mardi 4 décembre 2007

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II - La chambre claire de Roland Barthes

Séminaire 2007-2008

, Jean-Louis Poitevin

Ce livre est le dernier de Roland Barthes.
Il se situe dans la lignée de la position barthienne post-structuraliste. Il prolonge par exemple un livre comme Le plaisir du texte de 1973. Il constitue cependant une plongée radicale dans la mise en œuvre d’une pensée subjective ou de la pensée comme exercice de la subjectivité.

Introduction

La chambre claire reprend des thèmes et des sujets, des obsessions chers à l’auteur et qui traversent toute son œuvre. La mort de sa mère va lui permettre de catalyser cela et d’une certaine manière de radicaliser un propos et une posture déjà anciens.

La chambre claire est un livre qui a marqué la pensée française sur la photographie.

La première chose qu’il faut remarquer, c’est ce que l’on pourrait appeler le point de vue à partir duquel ce livre est écrit. Ce point de vue est celui du spectateur et c’est le choix de ce point de vue qui permet à Roland Barthes d’inscrire son travail dans le champ de la phénoménologie.

Il faudrait dire en quelques mots ce qu’est la phénoménologie, à savoir une pensée qui ne dissocie pas l’objet de la conscience qui pense et le pense. Il apparaît qu’il est bien possible de penser l’objet mais on ne peut le faire que par un système complexe de projections, d’aller-retours entre cet objet et cette conscience, entre cet objet et l’ego qui le pense, aller-retours au terme desquels on peut s’interroger sur ceci : que la conscience fonctionnerait comme un système d’inférence.

[Husserl publie Recherches logiques, ouvrage dans lequel il expose ses théories phénoménologiques notamment en ce qui concerne les mathématiques. Selon lui, les structures logiques ne peuvent pas se réduire uniquement aux fonctionnements de la pensée. Edmund Husserl soutiendra par la suite qu’il est impossible de dissocier l’objet et la conscience, car cette dernière est toujours « conscience de quelque chose ». Il se plaira alors à analyser la relation entre ces deux entités. Ainsi, l’objet ne provoque pas une simple représentation imaginaire dans la conscience, mais y fait bel et bien surgir toute une subjectivité liée à un vécu, à une expérience. Par la suite, le philosophe poursuivra ses analyses et fera évoluer ses conceptions de la phénoménologie, notamment dans Idées directrices pour la phénoménologie pure (Ideen I) (1913) et dans Logique formelle et logique transcendantale (1929).]

C’est bien ce phénomène de retour ou de choc psychique émotionnel et affectif à partir d’un objet à la fois concret, multiple, unique dans chacune de ses occurrences, que Roland Barthes met en place dans ce livre. Ainsi on passera en permanence de la question d’ordre général : qu’est-ce que la photographie à une autre : qu’est-ce que cette photographie me fait. On a d’ailleurs là la structure de ce livre composé de deux parties à peu près égales, l’une constituant la palinodie de l’autre.

[Une palinodie (du grec palin, de nouveau, et ôdê, chant) est un texte dans lequel on contredit ce que l’on avait affirmé auparavant. Par extension, faire une palinodie c’est se contredire volontairement — ce qui suppose en principe une intention didactique. Voir dans le Phèdre de Platon la célèbre palinodie de Socrate.]

Nous reviendrons sur ce point au moment voulu, mais il est important d’avoir à l’esprit qu’il va y avoir dans ce texte un retournement, une sorte de second plan de la pensée qui va se dégager à partir du premier, mais contre le premier.

Vous vous souviendrez que nous passerons ainsi de la distinction analytique entre studium et punctum qui gouverne la première partie, à la saisie du noème de la photographie, le « ça a été ».

Mais repartons de ce point essentiel et déterminant à savoir la position du spectateur. Elle est à rapprocher chez Roland Barthes de la position du lecteur qui était celle à partir de laquelle il positionnait la nouvelle critique littéraire. Entre la logique de l’œuvre et la biographie de l’auteur, il y avait place pour une émotion particulière qui déterminait le sens même de l’œuvre, l’émotion du lecteur. Sans elle, pas de devenir de l’œuvre dans le temps, dans l’histoire. On est proche alors de la position de Marcel Duchamp sur le regardeur.

