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Sur perception et paréiodolies
(extraits de 20, 2020 et Plus avant, 2022, inédits)
,
Je sais bien que c’est une pierre, mais le paysage et le visage surgissent
instantanément en même temps que je vois.
Voir une ressemblance à ce qui ressemble, cela se peut
mais cela se peut-il dire ?
Hier j’ai coupé une agate.
(Pas aussi belle que celles qui figurent dans Au cœur des pierres
(Fage éditions, 2020) mais ce n’est pas important.
On le comprendra quand j’aurai retrouvé certain carnet perdu où j’évoquais
le retournement de la ressemblance.)
Précisément le jour où je reçois
comme dit plus haut sous l’image retournée.
« On pourrait dire de tel ciel ou paysage marin, qu’il fait penser ou ressemble
à la tranche d’une pierre ouverte par la scie. On pourrait — mais c’est
toujours dans l’autre sens que ça fonctionne, et le petit qui évoque le grand.
Comme si jouaient dans la ressemblance, indissociablement, une antériorité et un rapport de proportion, la première fille du second sans doute. Il faut avoir vu une pietra paesina évoquant une mer agitée et zébrée d’écume pour que la ressemblance puisse s’inverser, tandis que la reconnaissance de quelque étendue marine dans un cœur d’agate traversé d’une ligne horizontale ou d’un visage humain dans ses ocelles est immédiate.
Penser à une pierre en regardant les nuées est en quelque sorte interdit, comme si le grandiose pouvait être reconnu dans un détail mais le contraire
non. »
(Ai toujours eu quelque difficulté avec la ou les figures retrouvées dans un
caillou, un tronc, un nuage, avec ce ça-ressemble-à, ce on-dirait-X.
Une face humaine pourra m’évoquer un nœud de planche, une vache une
masse de vapeur... Ce n’est donc pas la ressemblance en soi, comme partage
de formes, qui me pose problème voire répugne, mais le retour de la figure
dont elle est le véhicule, et plus encore son énonciation, comme si l’on
rejouait chaque fois avec elle une première fois universelle...
En arriverais presque à souhaiter qu’une « cécité à l’aspect » (Aspektblindheit),
pendant de la « remarque d’un aspect » (Bemerken eines Aspekts), s’installe
chez les paréidoliaques (comme ils s’auto-proclament ; proposerais bien
plutôt paréidolâtres) et qu’ils retombent du voir comme au voir simple
(pour reprendre le distinguo que fait Wittgenstein).)
(Réfléchir sur le rapport de la paréidolie à la faculté extrêmement raffinée
chez l’homme d’identifier les sentiments (peur, colère, indifférence etc.)
aux expressions du visage, et par voie de conséquence aux « émoticônes ».)
Let’s feel free to grope.
Je vois un paysage marin, un visage inquiet dans cette pierre.
Je vois comme un paysage marin, comme un visage inquiet.
Je sais bien que c’est une pierre, mais le paysage et le visage surgissent
instantanément en même temps que je vois.
Voir une ressemblance à ce qui ressemble, cela se peut
mais cela se peut-il dire ?
Je vois une pierre dans ce paysage marin, dans ce visage inquiet.
Assurément j’en vois des paréidolies ; elles abondent.
Pas plus tard que ce matin au pieu : un œil me fixait depuis la couverture.
Photographier ? Garder l’objet ? Ma tendance est à n’en rien faire
(et pas seulement par fainéantise ou esprit pratique).
J’appuie sur « l’œil » de la couverture et voilà une couverture.
Je regarde une couverture et lui dessine un œil en appuyant là ou là.
(— Et pourquoi pas une bouche pendant que tu y es ? N’as-tu pas compris
que l’intentionnalité est bannie en cette affaire ?)
Retourne la chose-qui-ressemble, et revoilà l’abstraction.
Pourquoi oriente-t-on toujours l’image de façon à privilégier la figure ?
Pourquoi toujours l’imposer à la vue haut-bas, interdire la découverte
accidentelle de la figure (ex. l’apercevoir de loin dans un livre à l’envers ?)
Quelque chose ressemble à quelque chose.
Propose la suppression du à : Quelque chose ressemble quelque chose.
Retour au verbe transitif direct attesté vers 1100.
Comme on dit : Quelque chose semble être quelque chose.
On pourra ainsi dire : Tel ciel ressemble telle pierre qui le ressemble.
Tel ciel ressemblé par elle ressemble telle pierre.
On retrouverait une certaine réciprocité ou symétrie perdue, me semble-t-il,
dans la grammaire de la ressemblance.
Quelque chose dans ce qu’on voit fait penser à. Un aspect, une forme.
