mercredi 11 avril 2012

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7e séminaire : Images et politique VI

VII - L’image à l’âge biotechnologique ou du pictorial turn au bionic turn

Une lecture de Cloning Terror de W.J.T. Mitchell

, Daniela Goeller

En 1994, Mitchell avait forgé la notion de « pictorial turn » pour répondre à deux phénomènes : la reproductibilité mécanique des images nous a donné 1) plus d’images et 2) la nécessité de penser le monde en images. Depuis, nous sommes passés dans un âge post-benjaminien et nous affrontons un nouveau tournant qu’il nomme le « bionic turn ». La reproductibilité des images n’est désormais plus mécanique, mais digitale et connaît des parallèles dans le domaine de la biologie, où nous sommes désormais capables de produire des copies génétiques, des clones. Le clonage intervient de manière surprenante dans cette histoire, comme métaphore ou métapiction, et comme modèle pour parler de ce nouveau régime des images.

Introduction

W.J.T Mitchell est professeur d’Anglais et d’Histoire de l’art à l’Université de Chicago. Il mène une réflexion théorique sur l’image et le rapport image/texte et interroge ses usages esthétiques et ses significations politiques.

Le livre qui a pour titre Cloning terror a été écrit suite aux événements du 11 septembre 2001 et comporte une analyse des images - et discours - employés pour témoigner des attentats sur le World Trade Center à New York et dans le contexte de la soi-disante guerre contre la terreur qui a suivi ces événements.

La réflexion de Mitchell part d’un constat troublant : il y a une confusion entre image et réalité – intentionnelle ou non-intentionnelle – et cette confusion témoigne d’une nouvelle crise de l’image.

La manipulation des images

Le photographe allemand Thomas Hoepker (*1936, vit à New York, membre de l’agence Magnum depuis 1989) a pris une image le 11 septembre 2001 sur le Hudson River près de Brooklyn qui est devenue une icône : la photographie la plus controversée de cet événement.

Thomas Hoepker, USA. Brooklyn, New York. September 11, 2001

Cinq personnes sont assises au soleil et discutent pendant que la fumée noire monte sur Manhattan et enveloppe la ville à l’horizon. Hoepker n’avait pas publié cette image à la suite des événements, car il ne la trouvait pas assez claire et représentative dans cette situation de catastrophe. Lorsqu’elle fut malgré tout exposée à Munich cinq ans après les faits, cette image déclencha un grand débat.

Dans le New York Times paraissait un éditorial qui épinglait l’image comme exemple de l’insouciance américaine, mentalité moralement abjecte : prendre un bain de soleil face à la catastrophe. En réponse, « Slate », un magazine en ligne appartenant au Washington Post, publiait un contre-article, avançant la thèse que les personnes assises sur la promenade au bord de l’Hudson river pourraient tout aussi bien être en train de discuter très sérieusement des événements qui se déroulaient sous leurs yeux. Suite à cette discussion, deux des personnes sur la photographie se manifestaient et témoignaient qu’ils étaient effectivement en train de parler des événements, avec des inconnus, rencontrés sur place, et démentissaient ainsi définitivement la version du New York Times en donnant raison au contre-article, tout en reprochant au photographe que l’image ne soit pas assez claire.

Ensuite, le photographe lui-même prenait officiellement position et soulignait que cette photo avait touché beaucoup de personnes précisément parce qu’elle était ambiguë. Mais il se posait la question de savoir si cette photo ne représentait finalement que le mensonge sournois d’une image instantanée qui ignore le temps avant et après le moment où le photographe appuie sur le déclencheur. C’est bien le centre du problème, cette image est devenue une icône parce qu’elle témoigne de la potencialité des images à être manipulées.

Iconoclasme

Le World Trade Center était un complexe comprenant en tout sept immeubles d’affaires – dont les fameux tours jumelles – situé dans le bas de Manhattan. Il fut construit par l’architecte Minoru Yamasaki à partir de 1953 et inauguré en 1973. Les deux tours jumelles devenaient rapidement un symbole pour la ville de New York, pour les États-Unis ainsi que pour leur pouvoir économique à l’échelle mondiale.

La destruction du World Trade Center était donc à la fois un acte terroriste et un acte iconoclaste : il s’agissait de la destruction d’une image et par là de la création d’une nouvelle image, qui est celle de la destruction. Autrement dit : l’image des tours, symbole de pouvoir, a été remplacée par l’image des tours détruites, symbole de la défaite.

