mercredi 26 septembre 2018

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Parallélisme des plans et source imaginale

Six marches ciselantes de Frédéric Atlan

, Frédéric Atlan et Jean-Louis Poitevin

Quand l’escalator, cette fusée des terriens pauvres, apparaît dans la lumière telle une figure de la pensée ...

Six marches ciselantes - Frédéric Atlan from TK-21 on Vimeo.

« Le sol n’est plus » remarque Rem Koolhaas dans Junkspace. Il est devenu escalator qui ne monte ni ne descend, mais transite à travers le cadre de l’image dans les deux sens, équivalence sans paradoxe de trajets sans commencement ni fin. Évoluant en parallèle, ces marches mobiles mettent en scène le schème central qui gouverne la pensée depuis quelques siècles, celui de plans, disons deux, qui se cherchent sans parvenir à se croiser ailleurs que dans les trames de l’imaginaire, celui de la vie incarnée et celui de la vie pensée, celui de l’ethos recherché et celui des actes accomplis.

Jamais acquis, ce parallélisme est le cadre et le modèle qui structure la pensée comme l’action puisque l’une et l’autre se tenant réciproquement en laisse, trouvent dans la molle rigueur de leur lien l’espace même de leur liberté.
Ainsi, un changement de point vue sur le haut et le bas rendu possible par la caméra permet d’accéder à l’offre non consciente que proposent les fabricateurs du Junkspace.

La mobilité de ces lignes parallèles qui jamais ne se touchent ni ne se rencontrent creuse dans le voile translucide du doute, un gouffre. Glissant de droite à gauche et de gauche à droite sans jamais plus monter ou descendre, nous portons au loin dans le non-lieu du hors-champ la possibilité d’accéder au monde psychique qui nous a constitué.

Il semble bien que l’effort concomitant de l’action et de la pensée, de l’action vers la pensée et de la pensée vers l’accomplissement, ne soit plus possible.
L’ultime séquence de ces marches ciselantes accomplit le mystère du parallélisme radical incluant l’infini de lignes qui jamais ne se touchent. Car elles finissent, non par se toucher mais par être saisies dans la matrice qui les engendre au moment où elles paraissent. Reflets, division de type cellulaire, interpénétration des ombres et des corps, indifférenciation des états, c’est dans la zone infra-temporelle des commencements que nous sommes conduits. Et ce que nous ne pouvons pas ne pas comprendre, c’est que nous ne sommes pas au-delà du grand projet de l’éthique, mais bien en deçà.

Le junkspace est un moment de la vie, de la ville, dans lequel la pensée s’est en quelque sorte reconduite elle-même à l’une de ses sources, celle que le concept, la raison et l’argent ont refoulée dans les entrailles de la marchandise. C’est la source imaginale, celle où le désir de l’absolu est encore inconnu et pourtant déjà frémissant. Celle où entre perception et entendement quelque chose se dédouble, se redouble, identique à soi dans la grandeur de son « rien », une image qui pourtant porte en elle les promesses d’une vie multiple ni sensible ni abstraite, mais vivante.