Voyons ce qu’il écrit dans Le plaisir du texte, p. 22 à 25.
On voit déjà le type de partage entre ces deux positions, plaisir et jouissance, et on peut immédiatement faire le parallèle avec studium et punctum. On peut alors commencer déjà à esquisser ce que sera la plongée de la seconde partie, la palinodie, le mouvement de descente vers une sorte de vérité absolue ou en tout cas plus essentielle encore, car échappant au piège que constituent chaque posture séparément et leur jeu réciproque.

En fait, je crois que ce livre, si on accepte de l’étudier en détail, va nous en apprendre beaucoup sur une chose essentielle : la manière dont la pensée fonctionne, la manière dont se met en place, par un jeu de projection et de réfraction, un système d’inférences, une sorte d’auto-légitimation du sujet pensant à travers la justification de l’objet que cherche à saisir la pensée.

En deux mots, on peut dire que ce que le sujet retrouve au terme de ce parcours, c’est lui-même, mais un soi qui aurait échappé aux catégories habituelles, sociologiques et psychologiques, pour dire vite, et qui serait rendu manifeste dans ce qu’il a à la fois de propre, de singulier et de communicable, ce qui ne veut pas dire universel.

C’est donc la manière dont se met en place la croyance en l’indicialité de l’image photographique que nous allons tenter de repérer. En effet, il y a des choses qui sont questionnées et d’autres qui sont affirmées, avec délicatesse, réserve, puis par ce jeu de reprises et de retours, avec force comme des évidences et c’est sur ces évidences que se construisent la posture et la position théorique sur la photographie. Position qui sera reprise par la suite comme un dogme, on le sait par tant de gens.

Mais encore une fois, s’il y a croyance, c’est bien parce que Roland Barthes tente une approche de l’image à partir du fonctionnement psychique du sujet et non par rapport à une prise en compte globale du système général de significations dans lequel l’image est prise. (ce que fait, lui, Vilèm Flusser et que Roland Barthes, après l’avoir repoussé, fait rapidement à la fin de l’ouvrage comme pour se justifier).

Le mieux est donc de prendre le livre chapitre par chapitre, de prendre le temps de regarder comment les choses se mettent en place.

§. 1

En gros il y a une idée par chapitre, disons un élément plus ou moins important mais nouveau, c’est-à-dire qui permet d’avancer dans la démarche.
Le point important est l’étonnement devant une photographie. L’étonnement est l’une des « sources » de la philosophie pour les grecs. Il met en place une sorte d’écart, de distance entre soi et soi, entre une émotion et la pensée. C’est là l’annonce de la dimension subjective du texte aussitôt oubliée. C’est la base du punctum.

Puis vient la dimension sociologique et culturelle. Une approche de la photographie par rapport à cet autre média qu’est le cinéma. Ensuite est présenté le moteur de la recherche, la question qui insiste, le désir de savoir, un désir fortement culturel puisqu’il s’agit de savoir ce qu’est la photographie « en soi ».

L’enjeu est donc bien celui-là, dire quelque chose comme une essence de la photographie. Mais en même temps rien ne vient assurer qu’une telle question EST légitime. Le texte va avoir pour fonction de légitimer cet appel, cette question qui est en fait un appel culturel fait au sujet, une manière pour le sujet de répondre à des questions induites par la société, la présence et le rôle de la photographie dans la vie des hommes à la fin du XXe siècle.

§. 2

Il faut donc avancer mais sur deux pattes, celle de la problématique culturelle et celle de la problématique subjective. Les partages ne donnent rien de convaincant. Et d’entrée, on tombe sur les éléments essentiels, mais dits de manière légère, effleurés en quelque sorte.

Reproduction à l’infini mais de quelque chose qui a lieu une fois.
Distinction entre le plan existentiel et le plan ontologique.
Affirmation de la présence réelle du corps (objet) que l’on voit sur la photographie à travers la notion de tuché. La photographie est ici pensée sur le mode de ce qui surgit, de ce qui arrive du hasard mais du bon hasard, de la bonne rencontre.