Il convient de dire que le gouvernement américain a décidé de répondre à cet acte terroriste par une guerre. La question se pose, si cette réponse a été adéquate, ou plus précisément pourquoi elle ne l’a pas été.

En même temps, une autre guerre s’amorçait, appelée la guerre contre la terreur (traduction problématique en Français d’ailleurs, car en France on parlait généralement de la guerre contre le terrorisme), c’était une guerre des images, plus encore, cette guerre était elle-même une image. Selon Mitchell, la guerre contre la terreur est une « conception imaginaire et métaphorique devenue réalité » [1]

« Métaphores et images sont des « erreurs » pures et simples. D’un point de vue logique, une métaphore est une erreur catégorielle, tandis qu’une image constitue une simulation ou une imitation, non une réalité. Dès lors, mener une guerre contre la terreur est littéralement impossible et aussi peu sensé que de mener une « guerre contre l’angoisse ». Cette guerre est pourtant devenue une incontestable réalité matérielle et historique au cours de la première décennie du XXIe siècle, littéralisée et actualisée par la plus puissante machine militaire de la planète. » [2]

C’était une métaphore qui a été prise pour réalité, ou plus précisément, elle a été rendue réelle par la décision des États-Unis d’attaquer l’Irak. Pour Mitchell ce n’était pas cohérent que de mobiliser une armée contre un ennemi imaginaire. Imaginaire ne voulant ici pas dire un ennemi qui n’existe pas, mais un ennemi qui ne peut être localisé. C’était une guerre sans objet.

« Les attentats du World Trade Center n’avaient aucune signification militaire. Il s’agissait de produire un spectacle qui traumatiserait une nation entière ». [3] et un peu plus loin : « D’innombrables commentateurs l’ont bien sûr martelé : La Guerre contre la Terreur n’a rien de métaphorique. Et ils ont raison en un sens, car la métaphore ne s’est que trop littéralisée et réalisée dans les faits ». [4]

Non seulement, la réaction n’était pas cohérente, mais elle a aggravé les choses. Pour Mitchell elle ne fait que représenter l’incapacité des États-Unis à traiter de l’histoire et de la réalité et de surmonter les effets pathologiques de l’événement, autrement dit, c’était choisir un remède qui, selon Mitchell, n’a fait qu’accélérer les effets de la maladie. [5]

La relation image/texte

L’artiste américaine Jenny Holzer (*1950, vit à New York) se sert dans son travail essentiellement de textes qu’elle introduit sous forme de visuels dans l’espace public afin d’interpeller le spectateur. Elle se revendique elle-même comme artiste publique. Selon elle, l’art doit non seulement être dans la rue, mais doit aussi utiliser les moyens de communication les plus visibles, afin d’être perçu par le plus grand nombre de personnes les plus différenciées.

Jenny Holzer, For The City. New York, 2004-5

Après un long silence suite aux événements du 11 septembre 2001, Jenny Holzer présente une série d’œuvres, redessinant le paysage politique aux États-Unis après le 11 septembre et relançant le débat sur les opérations officieuses du gouvernement américain : abus de prisonniers, tragédies en Irak, en Afghanistan et à Guantanamo Bay.

Jenny Holzer, For The City. New York, 2004-5

Elle se sert de formulaires, lettres, empreintes digitales, mails et messages internes entrés dans le domaine public depuis l’Acte de liberté d’information (Freedom of Information Act). Les documents sont plus ou moins morcelés ou effacés par la censure. Jenny Holzer les transforme en peintures avec un rendu très proche des sérigraphies de Warhol.

Jenny Holzer, For The City. New York, 2004-5

En 2004-2005 elle a réalisé des projections lumineuses dans la ville de New York, intitulées For the City. Il s’agissait d’abord de trois projections à la Cathédrale de Saint John the Divine et à la Cooper Union à downtown Manhattan et au Bethesda Fountain au Central Park, et ensuite de deux projections supplémentaires au Rockefeller Centre et à la Bobst-Library de la New York University. Pour ces projections elle utilisait les mêmes documents administratifs que pour les tableaux, mais également toutes sortes de textes poétiques d’auteurs de nationalités et d’horizons très divers. La différence dans l’utilisation de la langue entre documents informatifs et politiquement relevants et la poésie ne pourrait être plus frappante. Son geste de reprise de ces textes, dénué de tout jugement de valeur ou de considération sur le bien et le mal servirait, selon l’artiste, à s’approcher le plus possible de la vérité dans le sens le plus vague du terme.

