mercredi 23 septembre 2015

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Salvados

Portraits de lévriers espagnols de Mathias de Lattre

, Hervé Le Goff et Mathias De Lattre

Salvados, une série inattendue, de portraits de chiens, des lévriers d’origine espagnole recueillis par des âmes charitables.
La relation qu’entretient Mathias de Lattre avec la violence trouve son expression aboutie.

On ne voit que des chiens pris dans ce jeu entre ombre suggérée et lumière retenue et photographiés dans des postures humaines. Ils ressemblent à des chiens banals. C’est leur histoire qui fait trembler. Soumis à des traitements d’une violence inouïe, ces chiens de chasse sont abandonnés, torturés, maltraités, assassinés dans des conditions atroces par leurs propriétaires lorsque ceux-ci découvrent qu’ils ne seront pas bon pour la chasse. Sauvés parfois, ils sont recueillis par des âmes nobles. Certains sont arrivés en France, Mathias de Lattre les a cherchés et les a photographiés.

Tout dans ces photographies se joue dans cette tension à la fois masquée et irradiant la totalité de l’image, entre une violence invisible à l’œil nu et perceptible si l’on se laisse prendre par le mystère des couleurs, des attitudes et des tons et ce regard animal qui nous fait nous tenir soudain sur le seuil d’une émotion vitale.

L’histoire des rois et l’histoire de l’art font au lévrier une large place, elles lui laissent aussi une belle image. Il arrive pourtant que certains de ces chiens de haute race, qu’on dirait « bien nés », auraient mieux fait de ne pas naître, victimes de maîtres qui leur reprochent leur manque de performance à la chasse. Battus, abandonnés quand ils n’ont pas succombé aux mauvais traitements, ces lévriers ibères ont été recueillis par des familles, des associations de défense ou des éleveurs.

Mathias de Lattre a commencé en 2012 à photographier ces malheureux animaux originaires d’Espagne ou du Portugal. La mélancolie qui se dégage de leur regard et qui semble renvoyer à des jours de souffrance a très vite suggéré au jeune photographe de les placer dans l’univers avec lequel le destin les a réconciliés.

Rencontrés à la faveur de contacts, de promenades, ces chiens devenus animaux de bonne compagnie s’imprègnent eux-même de ce qu’avec narcissisme nous appelons l’humanité. C’est ce que Mathias de Lattre a voulu montrer dans ses images, en restant dans le domaine du portrait dont il a fait son premier territoire. Installés dans les demeures des hommes qui leur ouvrent les murs et leur offrent leurs meubles, les « Galgos » et les « Podencos », deviennent pour l’artiste des modèles et leur histoire disparaît derrière les apparences, Doug fait sa niche d’un fauteuil à palmettes, Lola s’assume en blanc et noir quand Gazhal s’inscrit dans un décor de jardin d’hiver. Oubliant l’anthropomorphisme des fables, contournant la profusion du bestiaire, ces lévriers du sud se livrent dans une singulière galerie de portraits, fragiles et magnifiques.