Ce n’est pas la taille quand telle souche ressemble à un chat – mais la taille
peut catalyser la ressemblance.
Le vivant est-il un critère ? L’inanimé ferait-il plus souvent penser à du
vivant que du vivant à de l’inanimé ?
De l’inanimé ou du « vivant lent » (végétal) au « vivant vif » (animal)
ça « fonctionne » bien (même trop bien pensé-je), mais de l’inanimé à
l’inanimé aussi (agate/ciel)...
(Réfléchir au rapport vivant/figure.)
Le voir comme (Sehen Als) en appelle à un semble-être plutôt qu’à un
ressemble-à, et même à un est plutôt qu’à un semble-être dans l’expression
spontanée c’est un visage, c’est un chat, c’est la mer…
La ressemblance est là, mais en quelque sorte incluse, tacite, dissoute.
Mais cette phrase, en regardant le ciel : C’est une pierre
?
W. associe « cécité à l’aspect » et « cécité à la signification [verbale] », mais le
comprendre comme me semble bien plus rare que le voir comme…
Combien de fois la « signification secondaire » (en tant que« découverte de
relations internes ») n’est pas perçue !
(Mais un distinguo comprendre comme / comprendre (simple) sur le modèle
voir comme / voir (simple) a-t-il quelque pertinence ? Sous quelles conditions
etc. ?)
Vrac sur la perception
Que sait-on de ce que voit l’autre ?
(Ce qui sera dit du vu et de la vision infra aussi bien pourrait l’être de l’entendu et de
l’audition.)
Le vu est découpé dans la perception par le langage.
Ce que je vois et comment je le vois ne sont pas dissociables.
« Comment vois-tu ce que tu vois ? »
Ce que tu vois de ce que tu vois, c’est comment qui le détermine.
À un certain stade du comment, le vu n’est simplement plus vu.
Comment je vois occupe l’espace entre le vu et le non vu.
En quoi ce que je vois ressemble ou est identique à ce que tu vois ?
Voir mal, c’est ne pas voir identiquement.
Si nous regardons N et que je vois M, nous ne voyons pas la même chose
mais nous voyons tous les deux une lettre.
Imaginez, chez l’ophtalmologue, des optotypes face à vous (vous avez bien
sûr vos lunettes correctrices sur le nez), ce dialogue :
« – Dites-moi ce que vous voyez ?
– Je vois la même chose que vous. »
Ne vous ferez-vous pas rabrouer ?
Imaginez, chez l’ophtalmologue, des optotypes face à vous (vous avez bien
sûr vos lunettes correctrices sur le nez), ce dialogue :
« – Que voyez-vous sur la ligne du haut ?
– Je vois des lettres – et encore est-ce parce que plus bas je vois des lettres...
– Bon, des lettres, oui, mais encore (un peu de sérieux s’il vous plaît)...
– En deuxième peut-être un F. Au milieu X. (Mais si je n’avais pas appris à
lire saurais-je le nom de ces barres obliques en croix ?)
– Oui, c’est bien X.
– Ce n’était donc pas F, vous-même ne voyez pas F, la lettre préférée de
Gadda... Je ne peux mettre votre perception en doute car elle s’appuie sur la
réalité de la lettre imprimée. Voyant F donc je me trompe, je vois une lettre
mais trop mal pour la reconnaître. Serait-elle plus grosse que cela me
deviendrait possible, et peut-être faire varier la luminosité suffirait-il —
mais... »
Reconnaître un Mi, un Fa, comme on reconnaît un R ou un S : quel est
l’équivalent, en matière d’audition, de l’acuité visuelle comme capacité de
distinguer des formes ?
Deux variables dans le tableau d’optotypes : la grosseur de la lettre et son
dessin. (On devrait pouvoir faire varier la luminosité, mais ce raffinement
hélas n’est pas prévu...)
L’examen chez l’ORL est encore moins fin. Un audiogramme enregistre le
niveau sonore et la fréquence du signal entendu mais il n’y a pas de véritables
formes sonores à reconnaître, des formes susceptibles d’avoir été apprises,
telles que les valeurs de l’échelle chromatique, ni concomitamment de
mesure de leur différenciation.
Il n’y a pas de cette sorte de flou, un Mi plus identifiable plus fortement
émis, un La qui au contraire sonne plus juste à bas volume etc.
L’identification, lors de l’examen standard de l’audition, n’est pas compliquée
par la différence de forme comme elle l’est lors de la mesure de l’acuité
visuelle. (Existe-t-il un test spécifique ? Me renseigner.)