Jenny Holzer, For The City. New York, 2004-5

« Toute histoire renferme en réalité deux histoires : l’histoire des faits tels qu’ils se sont déroulés (« ce qui s’est produit ») et l’histoire des faits tels qu’ils ont été perçus (« ce qui s’est dit »). La première porte sur les événements ; la seconde sur les images et les mots qui définissent le cadre au sein duquel ces événements acquièrent une signification » ou encore « ce qui en a été dit en vue de la justifier, de l’expliquer et de la relater » constate Mitchell. [6]

Jenny Holzer, For The City. New York, 2004-5

Ce n’est pas un problème nouveau, tout comme toutes les guerres ont bien aussi été des guerres d’images, mais ce qui a changé, c’est d’abord la quantité d’images et de commentaires qui circulent et surtout le temps de réaction. Grâce aux nouvelles technologies et aux réseaux sur Internet, les images circulent presque simultanément avec les événements, « en temps réel » comme l’on dit.

Cette rupture d’échelle se traduit nécessairement par une crise de l’image, ce qui nous amène au cœur du problème : l’image à l’âge biotechnologique ou du pictorial turn au bionic turn.

Le « pictorial turn »

En 1994, Mitchell avait posé les fondements de sa pensée sur les images et le rapport image/texte avec la publication de Picture Theory. Ce livre avait fait l’objet de deux séances du séminaire en 2008.

C’est Mitchell lui-même qui avait forgé la notion du « pictorial turn » dont il expose les principaux tenants dans le premier chapitre de l’ouvrage. Il y montre comment la pensée moderne s’est réorientée autour de paradigmes visuels qui semblent menacer et renverser toute possibilité de maîtrise par le discours et traiter de l’image dans la théorie et de la théorie comme imagerie.

La tournure reprend une formule de Richard Rorty qui avait parlé de « linguistic turn ». [7] Dans la préface d’une collection de textes publié en 1967 sous ce même titre, Rorty a attaqué la philosophie analytique du langage qui, toujours attachée à une théorie de la reconnaissance, essaie de résoudre des problèmes philosophiques en réformant le langage (construire un langage idéal) ou de mieux comprendre le langage. Rorty considère que les deux tentatives ont échoué car, selon lui, une théorie de la reconnaissance est fondamentalement impossible.

Ce qui intéresse Mitchell, c’est que Rorty présente un modèle historique systématique qui est proche de celui que nous retrouvons entre autre chez Vilém Flusser :

L’Antiquité et le Moyen Âge connaissaient une philosophie des choses, du XVIIe au XIXe siècle elle était remplacée par une philosophie des idées. Au XXe siècle finalement nous sommes passés à une philosophie des mots, c’est le linguistic turn.

Concrètement cela veut dire que la textualité et le discours sont les modèles prédominants pour expliquer et comprendre le monde. « La société est un texte » et les méthodes de la sémiotique, linguistique et rhétorique sont appliquées dans toutes les disciplines.

Le « linguistic turn » qui culmine à la fin des années 60 et au début des années 70, serait donc, selon Mitchell, dans les années 80 suivi d’un « pictorial turn », c’est-à-dire la prédominance absolue des images et d’une compréhension du monde basée sur et s’articulant à travers des images.

Si l’on accepte cette idée - partagée notamment par Flusser, même s’il y a des différences par rapport à la date de ce tournant - on est confronté à la nécessité d’introduire une science de l’image, une méthode de communication et de compréhension visuelle.

Le « pictorial turn » consiste en deux phénomènes : la reproductibilité mécanique des images qui est à son origine, nous a donné 1) plus d’images et 2) la nécessité de penser le monde en images. Depuis, nous sommes passés dans un âge post-benjaminien et nous affrontons actuellement un nouveau tournant.

Ce second tournant dans le régime des images est ce que Mitchell nomme le « bionic turn ». La reproductibilité des images n’est désormais plus mécanique, mais digitale et connaît des parallèles dans le domaine de la biologie, où nous sommes désormais capables de produire des copies génétiques, des clones. Le clonage intervient de manière surprenante dans cette histoire, comme métaphore ou métapiction, et comme modèle pour parler de ce nouveau régime des images.