(Ici, il faut aussitôt sauter au début de la seconde partie. La palinodie tiendrait en ceci que jusqu’alors Roland Barthes n’était parti que d’un partage de type intellectuel et qu’il n’avait pas laissé advenir, dans le texte même, le surgissement. Il y avait réflexion, mais il n’avait pas encore « rencontré » une image qui fut UNE rencontre, LA rencontre, qui soit le Particulier absolu dont il est question, et ce sera une image de sa mère).

Alors, Tuché :
Dans la mythologie, Tyché (en grec ancien Τύχη / Túchê, « chance ») est la divinité tutélaire de la fortune, de la prospérité et de la destinée d’une cité ou d’un État. Son équivalent romain est Fortuna et son équivalent germanique, le Salut, ou Heil.

Tyché décide du destin des mortels, comme jouant avec une balle, rebondissant, de bas en haut, symbolisant l’insécurité de leurs décisions. Nul ne doit donc se vanter de sa bonne fortune ou négliger d’en remercier les dieux, autrement cela mène à l’intervention de Némésis.
Elle est associée à Némésis et à Agathodaemon (« bon esprit »). Tyché Agatha est l’épouse de Agathodaemon. Comme d’autres « abstractions personnifiées », elle est également rangée parmi les Océanides dans l’Hymne homérique à Déméter.

On le comprend, le mouvement du texte sera d’avancer vers cette rencontre sans pouvoir la déterminer, la prévoir, dire qu’elle aura lieu. Et le texte trouvera sa vérité à partir du moment où une telle rencontre aura eu lieu. La structure générale du texte apparaît donc d’entrée de jeu.

Je me suis penché aussi sur un texte d’Alain Harly sur le site de l’association lacanienne internationale. En voici un extrait : « Dans la conduite de la cure du névrosé l’évocation si fréquente du hasard par le patient réclame aussi un examen, de même que cette sorte d’automatisme mental de l’analyste qui le porte à la suspicion quand un tel recours est fait. L’usage dogmatique de la suggestion freudienne de ne croire qu’au hasard extérieur et en aucune manière au hasard intérieur peut ne pas conduire nécessairement le patient à retrouver le chemin de ce qui le cause. Il y a de purs accidents, comme la chute des cierges et l’incendie qui se déclare dans la chambre mortuaire de l’enfant mort. Ce qui ne l’est pas, c’est la formulation du rêve pour le père à son réveil : là, la répétition engage ses effets.

C’est ce qui nous conduit à poser l’articulation de la tuché et de l’automaton.
Le recours au « comme par hasard » n’est certes pas univoque, et l’analyste ne s’y laisse pas en principe duper. Cependant le refus de principe de tout aléa viendrait entériner un pur automaton et à se tenir à l’abri de toute tuché, c’est-à-dire de toute rencontre du réel. L’abolition de tout hasard conduit à une tentative de forclusion de la dimension Autre.

L’effet immédiat de la tuché est le plus souvent celui d’un évanouissement subjectif. La clinique du traumatisme de ce point de vue nous est précieuse. C’est d’abord une mauvaise rencontre, un instant de pur non-sens. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’il devient possible d’en ressaisir quelque chose, c’est-à-dire autre chose : C’est l’articulation entre la tuché et l’automaton qui réintroduit la possibilité de la métaphore. Encore faut-il apprécier à quel type de causalité il est fait alors appel. »

Et ce qui nous intéresse c’est cet évanouissement subjectif. Il va falloir aller jusqu’à ce point de non-retour subjectif, seule manière d’attester, sinon LA vérité des assertions, du moins leur validité et offrir au lecteur du livre un équivalent de ce que vit le spectateur de la photographie.

Le paragraphe 2 est long et il joue un autre rôle, celui de donner la tonalité générale du texte, d’installer la croyance sur laquelle il se fonde :

La dimension déïctique de la photographie, le ceci qu’elle désigne.

