, la personne masquée.

Je voudrais revenir un instant à ce qu’est une véritable icône. Pièce qui représente le Gourou Ribochet, (pièce venue du Tibet et inspirée de l’Inde), en un maître bouddhiste du VIIIe, Lieu de vénération, de présence. Le maitre du VIIIe ainsi representé au XVIIIe avec une richesse de moyens, rappelle les icônes tsariste du XIXe et opulence.

Quant au problème du face à face que l’icône représente. L’image d’aujourd’hui est-elle un face à face ? Elle est toujours un face à face symboliquement : lorsque nous voyons l’enfant mort sur la plage que ce soit une image manipulée ou non, nous sommes effectivement dans un face à face, mais psychologique. Ici prédomine un aspect frontal, le combat. Sa singularité est unique, et je la rends unique par cette confrontation, et la reconnaît comme la seule compagne et inspiratrice.

Le mot « confrontation » dit bien que nous sommes front à front. Cette singularité du combat singulier, singulier n’est jamais pluriel, n’est donc pas d’ordre sociologique, et ne se partage pas. Le langage que je tiens naturellement, vous êtes parfaitement autorisé à ne pas le comprendre, et à ne pas l’accepter à le refuser puisqu’il s’agit du mien.

Si je suis en face de cette figure, je la choisis parce qu’elle est bleue et parce que ce monochrome me plonge dans l’indistinct, l’ une des leçons que j’ai apprises de Tang.

Et maintenant de nouvelles icônes de Tang, qui n’ont rien avoir avec le prédécesseur et qui nous fait assister au combat des formes. Passant des zones de calmes à celles de tempêtes, très souvent venait à Tang l’idée du Dragon : l’idée chimérique qui contient toutes les formes de vie, issues du chaos d’existence. L’instant de l’œuvre, au contraire de la première œuvre quasiment vide, occupe tout. La première est dubitative, la seconde est lyrique.

La réalisation est extrêmement rapide qui dure une heure. Très maitrisée, l’encre est dirigée, en même temps que l’artiste la laisse s’étaler. Vous voyez qu’entre les deux formes animales, se glisse un pictogramme écriture associée à l’image, cela pour l’histoire du sens.

L’image icône, comme toutes les images, est un récit. La différence entre récit et histoire :l’histoire est articulée, le récit elliptique.

J’ai toujours lu cette image très violente, comme l’indicible chez Tang, peintre mondain et peintre pauvre, avec une forme de communication avec les forces supérieures. Il ne s’agit plus ni de l’image ni de langage, mais de vitalité. La transcription de la vitalité sans intermédiaire est le pendant de la contemplation .

Comme le dit encore Marie José Mondzain, le lieu géométrique dans toute l’histoire de l’art n’est pas seulement la recherche du mystère, mais la représentation de la violence. Une violence qui met en sélection la décollation de Saint Jean-Baptiste, et celle de Daesh, qui inventent les icônes de la vidéo.

Le Concile de Trente avait souhaité faire figurer une quintessence de violences, le rapport entre l’homme, le mal et Dieu. Les protestants du XVIe ont détruit toutes les églises de France, renversant la totalité des images au nom du Décalogue. Deux versions : l’icône positive et l’icône négative. L’icône idole aurait-elle désormais autorisé Daesh et la communication pour maitresse ?

La grande tentation de représenter non pas l’idéal (la beauté ?). Aujourd’hui tout est subjectivité, et je suis relativisme moi-même, je crois que ce n’est que le sujet qui compte car j’appartiens à mon temps, donc je ne peux plus parler de la beauté ni de d’idéal, mais je peux toujours parler du combat du bien et du mal. Je désire vous montrer cette image car elle manifeste la violence interne sans représenter le mal. C’est vrai, Moise en descendant de la montagne interdit le Veau d’Or parce que le peuple a trouvé dans l’image un substitut à Dieu.

L’image que vous avez sous les yeux comme d’autres que je vais vous montrer, sont des images médiatrices. En ce sens qu’il y a beaucoup plus que l’extraction. Voici une image de Tang, le monde flottant allié au monde violent. Une composition. L’étendue, une fois qu’elle est posée, ne peut plus être changée. Il y a dans la notion d’icône une grande différence avec par exemple un tableaux de Bonnard, très célèbre pour refaire ses tableaux y compris dans les musées. L’icône n’est jamais modifiable.