Le « bionic turn »

« Dans l’ère qui s’est ouverte avec le 11 Septembre, la nouveauté n’est pas le terrorisme. À cet égard, le parallèle avec l’innovation historique du clonage humain et animal est frappant. Depuis Aristote au moins, l’« imitation de la vie », la création de la réplique vivante d’un organisme étaient des buts assignés à l’art, à l’esthétique et à la technologie de l’image. Avec le progrès des biotechnologies, ce qui n’était que « métaphore » est devenu techniquement et littéralement possible.

Cependant, dès lors qu’il est devenu une réalité technique et matérielle, le clonage s’est vu remétaphorisé pour désigner diverses formes de copiage, d’imitation et de reproduction. Autrement dit, il est devenu une « image de la production d’images », une métapiction. » [8]

Cette notion de métapiction (meta-picture en Anglais) est centrale dans la pensée de Mitchell.

Meta-pictures

La notion de métapiction désigne l’image comme théorie, comme réflexion second-degré de la pratique de la représentation picturale et demande à savoir ce que les images nous disent lorsqu’elles
s’auto-théorisent (ou s’auto-décrivent). C’est une tentative d’établir une nouvelle iconographie à partir des images.

En parlant de métapiction, Mitchell parle d’images sur images, c’est-à-dire d’images qui se réfèrent à elles-mêmes ou à d’autres images, autrement dit des images qui montrent ce que c’est qu’une image. Nombreux sont les théoriciens qui ont parlé de ce phénomène : Clement Greenberg, Michael Fried, Thierry de Duve, Ernst H. Gombrich, Michel Foucault, mais le problème de la relation entre image et texte se pose toujours. Le « meta-picture » ne présente pas de solution à ce problème.

« Metapictures make visible the impossibility of a strict meta-language, a second-order representation that stands free of its first-order target. They also reveal the inextricable weaving together of representation and discourse, the imbrication of visual and verbal experience. » [9]

Le problème de base étant la relation entre image et texte, la question est de savoir si la langue est le moyen de parler de l’image, ou si l’image est le moyen de parler de l’image ou comment cette relation peut être articulée autrement et de manière à arriver à un résultat, c’est-à-dire, arriver à parler des images.

La théorie binaire prédominante ne servant pas à représenter la relation entre images et textes, Mitchell essaie donc de la remplacer par une idée dialectique, qu’il nomme l’ « imagetexte » et qui se transformera par la suite dans le concept d’une nouvelle iconologie et trouve son écho dans la pensée de la déconstruction selon Derrida.

Iconologie

« L’ « iconologie », c’est-à-dire l’étude des images à travers les médias. D’un point de vue iconologique, les images constituent à la fois des entités verbales et visuelles, des métaphores et des symboles graphiques. Elles sont tout à la fois des concepts, des objets, des formes matérielles et symboliques. » [10]

L’iconologie selon Mitchell est une science de l’image qui regarde à la fois la signification (iconographie), l’action (ou efficacité), et la vie (seconde nature). Ce dernier aspect nécessite de considérer l’image non comme une entité figée (ce qui a longtemps semblé être l’essence de la photographie) mais comme un organisme à facettes multiples qui a la capacité de se reproduire.

L’idée de l’image active n’est pas nouvelle. Elle apparaît dans l’œuvre de Mitchell également dès 1994, mais il ne l’associe pas directement à l’image. Il en parle par rapport au paysage – qui par ailleurs n’est rien d’autre qu’une image – une métapiction, certes, mais une image néanmoins.

Dans l’introduction d’un ouvrage intitulé Landscape and power, Mitchell distingue deux courants majeurs dans la considération du paysage. Selon le premier, qualifié de contemplatif, la lecture d’un paysage se fait sur la base de l’histoire de la peinture, tandis que pour le second, qualifié d’interprétatif, le paysage est une allégorie dont la signification psychologique ou idéologique se déchiffre selon les méthodes sémiotiques et herméneutiques. Le premier est associé au modernisme et le deuxième au postmodernisme.

Le projet de Mitchell était de joindre ces deux lectures en une nouvelle approche qui, au lieu de demander ce que le paysage est ou ce qu’il signifie, pose la question de savoir ce qu’il fait. Autrement dit, au lieu de considérer le paysage comme un objet à contempler ou un texte à interpréter, Mitchell y voit un procédé formant des identités sociales et subjectives et interroge son identité en tant qu’acteur culturel. Pour articuler cette démarche il propose de transformer le mot paysage de substantif en verbe. [11]

« De nos jours, surtout à l’époque de la Guerre contre la Terreur et de la Guerre des Clones, nous ne pouvons plus nous contenter d’étudier la signification et l’efficacité des images. Nous devons nous pencher sur la façon dont elles vivent et se meuvent, dont elles évoluent et mutent, ainsi que sur les besoins, les désirs et les demandes qu’elles incarnent, elles qui génèrent les affects et les émotions animant les « structures de sentiment » de notre temps. » [12]

Ce qui est nouveau ici, c’est l’idée d’une image vivante qui est articulée en faisant à la fois recours à la philosophie ancienne et au concept biologique du clonage et fait ressurgir la peur de l’image comme double.