L’affirmation que le référent « est », sinon l’image, du moins à coup sûr sur l’image.
C’est la seule certitude ! (ici est l’axiome, ici est le point qu’il ne faudra pas remettre en cause sous peine de voir le château de cartes s’écrouler).

La dimension tautologique.
Page 17, la photographie emporte toujours son référent avec elle ! Elle est liée par son immobilité au cadavre et à la mort, elle est collée à son référent. On est là dans la dimension du mythe, sorte d’arrière-plan que Roland Barthes a analysé dans ses Mythologies et dont on peut lire ceci dans Wikipédia :

Le mythe

Au cours des années 60, dans Mythologies (Seuil, 1957), Roland Barthes s’exclamait : « [...] une de nos servitudes majeures : le divorce accablant de la mythologie et de la connaissance. La science va vite et droit en son chemin ; mais les représentations collectives ne suivent pas, elles sont des siècles en arrière, maintenues stagnantes dans l’erreur par le pouvoir, la grande presse et les valeurs d’ordre. » (Roland Barthes, 1957, p. 72-73) Dans ce livre majeur, il décrit des mythes aussi divers que la Citroën DS, le catch, le vin et le visage de Greta Garbo. Mais il analyse également le phénomène même du mythe.

Le mythe pour Roland Barthes est un outil de l’idéologie, il réalise les croyances, dont la doxa est le système, dans le discours : le mythe est un signe. Son signifié est un idéologème, son signifiant peut être n’importe quoi : « Chaque objet du monde peut passer d’une existence fermée, muette, à un état oral, ouvert à l’appropriation de la société. » (Roland Barthes 1957, p. 216)

Dans le mythe, écrit Barthes, la chaîne sémiologique « signifiant/signifié = signe » est doublée. Le mythe se constitue à partir d’une chaîne pré-existante : le signe de la première CHAÎNE devient le signifiant du second. Roland Barthes donne l’exemple d’une phrase figurant comme exemple dans une grammaire : c’est un signe composé de signifiant et signifié, mais qui devient dans son contexte de grammaire un nouveau signifiant dont le signifié est « je suis ici comme exemple d’une règle grammaticale » (Roland Barthes, 1957, p. 222-223). Nouvel emprunt — toujours non crédité — à Paul Valéry, qui avait précisé dans ce même Tel quel que « Quia nominor leo » signifiait en fait « Je suis une règle de grammaire ». Mais ne dit-on pas que l’imitation est la forme la plus sincère de flatterie ?

Un exemple purement idéologique dans ce recueil est la photographie d’un soldat noir regardant le drapeau national, où le signe dans son ensemble devient le signifiant du mythe de l’adhésion des populations colonisées à l’Empire français.

En dernière analyse, la doxa propagée par le mythe, pour Roland Barthes, est l’image que la bourgeoisie se fait du monde et qu’elle impose au monde. La stratégie bourgeoise est de remplir le monde entier de sa culture et de sa morale, en faisant oublier son propre statut de classe historique : « Le statut de la bourgeoisie est particulier, historique : l’homme qu’elle représente sera universel, éternel ; [...] Enfin, l’idée première du monde perfectible, mobile, produira l’image renversée d’une humanité immuable, définie par une identité infiniment recommencée. » (Roland Barthes, 1957, p. 250-251).

Deux points sont essentiels.

Il voit la crise un peu comme Vilèm Flusser, comme une discrépance entre connaissances réelles disponibles et images du monde. En ce sens le mythe est lié à la doxa.
Mais la doxa est liée, elle, à la norme et fonctionne comme un obstacle à la subjectivité, à la manifestation des affects comme source de la vérité ou du moins d’une vérité possible.
Le second moment de ce paragraphe 2 conduit Roland Barthes à poser l’inclassabilité de la photographie et donc de l’exclure du champ des recherches de type sociologique et partant de l’offrir comme terrain pour l’expérience de type phénoménologico-subjective.

[FATALITÉ ADHÉRENCE du référent à la photo
Ces deux points lui permettent de repousser d’un geste les discours habituels sur la photographie (voir p. 19).
Donc les discours classificateurs comme purement subjectifs, au sens de privés et familiaux, forment les deux bornes de l’espace dans lequel apparaît la photographie.
Il Y A UNE VOIX, la plus forte, qui l’interpelle (p. 20).]

