jeudi 8 septembre 2011

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Éclats de mémoires

Olivier Perrot

, Olivier Perrot

Explosées, diffractées, ces Mémoires d’Olivier Perrot ne se contentent pas de fixer avec nostalgie les traces résiduelles de quelque temps perdu.

C’est qu’elles se situent sans faillir et sans état d’âme à hauteur de drame. Les jeux sont toujours déjà faits mais les processus restent agissants. L’inquiétude gagne. La mémoire n’a pas droit de cité ; les mémoires se succèdent comme autant d’instantanés dérisoires et implacables : Olivier Perrot dessine quelques uns de leurs lieux. Il travaille la série, se laisse travailler par elle, renonce aux variations pour la montre. Entre les éclats, quelque chose se joue, la blessure reste ouverte. Chaque état de mémoire semble pris entre le souvenir de ce qui précède et l’imagination de ce qui suit. Avant, après, forcément.

Absente de ce bouquet d’instantanés, la mémoire s’en fait grosse sans parvenir à dire ce dont elle se souvient : le fracas des noirs et des bleus, le ruissellement des matières, la perfection des contours, la progression de la tumeur – l’oubli ?

La boîte à mémoires d’Olivier Perrot est proprement effroyable. Elle retient, donc. Les têtes sont là, puits et trous de mémoire, résistantes et blessées. 32 photogrammes sur papier bleu, disposés en tableau : 4 rangées de 8, 8 rangées de 4, un bloc. On n’en finit pas d’y revenir, d’ausculter ces tables qui troublent, bien au-delà de la vision.

La vision : des gueules cassées, bleu délavé sur fond noir. Ni yeux, ni bouche, les seuls orifices de ces têtes anonymes sont ces trous noirs qui les voilent, les creusent, les ouvrent, les couvrent. Des trous migrateurs, voyageurs, qui changent de forme, de force, de volume jusqu’à presque venir remplir et boucher les trouées liquides de bleu. Seul le cou – socle et puits de lumière – soutient cette dépression généralisée, ce naufrage du bleu.

On se raisonne : imageries médicales, identités judiciaires… Ce n’est pas ça non plus. Il y a de l’inassignable dans ces photogrammes. Suaire étoilé, ce premier photogramme de la dernière rangée, ou encore tête de retour de camp ?

Ces Mémoires exigent les nôtres pour s’accomplir. Le pluriel leur est consubstantiel, et leur beauté n’est que l’alibi décoratif de notre fascination.

Catherine Brun

Voir en ligne : Olivier Perrot