Nous, vos chapeaux

Dix 10

Roma Napoli et J.J. Dow Jones créent le collectif Dix 10 en 1982. On est dans l’esprit du temps, dans les années 1980, les années concept et provoc, punk et rock n’roll. D’autres se font appeler les Musulmans fumants, les Frères Ripoulin, les X-Moulinex, les VLP, Speedy Graphito ou encore Paella Chimicos… A la différence des artistes de la Figuration libre ou des Médias peintres, qui s’inspirent de la bd, des dessins animés ou des séries tv, avec qui ils partagent cernes noirs et formes simplifiées, les Dix 10 se veulent « alternatifs, dans une lignée situationniste ».

Leur peinture, produite en série et montrée en installations, s’insère dans un dispositif visant à produire avec humour « un état des choses ». L’idée force de Dix 10, c’est de « faire circuler l’art en le rendant accessible à tous ; que plutôt qu’un poster, on achète une œuvre d’art au même prix ».

Proposition généreuse qui va à l’encontre du fétichisme de la marchandise mais qui n’entre guère en adéquation avec le marché de l’art... Si les heureux acquéreurs des rouleaux de réglisse (dix centimes), des dizaines de brins de muguet (un franc) ou des centaines d’esquimaux (cinq francs) conservent précieusement leurs peintures sur carton, ce ne sont pas ces ventes et cette longue liste de collectionneurs qui rendent aisée la vie du collectif… Cependant, Ben s’enthousiasme et acquiert la carriole du Muguet du 1er mai, leur Premier Supermarché de l’Art et ses trois mille peintures/produits de consommation (1983) est dévalisé tout comme leurs Galeries automatiques (distributeurs de friandises), leur Sexshop Berlinois (1984) ou leur Giftshop newyorkais (1985).

Le projet des Dix 10 fait d’eux les précurseurs de propositions présentées plus tard dans les musées et les centres d’art, de l’Hybermarché de Fabrice Hyber en 1995 aux contrats Things (Acheté avec des fonds fournis par) de Matthieu Laurette en 2010.

Leur « art contextuel » joue avec l’histoire de l’art. Citons, parmi leurs performances et réalisations, leur Mona Lisa œuvre inestimable (1984) ou leurs Lithos de Buren accrochées dans l’entrée du Palace (1986), le DIX 10 Museum ouvert à la Bastille (1987-1990), la mise en boîte de la signature de Beuys (1987), leur échiquier de Duchamp (1988) … Leurs actes artistiques abordent d’autres champs de la création, du Palais du tapis (1984) au Parquet a prix plancher (1991) ou au mobilier de Le Corbusier revisité (2012). Les installations des Dix 10 sont aussi un art d’engagement, de l’éthique et de la dérision avec leurs caisses d’armes à feu, leurs couvertures de livres interdits, leurs barils de pétrole dont le prix varie avec le cours de la bourse, leurs petits paquets d’Herbe magic, leurs Bons du trésor, leur Médaille Jack Lang…

Au finish, ces milliers de peintures sur carton, cette production « stakhanoviste » et unique des Dix 10, à l’époque où l’esthétisation et la merchandisation de l’art sont plus que jamais une réalité, constituent l’œuvre critique la plus décapante, la plus réjouissante, et la plus visionnaire qui soit.

Pascale Le Thorel