La voix de l’inclassable, du désir d’être inclassable, mais qui passe par l’acceptation d’une forme de doute radical, être démuni par une perte de repères. Il va donc falloir s’orienter par soi-même c’est-à-dire assurer soi-même la mise en place de la carte d’orientation.

§. 3

On remarquera en passant que l’on se trouve toujours dans une opposition classique entre ordre et désordre.

Affirmation du Je comme ballotté entre deux langages expressifs et critiques et le refus de tout système réducteur.

Une opposition à la doxa, au mythe, aux formes de classement (oubli, négation, dénégation, aveuglement) de l’irréductible qu’est l’affect.

Donc, partir de SOI non pas comme sujet théorique mais comme instance qui aime, n’aime pas telle ou telle photographie (on rassemble déjà les premiers éléments en une synthèse).

Mas il y a là un déplacement singulier qu’il faut relever.

On a vu passer l’affirmation du lien photographie référent.

On voit se mettre en place le lien photographie / sujet qui suppose que la photographie s’adresse au sujet, que telle ou telle image s’adresse à celui qui la regarde.

Qu’il est en quelque sorte élu par cette image, l’élu de cette image.
On le voit là pointer son nez sur un fond protestant dont Roland Barthes a hérité.

Appelé, élu, par cette VOIX étrange qui est celle de l’affect en tant qu’il serait présent (caché mais là) dans telle ou telle image, il accepte de l’être par cet affect plus général, d’être celui qui va analyser, déchiffrer ce que dit cette voix, et donc ce qu’est la photographie, mais à partir de ce point d’ancrage-là. (op. cit., p. 21).

Il EST le médiateur de TOUTE la photographie.

On voit bien ici la manière de faire le balancement constant entre les deux pôles culturel et subjectif.

§. 4

Ayant légitimé son cadre théorique, il peut reprendre le travail. Il part, donc revient au champ sociologique, à la photographie en général puisqu’il sait qu’il s’est autorisé à y aller à partir de lui-même.

Mais il reste à la place qu’il a choisie, celle de SPECTATOR contre celle de l’OPERATOR.

La cible, l’eidolon émis par l’objet.

Reconnaissance de la chimie comme nouveauté réelle par rapport à l’optique.

On voit ici que ce qu’il décrit est une légitimation du présupposé, il explique ce qu’il a admis sans preuve par croyance pure à savoir que le référent est dans l’image.

Mais l’absence de l’essentiel de l’essence se manifeste déjà : l’émotion n’est pas là. On va donc partir à sa recherche.

§. 5

L’enjeu est de taille : qui regarde qui ou quoi, pourquoi et comment ?

Et là un aveu.
Page 24, prendre pour guide la conscience de mon émoi.

On est au cœur de la mécanique amoureuse, celle de Stendhal par exemple, du voir sans être vu qui permet à l’amoureux de savoir s’il est aimé ou de voir l’objet de son amour et de lire sur son visage ses pensées telles qu’elles sont, non pas voyeurisme, mais épreuve de vérification de vérité même.

Très long chapitre important.

Il s’agit en effet d’inscrire le propos dans un nouveau rapport, celui qu’entretient le corps avec la mort. Voir page 25, la photographie crée mon corps ou le mortifie.

Poser : faire face à l’angoisse du « est-ce bien moi » ?

Remarquer l’absence de coïncidence entre moi et mon image ( ce qui ne veut pas dire entre la photographie et son référent, car c’est bien de moi qu’il s’agit, mais pas de moi comme je me perçois ou voudrais être perçu !).

On retrouve l’idéal du neutre qu’il avait déjà énoncé dans son premier livre, Le degré zéro de l’écriture, mais il est là impossible ou plutôt c’est contre le neutre qu’il écrit maintenant en vue de l’émotion de l’affect, de sa convocation (et il ne peut que venir surgir, apparaître à l’improviste, être une tuché).