... le fait que Wittgenstein apparente « au manque d’“oreille musicale” »
ce qu’il conçoit comme « cécité à l’aspect » (voir supra).
Lien de l’examen ophtalmologique avec l’apprentissage de la lecture :
qui ne sait pas lire verra une différence de forme entre N et M mais dire
la différence suppose qu’on sache lire.
(Certaines échelles d’optotypes semblent adaptées ; par exemple, pour les
enfants, celle de Rossano. Enquêter sur les autres modèles.)
Comment, privé de tout moyen d’expression, former une phrase avec voir
étant impossible, peut-on être dit malvoyant ou bienvoyant ?
On ne pose guère la question « Comment tu penses ce que tu penses ? »
Pourquoi ne peut-on pas dire « je pense mal » comme on dit « je vois mal » ?
Bien voir, c’est voir la même chose que l’autre, avec la même précision que
lui. Telle identité n’existe pas dans le champ de la pensée – quand même on
entend et même dit « Je pense la même chose que toi ».
Cette pensée-là ne discrimine pas un bien pensé.
« Je pense la même chose que toi » : n’est-ce pas un peu, quand on dit ça,
comme si on en restait, en matière de vision, à la reconnaissance de la lettre
comme lettre mais pas en tant que telle lettre particulière ?
(Le champ sémantique du mot mal varie donc selon le verbe et l’organe.)
Faites comme W., dites : « Imaginez quelque spécialiste devant vous auquel
vous pouvez dire “je pense la même chose que vous”, puis imaginez les
conditions de démonstration de ce que vous affirmez. »
« La vision de l’esprit ne commence à être perçante que quand celle des yeux
commence à perdre en acuité. »
Platon, Le Banquet
« Les formes existent dans la nature comme des modèles ; les autres choses
leur ressemblent et en sont des Imitations, et cette participation des choses
aux formes n’est pas autre chose que la ressemblance des unes aux autres. »
Platon, Parménide
– Hé là-bas, Monsieur Platon ! J’ai trouvé au vingt-et-unième deux petits
morceaux qu’on dit vous appartenir, et aimerais en discuter.
– [...]
– Comment ? Que dites-vous avec ces gestes ? Que ce n’est plus à vous ?
Que vous n’avez pas écrit ça comme ça et qu’il faudrait que je m’adresse
plutôt au traducteur ? Et que de toutes façons, comme moi à la vôtre, vous
n’y pigez que couic à ma langue ?
Oui, je comprends bien. Pourriez-vous quand même essayer with a kind of
Deepl translator de vous faire au moins une idée de mes commentaires ?
– [...]
– Comment ? Que vous êtes... que vous êtes illectrone ? Illectrone c’est bien
ça, en sus de sourd ? OK OK, pas de souci… Les voici quand même.
A
• Une hydraulique : là ça augmente parce que là ça baisse, et ça monte et
descend à proportion.
• Il faut moins bien voir pour que l’esprit « voit » mieux, comme si le bon
fonctionnement de l’organe réel inhibait celui-là. Le déficit de la vision
organique reverse ou transfert à l’esprit l’acuité, mais ce sont les choses dans
leur ensemble et non pas les choses visibles qui le sollicitent, et cette capacité
de l’esprit à mieux distinguer, on ne la nomme « vision » qu’en mémoire en
quelque sorte du terrain d’où elle a glissé. La vision de l’esprit ne concerne
précisément plus le visible. Ce n’est pas un relais pris ou une compensation
sur un même plan.
B
« Les formes existent dans la nature sous l’aspect de choses, qu’elles soient
naturelles ou créées, et c’est cette participation de toutes les choses aux
formes qui détermine la ressemblance des unes aux autres. »
« Les formes existent dans la nature, et toutes les choses naturelles que l’on y
voit existent selon ces formes. Les autres choses, celles que l’on crée, existent
de même et non moins selon elles. Les formes sont, pour les premières
comme pour les secondes, moins des modèles dont toutes seraient des imi-
tations, que des modes d’apparition, schèmes auxquels chaque chose doit
d’être visible et qui occasionnent ressemblances et dissemblances entre les
unes et les autres. »
Pierre brute et marbre du Bernin participent pareillement de l’Apparence
et de la Forme, mais la première a précédé le faire humain, aussi peut-elle
avoir pour celui qui arrive après, du fait de sa pré-existence, valeur et nom de
modèle, mais qu’on l’entende alors au sens épistémologique tardif de
système symbolique. Rodin emprunte la même voie que la nature dans la
génération des formes, il marche dans ses pas bien plus qu’il n’imite.
en janvier, les pièces remplacées à mesure qu’elles étaient pourries à mes
yeux, un navire tout neuf, prêt pour la mer comme bouteille.)
