dimanche 31 juillet 2022

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Série noire pour année blanche

, Aldo Caredda et Clarisse Fabre

Bon sang, c’était le soir du 28 septembre 2020, je dégringolais la rue des rigoles avec Flor ma poulette et évidemment on était à la bourre.

Le pote Malige poireautait au rade du coin, normal c’était l’heure du ballon. Et là, en face du broc, dans l’caniveau pour ainsi dire, des cartons à perte de vue, et dedans, bon Dieu, au moins 5 ou 600 bouquins de la Noire, là, qui attendaient qu’on les cueille.
 
Ni une ni deux, j’dis à la poulette : on laisse pas traîner, on charge ! Heureusement c’était notre jour de vase, la môme chez le broc nous a refilé son chariot et on a grimpé le trésor jusqu’à la crèche de l’Ermitage.
 
Et là, pendant un an, jour après jour j’y ai collé ma barbouille sur la face à chaque bouquin. Faut vous dire qu’en plus du reste je fais l’artiste, et tous les soirs je l’ai illustré la noire, et comme il faut ! Allez hop ! un fait divers bien croustillant, un article qui calenche, une niouze qui décoiffe et j’te pioche un titre bien pesé. Et j’y colle mon empreinte, et j’te fais de l’art, comme ça, ni vu ni connu, à la coule quoi !

Et c’est là que la chouette Clarisse est arrivée, sortie tout droit du grand Monde la jolie, et chaque jour que l’père y fait, elle y va de son couplet. Du grand, du lyrique, du caustique, la grande classe quoi, du verbe et d’la p’tite musique, choucard à en faire blêmir tous les chroniqueurs d’Paname. 

Sacrée année que cette année là, les gonzes de la haute ils nous en ont fait voir, mais on s’est bien marré quand même.

Et puis tout a une fin, on a bouclé l’affaire le 27 septembre 2021. Pliée la noire, rincée l’année, la blanche qu’on l’a nommée, et puis j’ai redescendu les Rigoles, c’était l’heure de s’en jeter un.

Aldo Caredda

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365 jours s’écoulant au rythme du bouclage des journaux, du 27 septembre 2021 au 26 septembre 2022. Un tour complet d’une année pas comme les autres, on ne vous redit pas tout ce à quoi on n’a pas échappé, et encore on ne savait pas ce qui nous attendait après… Chaque soir, Aldo m’envoyait deux documents que je guettais dans ma boîte mail : d’un côté la Une d’un journal avec son évènement, de l’autre un titre de Série noire qu’il avait pioché dans sa collection et lui semblait faire écho, sorte de miroir de l’info du jour.

A mon tour, après réception, j’écrivais quelques lignes pour raccrocher les wagons, contextualiser, et parfois dériver, de sorte qu’apparaisse chaque 24 heures une empreinte fragile, partielle, mais tenace - noir sur blanc - de l’actualité.

Clarisse Fabre                                                    

DIMANCHE 27 SEPTEMBRE 2020

Etrange ce mot. En argot, nib renvoie aux nibards, les seins, mais aussi à l’adverbe « rien ». Par exemple, « en 2020, année du confinement, on s’attendait à un pic de naissances, mais nib, ce fut le baby-crash ».
Parions que le titre de cette Série noire fait usage du premier sens. Un rien d’amour ne serait pas vendeur, quoique... 
Gainsbourg savait faire. Sa chanson, Ces petits riens, commence ainsi : Mieux vaut n’penser à rien / Que n’pas penser du tout... Et plus loin : 

Si c’était trois fois rien 
Trois fois rien entre nous 
Evidemment ça ne fait pas beaucoup 
Ce sont ces petits riens 
Que j’ai mis bout à bout 
Ces petits riens 
Qui me venaient de vous

VENDREDI 16 OCTOBRE 2020

Eh ben non.