Il y a bien une saisie de l’indifférence mais que nous aurions tendance à attribuer à l’appareil et qu’il attribue à l’image, et c’est contre cela qu’il s’élève en effet, mais du point de vue du spectateur encore une fois.

Ainsi l’image est lourde de coller à son référent et de rater l’essentiel qui n’est pas en elle mais qui seul peut l’alléger, la rendre vecteur d’affect : l’amour.

On sait donc déjà ce qui est attendu. Il faudra que l’amour surgisse d’une photographie POUR QUE la photographie puisse être perçue dans son essence.

Mais l’élément le plus important, c’est qu’il ne parle que de photographies où l’on voit des gens et où l’on a affaire à des REGARDS tournés vers l’objectif, qui plus ou moins regardent celui qui les regarde.

Le cadre de réciprocité se met en place. Ici, il est en train d’annoncer que la photographie porte en elle un REGARD adressé à celui qui la regarde.

On est de fait dans une structure intentionnelle.

Il y a les quatre imaginaires (page 29) et surtout le mouvement par lequel je deviens objet et vis une micro expérience de la mort !

La photographie arrête, embaume, tue parce que l’image EST son référent, elle est lourde de cela, elle est tautologique et elle est en cela mortelle.

TOUTE IMAGE est une expression parfaite (page 31), c’est-à-dire la mort en personne. On ne peut plus échapper à soi-même et c’est tout soi et rien que soi qui est sur l’image. Comment quelque chose d’autre va-t-il pouvoir se glisser là-dedans ?

La dimension de la circulation de la photographie est ici évoquée, elle éloigne toujours plus de cette part affective, lui interdit de se manifester. Comment y revenir ?

Mais le dernier paragraphe est étrange. Encore une fois il s’agit de ce fonctionnement singulier de la pensée qui fait que l’on impute à l’objet ce que l’on cherche pour mieux pouvoir le retrouver.

Ainsi, avant d’être spectateur et n’étant pas opérateur, on peut être sujet de la photographie, modèle, et le fait de s’offrir à l’image est de l’ordre de l’intention.

On comprend que ce qui a lieu ici, c’est la charge de l’image par l’intention. Celui qui est pris en photographie « veut » être l’objet même si c’est à son insu qu’il est photographié, il l’est comme objet dans une structure intentionnelle, car comme objet réel il regarde l’objectif, et puisque ce sont les rayons émis par son corps qui vont se loger dans la boîte noire.

Le passage sur le doigt et le bois laisse rêveur (voir p. 32-33). C’est le thème du temps qui apparaît à pattes de colombe.

§. 6

Le texte avance par vague et revient sur lui-même comme une toupie.

Retour, donc, au désordre à un niveau pas encore évoqué, sinon en passant par celui de certaines images concrètes.

Que faire face à tant d’images ?

Comment trier ? Là est la vraie question si l’on cherche pourtant l’essence de la photographie. Faut-il trouver quelque chose qui satisfasse toutes les catégories d’images ? Ou alors tenter de retrouver le chemin de l’affect.

C’est la seconde solution qui sera retenue évidemment.

On repart donc de la subjectivité et de ce qui la caractérise, son refus de toute classification qui écrase.

On part de la base posée non comme une question de goût mais comme un balancement qui permet de libérer un espace pour l’argumentation : j’aime, j’aime pas.

§. 7

Encore et toujours avancer dans la nuit comme Dante aux enfers.

Le guide : pas le goût mais l’attrait, c’est-à-dire la puissance « magique » d’une image à me saisir et me retenir en elle.

Comment appeler cet attrait ? Fascination non ! Intérêt non ! Aventure ! c’est-à-dire tuché.

Une animation, entendons un processus par lequel la photographie en retour me parle, vient à moi, me saisit : la photographie est transformée en une sorte de PERSONNE qui me regarde même si elle ne me voit pas et qui s’adresse à moi, elle m’interpelle, m’appelle, me parle, bref elle a quelque chose à me dire !

Il y aura les niveaux de discours partie I et, avec la palinodie, la plongée dans ce que me dit toute photographie qui me touche, LA photographie, celle-là, celle qui parlera pour toutes les autres comme pouvant me toucher potentiellement, au niveau de la perception d’un point de vue phénoménologique.