Paréidolies au plafond
de frisette second choix.
Depuis le lit où allongé,
nombreux nœuds nombreux yeux
(dessous, quelque veine à peine marquée prodigue l’indispensable
ombre de nez ; une bouche est inutile)
mais, sans mes lunettes, yeux
vibrants, comme si plusieurs expressions se disputaient la place,
la bousculade empêchant qu’un visage prenne [1].
Allongé sur le dos à 13h30, ai joué (jeu oculaire mobilisant le cerveau,
lequel dernièrement l’imagerie a donné intact – ??) à faire disparaître les
détails du plafond de <
frisette-à-paréidolies>
[2] [3] à 3 mètres du lit.
Résultat mitigé : ai effacé 2 m2, mais très fugitivement (2 secondes, peut-être
1 seulement, soit le temps de vie de l’infusoire selon la page 33 de Scènes
de la vie d’un faune d’Arno Schmidt (Aus dem Leben eines Fauns, 1953),
infusoire (Colpoda cucullus, O. F. Müller, 1786) dont on voit en couverture
du présent livre [Plus avant, 2022, inédit] diverses phases de reproduction et
développement... (dessin de P. Lackerbauer (1823-1872))
Pendant ce court instant un grand (80 cm) visage de garçonnet [4] devenait
– rien qu’un pan vide uniformément beigasse...
À propos du “garçonnet”.
L’écartement des yeux proportionne le visage entier, intégrant ici tel défaut
de planche comme ombre de menton ou pavillon d’oreille.
Les iris, puisqu’il s’agit ici d’eux plus que d’yeux, noirs, déterminent pour
l’ensemble un éclairement particulier qui conditionne ce qui peut
apparaître (la figure peut ainsi être sur-exposée ou sous-exposée, etc. alors
bien sûr que le plafond lui-même est sombre).
(Sur les paréidolies encore)
Je serais développeur, je concevrais un logiciel permettant d’en fabriquer, des
paréidolies, de “paréidoliser” tel ou tel visage à sa guise.
– La perception d’une figure ou d’une forme dans l’agencement accidentel
d’un matériau naturel me paraît comparable à la perception du sens dans un
texte pensé.
– Ne vois-tu pas que, la notion d’“écrit naturel” étant logiquement fragile
autant que celle de “paréidolie fabriquée”, tu compares l’incomparable ?!
– Si, mais je le fais par le truchement d’une distinction, sens/figure,
pondérée laquelle par un commun “cela produit cela en moi” – et la logique
dépasse la logique.
On peut photographier un morceau de réel, pas ce que l’on perçoit de lui.
(Je rêve de montrer à autrui une image, non pas de ce qu’il voit, du visible
objectif, mais de ce que moi je vois, une image correspondant à comment
je vois [5].)
Notes
[1] Je pense à ces lignes, dans L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau (chapitre “Les possédés”), où Oliver Sacks évoque une tourettienne qui prenait l’apparence de toutes les personnes qu’elles croisaient dans la rue puis, à l’écart, expulsaient à une vitesse vertigineuse les expressions qu’elles avait imitées, « énorme régurgitation mimétique » de toutes les personnes qui l’avaient « habitée » (50 en 10 secondes).
[2] Voir p. 75 de 20, et pour une reproduction. [3]
Personne sur l’image, bien que le “sujet” ait été saisi plein-cadre. L’ethnologue Philippe Charlier en a fait le surprenant constat en Haïti en 2015, comme il le relate dans une enquête sur les « morts-vivants » publiée en 2018. p. 113 de Notes à entendre et voir (les deux étant inédits, je renvoie à mon site).
[3] Reproduction du plafond. Si certaines paréidolies sont photographiables, d’autres ne le sont pour la raison que permises par un défaut de la vision. Le “garçonnet” du texte, personne ne le voit sur une image : il faut être très myope, avoir un trou dans la rétine de l’œil droit, et quitter ses lunettes. (J’ai fait passer le “test du plafond” à G. Verdict : ni gamin ni vieillard ni rien, aucun visage.)
(La reconnaissance d’une forme ou figure ne dépend pas seulement (dans les cas où elle ne va pas de soi “statistiquement”, cf. Rorschach) de la faculté “imageante” mais aussi de l’état des organes de perception.)
Je case ici un autre exemple de sujet non-photographiable.
Tant qu’il est « sous sortilège », un zombie n’apparaît pas sur une photographie de lui.
[4] Identification à rebours de l’éprouvé lors d’un précédent allongement au même endroit (20, idem).
[5] Existerait-il peindre pour ça ? Non.