Cette inspiration qui est le troisième terme de ma proposition, après le singulier et l’extraction, le souffle, traduit une explosion l’esprit en secret. C’est-à-dire qu’au moment même où ça se compose le peintre, (l’artiste), est lui même spectateur : dans le regard, qu’il porte sur la chose est conduit, vers le visage et le signe de (et dans) l’étendue.

Voici une image de Richard Marti-Vives. Perspective renversée, direction, force ? La communion des vitalités, une figure qui vous mène à l’infini. La fuite de l’image est un kaléidoscope.

En réalité ce que vous avez compris peu, à peu dans ce que j’essaie de démontrer aujourd’hui alors que la beauté a disparue, la singularité et l’extraction ont pris sa place. Nous nous trouvons dans le temps de la crisis. En grec, la révélation, Jean-Jacques Rousseau lui a donné le sens de prophétie, de révolution imminente. Toute création d’icônes est crisis puisqu’elle déchire le voile. L’œuvre que vous avez sous les yeux, est traversée par l’espace qu’elle ne le contient pas. L’image icône ne contient jamais, elle est contenue, dans un dialogue permanent entre le contenu et le contenant. On abuse en politique du mot transparence, comme une sorte d’idéal que l’image représente avant qu’elle atteigne la cible sociale.

Chez Richard Marti-Vives, il ne s’agit pas d’un calcul, mais d’une extraction. Il n’y a pas d’image icône sans intention. Il ne peut pas avoir une image qui soit un témoignage, d’une vision du monde, (une lutte armée avec la douleur). La difficulté des manœuvres vient du fait qu’il ne s’agit pas de montrer une image qui avertit du bien des travaux, mais un être humain, qui se bat avec la matière. Cet homme est en morceaux. Ce n’est pas un jeux d’énigme, mais d’humaniste.

J’ai parlé de la poésie qui peut être oraison. Vient de paraître de Beatrice Libert, poète belge, Au seuil de l’ange :

« Celle qui écrit dans la rose insoupçonnée a pris soin de nourrir ses abeilles, de compter les brins de soleil, de les tisser dans la rosée. Petit manteau de silence pour l’herbe et pour le froid et demain sera lu sous ses paupières car demain sera lu dans ta lumière. »

Demain sera lu dans ta lumière. Hymne à l’amour, l’unique remplace le beau.
L’expérience de l’art, Rainer Maria Rilke, l’évoque si justement dans Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, qui se promène rue Notre-Dame-Des-Champs. Il suit une vieille dame, qu’il va dépasser, elle a la tête dans ses mains, enlève les mains de son visage, et se révèle le visage de la jeune fille. Et Rainer Maria Rilke de conclure : « Nous avons tous un visage de jeune fille sous notre temps soit l’icône sous l’image ».

- Vous avez parlé à plusieurs reprise de la beauté que vous concevez comme ayant disparu ?
- Oui, je suis désespéré.
- Moi je ne suis pas désespérée, en revanche je suis perplexe par cette déclaration en forme de certitude.
- Malheureusement c’est la certitude de l’expérience ratée. Depuis plusieurs années, j’ai renoncé à écrire le livre sur la beauté que je souhaitais écrire, car j’ai été élevé canoniquement. Et je croyais à l’impérissable beauté.

Pourquoi la beauté a t-elle disparu ? Malheureusement je n’ai que des incertitudes quand elles sont de l’ordre de l’espérance, mais je n’ai que des certitudes quand il s’agit de désespoir. Je ne suis pas pour autant un disciple de Paul Celan. Mais aujourd’hui nous ne sommes jamais plus de deux. Lorsque nous engageons la totalité de notre être à nous mettre d’accord sur : c’est beau ou ce n’est pas beau, nous restons seuls.

Il faut arriver à une réconciliation entre individuation et collectif. Nous avons tellement individué notre relation au monde que nous ne pouvons pas atteindre la beauté qui est un bien commun. C. Fleury le dit si bien dans « les inséparables ».

- Si je puis me permettre, pour moi la beauté a toujours la notion du tragique, et précisément le tragique ne disparaît pas.
- Vous avez raison. Ce que vous dites est extrêmement juste. Il est possible que la beauté nous fasse vivre la véritable expérience ontologique.
Alors que nous la pensions identité, identification et reconnaissance, l’unité est non plus chacun.

Pascal Payen-Appenzeller est Expert Stratigraphe du Patrimoine