Page 39, elle m’anime, ce que fait toute aventure !

§. 8

Chapitre de synthèse transitoire.

Tout est résumé là : y est dit le mouvement de la recherche comme recherche phénoménologique.

Chercher une essence de la photographie.

Une science eidétique c’est-à-dire qui dégage, à travers toutes les variations dont un objet est capable d’être, le noyau invariant.

Ce qui caractérise la phénoménologie, c’est que l’eidos, aspect ou forme comme modèle éternel de l’expérience au sens platonicien dont il est question, n’est pas un modèle éternel existant en dehors des choses mais l’essence idéale invariable à laquelle les objets sont conformes.

Mais comment faire face à cette contingence, cette singularité de la photographie ? Contre sa banalité ?

En appeler alors à l’affect, à la force de l’affect irréductible et à quoi il fait réduire donc la photographie, (voir page 41).

Ce chapitre dégage donc le plan de l’affect. Il n’est ni historique ni sociologique, ni individuel, ni ontologique, il ne relève pas de la question mais du pathos de la blessure, de ce qui interpelle comme sensation pure en un sens.

Avec le lien remarquer, regarder, penser, c’est la manière même d’avancer de Roland Barthes qui est ici dévoilée, la « logique » de sa lecture de la photographie jusqu’au moment du surgissement du ça a été !.

§. 9

L’aventure que proposent certaines images est en fait culturelle. Ce qui apparaît se donne à lire, à déchiffrer, c’est un jeu entre des signes de niveaux différents rassemblés par hasard (encore la tuché) sur l’image.

Elles touchent, ces images, mais par le biais de médiations, de codes appris et ce sont les codes, ou à partir de ces codes, que l’on déchiffre, par de l’affect pur, de l’émotion pure, de la sensation pure.

§. 10

Ainsi apparaît la première version de la théorie de l’affect ou permettant d’inclure la dimension affective dans l’approche de la photographie, la célèbre théorie du studium et du punctum.

Ce chapitre est essentiel puisqu’il détermine le moment où le point sans lequel rien ne tiendrait va être acquis.

Le studium est un champ élargi, il est culturel et permet de regarder l’image par rapport aux codes socio-économiques, culturels et personnels, éthiques et implicites à chacun. En d’autres termes, ce qui caractérise le studium est le fait que c’est le spectateur qui projette sa culture sur l’image et qui l’y déchiffre, ou plutôt qu’il la déchiffre en fonction de ce qu’il sait. Il est affecté mais en tant qu’être socio-culturel. C’est le fait de lire l’image comme système de codes. On y retrouve ce que l’on y met, ou plutôt on y voit ce que l’on doit y voir, ce qui est le fruit d’une intentionnalité, celle, disons, du réel médiatisé par le photographe. Ces photographies sont comme brouillées par les codes, voilées par les codes, lisibles autant que visibles.

Et il y a le punctum. Il casse, scande le studium.

Et là est le passage essentiel (page 48-49) : cette fois, ce n’est pas moi qui vais le chercher [...] c’est lui qui part de la scène et comme une flèche vient me percer. Cela semble anodin ou disons évident. Et c’est bien cela qu’il faut interroger maintenant sans plus attendre, à savoir le fait qu’il est possible de supposer que quelque chose peut sortir de l’image et venir nous interpeller. C’est bien là la dimension magique de l’image dont parlait Vilèm Flusser. Et elle n’est pas tant dans l’image que dans le processus mental d’inférence qui fait que l’on attribue à l’image une puissance semblable à l’humain, à la puissance du regard humain.

La métaphore est efficace, la flèche blesse et la blessure est ce que l’on attendait, on l’a dit tout à l’heure. Elle est là, possible, active, réelle, présupposée et présente, en tout cas acceptable et reconnaissable. L’affect a néanmoins son cadre. Celui d’une tuché reconnaissable et que l’on peut accueillir sans qu’elle tue vraiment. Elle ne fait QUE blesser.

On est là, en fait, au cœur de la mécanique des inférences.