samedi 1er avril 2023

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Un astre nommé désastre

, Marie Barbuscia

Ce texte poétique de Marie Barbuscia interroge la scientificité d’un acte nominatif, capable de conférer ou non une existence aux choses : Pluton, planète du système solaire ou planète naine ? Elle opère alors une réflexion sur l’effacement, remède utile à la liberté de ton. La rencontre plastique entre les mots savamment posés et le travail de la couleur de l’artiste Alex Alayek constitue la clef de voûte d’un changement d’échelle, sa peinture du macroscopique est similaire à ce détail de matière qui s’épaissit quand il est lieu contigu à l’immensité : une poussière cosmique.

Un Peu De Nous, Un Peu De Tout
© Alex Alayek - 29 x 42 cm -Acrylique sur carton - 2020

UN ASTRE NOMMÉ DÉSASTRE
Influence(s)
1. Fluide(s) provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.

Pluton n’est plus une planète,
Elle a comme perdu de son influence.

Le 24 août 2006, Pluton est détrôné du statut de neuvième planète du Système solaire : l’Union astronomique internationale l’a rétrogradée au rang de planète naine. La raison principale de ce changement d’appellation provient d’une redéfinition de ce qu’est une planète. De sorte que la rature est apposée en dehors de soi, toujours-déjà prête à s’accomplir en mot à évider.

De corps céleste, il pourrait paraître suspect d’ajouter une dépréciation à la qualité astrale. Or, « Petit » articule en deux syllabes un périmètre restreint. Immatriculé en un objet sommaire : 134340, Pluton a vécu 76 ans sous une fausse identité, lui conférant une place singulière dans le palmarès du Système solaire. Est-il dès lors possible de penser la tangente dans l’alignement des planètes ?

La liste de la concomitance aux événements favorables à Pluton était pourtant bien dressée, si semblable à la nappe qui recouvre le bois d’une table resté interdite à toutes écorchures. Sur les dix détenus du Système, Pluton apprenait son rôle de figuration, sa manière de pré-penser sa prédisposition à être là, en gravitation, quelque part au milieu des autres. Le goût des listes est infini, il existe par lui-même sans se douter des inflexions extérieures. C’est un « va-t’en guerre » de désespéré qui fléchit dès la première attaque. Pluton trônait pourtant en lieu sûr dans sa rangée bien nommée. Enfin, nous la pensions inatteignable en promise officielle d’un harem solaire à dix chambres.

Pas même sa révolution terminée, l’ordre bouleversé change l’appréciation que nous avions de Pluton. Sans compter que pour la planète, c’était des répliques à son effigie trônant dans l’ordre établi, celle des chaussettes de Romain B., élève de CE2, tête en bas, accusé de tricherie. La logique amenant son lot de faits concrets, les planètes référentes aspirent toutes au rayonnement terrestre, cela prend la forme d’une ou plusieurs pages de présence au sein des manuels scolaires. L’enjeu tiraille, il est de taille, celui de s’assurer une retraite au soleil. Pluton pouvait cependant naturellement se sentir menacé en avant-dernière place. Comme dans un sursaut prémonitoire, l’astre portait le stigmate d’une descente aux enfers qui était dû à son Dieu d’emprunt. Même si le Pluton divinisé par les romains, était plus souvent tribun à la barre que suspect invité à comparaître devant la toute-puissance du scientifiquement quantifiable et démontrable.

De la Première Lumière
© Alex Alayek - 29 x 42 cm - Acrylique sur carton - 2020

Si Pluton pouvait parler pour se défendre, l’astre étincelant se confierait très certainement sur son déclassement, avec une de ses manières toutes personnelles de resplendir l’effacement parmi toutes les légitimes qui l’entourent et le devancent. Du haut de son observatoire, répondre de cette disqualification serait une remise en orbite du système déployé pour ordonner et agencer le chaos surplombant. Les scientifiques à l’unisson n’ont pas eu un regard sur ce qu’a bien pu ressentir Pluton à cette annonce en demi-teinte. Comme pour tous ceux que l’on ne voit plus ou que l’on a cessé de voir, le journalisme vole à l’étalage, omettant l’erreur éhontée afin de ne retenir que le progrès et ses connaissances élargies.

La planète entendra au loin d’autres planètes dire qu’elles en ont une plus grosse qu’elle. Pluton ne prétendra plus le contraire. Naine et sans défense, elle n’aura plus que son invisibilité au sein du système à brandir, si résonnant qu’il s’apparente à un chant libre de ton plus que de mesure. Pour en finir avec les comptes à rendre sur ses composantes et sur sa taille dont elle connaît désormais la géométrie variable selon qui l’embrasse, elle s’entichera de l’idée qu’il n’y a que des astres peu profonds qui ont eu besoin de semer le trouble pour ne pas qu’on en voie le fond. Elle s’accoutumera dorénavant à son illégitimité à la prétention, son éloignement des avoisinants l’ayant fait disparaître à pas lent des radars. Comme « Dune » de Jodorowsky, le storyboard rédigé cessera de se poursuivre en image, attisant derrière lui, un écran de fumée.

Un Peu De Nous, Un Peu De Tout
© Alex Alayek

Il faudra se sortir le télescope de l’œil pour comprendre ce qui se joue de l’anecdote ici comme ailleurs. Dépasser ce qui, à première vue, sonne le glas du véridique. À la limite du visiblement risible, il y a bien un astre qui se nomme désastre mais que nous pensions renommer « désir » d’exister autrement comme pour justifier l’effacement de ceux qui ont pris l’habitude d’habilement perdre la face.