« (…) dans son acception traditionnelle, l’iconologie est une discipline interprétative qui s’intéresse aux significations des images dans leur contexte historique. Plus récemment, on a mis l’accent sur le pouvoir qu’exercent les images sur le comportement humain. Ces deux approches demeurent indispensables, mais il nous faut les compléter par un modèle plus ancien, celui de l’image vivante. Comme le révélait Aristote, et comme l’ont compris toutes les cultures anciennes, les images sont des imitations de la vie qui constituent de fait une « seconde nature ». Les récits religieux de la création du monde invoquent presque invariablement un moment où des images sont créées, puis portées à la vie. » [13]

La méthode adéquate pour traduire cette iconlogie de l’image vivante en pratique lui semble être la méthode de la déconstruction selon Derrida.

« Il ne suffit pas d’indiquer qu’une métaphore repose sur une erreur ou qu’une image manque de réalité. Il est tout aussi important de comprendre le processus qui confère une littéralité au métaphorique et une réalité à l’image. Cela implique de renoncer à l’ « iconoclasme critique », cette stratégie classique de l’iconologue qui lui permet de remporter des victoires faciles en exposant le caractère irréel et métaphorique de l’icône. Invoquer le sens commun pour dénoncer abruptement le caractère illusoire des images ne servirait tout bonnement à rien. En lieu et place, il nous faut une méthode qui reconnaisse et englobe à la fois l’irréalité des images et leur réalité opératoire. » [14]

La déconstruction selon Derrida est certes une méthode philosophique, mais avant tout une pratique d’analyse textuelle. Après avoir longuement réfléchi sur le rapport entre image et texte et essayé de poser la problématique en partant de l’image avec le « pictorial turn », ce tournant dans la pensée de Mitchell peut surprendre.

Il est évident que Derrida suscite l’intérêt de Mitchell avec son concept de la différance, car il pose le problème de la représentation en dehors de la comparaison, sans établir de structure de référence et de relation binaire et surtout qu’il l’aborde avec un concept actif. C’est cette démarche que Mitchell tente d’appliquer à l’analyse des images dans la deuxième partie du livre pour parler des images apparues à la suite du 11 septembre 2001.

Notes

[1W.J.T Mitchell : Cloning Terror. Ou la guerre des images du 11 septembre au présent, Paris, Les prairies ordinaires, 2011, p. 10

[2ibid., p. 17

[3ibid., p. 47

[4ibid., p. 48

[5cf. : W.J.T Mitchell, conférence du 30 novembre 2006 (en anglais) : http://www.youtube.com/watch?v=yqb8eTK1aMs

[6W.J.T Mitchell : Cloning Terror. Ou la guerre des images du 11 septembre au présent, Paris, Les prairies ordinaires, 2011, p. 9

[7Richard McKay Rorty, philosophe américain (1931-2007), figure centrale du post-structuralisme américain, proche du néo-pragmatisme et du libéralisme politique, dont l’œuvre reste très controversée.

[8W.J.T Mitchell : Cloning Terror ou la guerre des images du 11 septembre au présent, Paris, Les prairies ordinaires, 2011, p. 48-49

[9W.J.T. Mitchell : Picture Theory. Essays on Verbal and Visual Representation, Chicago, Univ. of Chicago Press, 1994, p. 83

[10W.J.T. Mitchell : Cloning Terror ou la guerre des images du 11 septembre au présent, Paris, Les prairies ordinaires, 2011, p. 17

[11W.J.T. Mitchell (ed.) : Landscape and Power, Chicago, Univ. of Chicago Press, 1994, p. 1-2

[12W.J.T. Mitchell : Cloning Terror ou la guerre des images du 11 septembre au présent, Paris, Les prairies ordinaires, 2011, p. 20

[13ibid., p. 19

[14ibid., p. 18

Images d’introduction :
Jenny Holzer - Truisms