mardi 31 mai 2016

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Photographie au rabot

, François Michaud et Hervé Rabot

Rien n’est plus évident, ne se donne davantage pour la réalité qu’un buisson ou un corps.

Hervé Rabot est photographe, c’est-à-dire que son univers est tendu vers ce que nous persistons, en dépit de tout, à appeler « le réel ». Cet autre qui est là, roncier, sexe ou corps, ne détache sa part active de la réalité plus entière, plus totale de l’être que par raccroc. Je m’explique : rien n’est plus évident, ne se donne davantage pour la réalité qu’un buisson ou un corps. Nous avons appris à rechercher dans une image ces deux catégories fondamentales : ou le corps de l’autre ou ce qui nous environne – et parfois les deux. Pourtant, tout indique que ce que nous voyons n’est là que pour masquer autre chose, que nous pourrions appeler un autre réel, ou une autre réalité. En physique, nous observons des phénomènes ramenés à des abstractions mathématiques. Un corps tombe, et celui-ci est censé se déployer dans l’espace sans interaction avec les corps qu’il traverse – en physique, ces corps sont les éléments, molécules d’eau, d’hydrogène, d’oxygène, de gaz rares… Pourquoi traquons-nous l’autre ? celui ou celle que nous ne pouvons convenablement décrire autrement que par une abstraction.

Qu’importe que le sexe soit ouvert ou fermé, masqué par la chevelure ou offert à l’objectif. Le roncier toujours est là, à l’apparence impénétrable – et pourtant, dans les buissons aussi nous entrons parfois. Peut-être n’a-t-on aussi bien conçu le paysage, au XVIIe et au XVIIIe siècle que lorsque celui-ci pouvait se voir encore comme une synthèse du monde, un précipité sensible dans lequel se voyait, en raccourci, l’ordre de l’univers. De l’infiniment grand à l’infiniment petit, tout se rassemblait ainsi dans le paysage, et les corps qui parsèment les tableaux de Watteau se détachent à peine du fond qui les enserre. On embarque pour Cythère, on débarque, on embauche et on débauche. C’est selon.

À mesure que le temps passe, les œuvres d’Hervé Rabot se font plus secrètes. Vous auriez pensé lire le contraire, peut-être. Non, je ne crois pas – je maintiens ce que j’ai écrit. Secrètes elles le sont devenues, comme les mots sur la page disent tout – sauf ce qu’ils ne peuvent dire. Autre chose. Il y a autre chose à dire, que l’on ne dira pas, que l’on ne lira point et qui pourtant s’inscrit ici en continu comme une pellicule. Ruban de Mœbius en vain déversé sur la feuille des images latentes. NOUS NE RENTRONS PAS. Nous attendons que cela se dise quand même, car il fallait le dire – peut-être. De nouveau. La photographie est ce nouveau-là, la possibilité funeste de ne pas se retrouver enfermé en soi-même, de devoir sortir, sortir de soi, pour ne plus y rentrer. Se retrouver seul avec l’autre – cet autre qu’on ne dit pas, qu’on ne photographie pas, dont on ne prend pas l’être – car cela ne se peut.

ENTRONS. Nous y trouverons bien quelque chose.


LES PETITES Tables, d’Hervé Rabot
Cou[p] de Rabot, 2013 – 2016

Conception et réalisation Dominique Gaessler
Trans Photographic Press, Paris

Diffusion par l’artiste : h.rabot@gmail,com

Livret 25 x 19, 12 pages, Photographie au rabot, 2016, Préface de François Michaud, Conservateur en chef, musée d’Art moderne de la Ville de Paris

5 photographies noir & blanc, impression bichromie
3 photographies couleur, impression quadrichromie
Livret agrafé 16x10, 16 pages

Cou[p] de Rabot, 2013 – 2016
Écrit d’Hervé Rabot