MERCREDI 18 NOVEMBRE 2020

« Qu’est-ce que j’peux faire, chais pas quoi faire... ». 
Depuis fin octobre, et la fermeture des lieux pour raison sanitaire, on ne peut plus s’asseoir à un café, ni aller au cinéma, ni voir un spectacle, ni essayer des vêtements dans une boutique, etc. Certes, on peut encore entrer dans une librairie, acheter son journal ou le vendre à la criée comme dans A bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard. Mais bon, masqué, sans un touriste ni foule dehors... Puis arrive le « Black Friday », le vendredi noir, du nom de cette opération commerciale et promotionnelle née aux Etats-Unis, qui traditionnellement a lieu le 4e vendredi du mois de novembre. En 2020, en France, les commerçants obtiennent avec l’accord des plateformes que le « Black Friday » soit reporté d’une semaine (au 4 décembre), afin que les commerces physiques profitent eux aussi de cette journée tiroir-caisse. Les analyses critiques qui avaient commencé à émerger, en 2019, relayant le concept suédois de « honte de faire du shopping » (köpskam) pour des raisons écologiques, liées à la consommation d’eau pour fabriquer un jean, par exemple, semblent d’être envolées. Entre autres, le sociologue Razmig Keucheyan, de l’Université de Bordeaux, auteur de Les besoins artificiels, Comment sortir du consumérisme (Editions Zone), met en avant la notion de besoin artificiel, dans un entretien au Monde. « La survie de l’organisme dépend de la satisfaction d’un certain nombre de besoins vitaux : se nourrir, se protéger du froid, respirer ou dormir. Du fait de la crise écologique, certains de ces besoins vitaux sont plus difficiles à satisfaire, respirer un air non pollué par exemple. Tous les autres besoins sont, en un sens, “artificiels” : ils sont culturellement construits et sujets à évolution historique. Certains ont des effets néfastes, pour l’environnement notamment ».

VENDREDI 22 JANVIER 2021

5 ou 6 doses de vaccin dans le flacon Pfizer ? Jusque-là, les professionnels de santé avaient remarqué qu’au-delà de cinq doses, il restait parfois un peu de liquide dans le flacon, susceptible de permettre une sixième vaccination - moyennant toutefois une manipulation délicate. Le laboratoire américain vient de confirmer que l’on peut extraire six doses d’un flacon et non cinq, et en tire des conséquences sur le prix de chaque boîte... qui augmente. Pas con, et pas cool non plus.

JEUDI 17 JUIN 2021

Marcher dans la rue sans le masque... Jean Castex a donné sa bénédiction, jeudi 16 juin. On n’en revient pas. Nous voici libérés au moins pour quelque temps (mais on aura peut-être « le masque » d’angoisse lundi matin, 21 juin, au vu des résultats du premier tour des élections départementale et régionale...).

D’ici là, la vie marchande va reprendre ses droits, j’attends les articles de presse, les affiches publicitaires sur le retour du rouge à lèvres, genre « La situation est au vert, passez au rouge ! », sans oublier les rendez-vous chez le barbier pour se refaire une beauté : hommes, cisgenre ou non binaires, « ne rasez plus les murs... »

Pour terminer sur une note d’insouciance, quand-même, une chanson, car ça faisait longtemps que l’on n’en avait pas glissé une. Là je poserais bien sur la platine le joli titre de Françoise Hardy, Rêver le nez en l’air (1973).

Dans le clip de l’époque, Hardy nous dit ceci, belle comme le jour sous son parapluie transparent :

Rêver, le nez en l’air / Aller au hasard
Rêvez, et ne rien faire / Penser à ce soir

SAMEDI 31 JUILLET 2021

On notera une inflexion du sens des mots, en cette année 2021 : se faire entuber, par exemple, a changé de sens. Cela ne veut plus dire « se faire avoir », mais au contraire « être sauvé » grâce aux soins intensifs à l’hôpital. Désormais on dira « Si tu m’entubes, je te serai à jamais reconnaissant. J’étais en réa et tu m’as sauvé ». Tu réa-lises ?

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