mardi 30 janvier 2024

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Les mascarades en tabloïd de Yannick Vigouroux

, Samantha Barroero et Yannick Vigouroux

Depuis les années 1980, la dictature de la dénonciation des apparences a trouvé ses limites. L’ère du faux, du simulacre a poussé à l’extrême le territoire photographique. Il est à présent possible d’en élargir la grille de lecture, de revenir sur la remise en cause de la prétendue "transparence" de la photographie, notamment à partir de la notion de récit.

Le photographe doit dès lors résoudre une énigme qui peut se poser en ces termes : La photographie, pur organe de la transmission inaltérée du monde, montre. Comment faire pour qu’elle raconte ? Comment faire prendre la parole à l’image pour qu’elle devienne le vecteur actif de la fiction ?
Une des solutions largement employée est de faire intervenir la citation, l’emprunt, le détournement d’autres supports. Littérature et cinéma sont fréquemment sollicités.

Dans les récents travaux photographiques de Yannick Vigouroux et plus encore dans sa série intitulée Mascarades, on note dans la composition de ses images, un goût exacerbé pour le remake cinématographique. Films d’horreur, films fantastiques, séries Z se superposent dans sa pratique en autant d’indices visuels. Les photographies deviennent la manifestation d’un récit où l’énigme reste toujours en suspens. Le photographe retrouve une arme. Il construit et livre une narration empreinte de références, de décalages, d’humour et de mélanges de genre.

Yannick Vigouroux alias Luc Mallet, pseudonyme qu’il a pris pour signer la série des Mascarades, dirige les prises de vues, signale certaines contraintes mais laisse à ses modèles le choix de les interpréter : « Les modèles, posant en intérieur face à l’objectif, se mettent en scène dans leur théâtre intime, habillés ou au con traire dénudés, de préférences masqués. La seule contrainte imposée par le photographe est la paire de bottes, élément-pivot de ce jeu de dissimulation et de dévoilement, d’enracinement tellurique qui crée un lien visuel entre les différents portraits de la série. »

Le Prince des Ténèbres, le comte Dracula, Hannibal Lector, ou autres figures mythiques des films d’épouvante depuis le cinéma muet jusqu’aux films "gore" n’ont qu’à bien se tenir, car l’objectif de Luc Mallet leur offre des fiancées piratées et prêtes à jouer un rôle de composition.
Proposer à des modèles, exclusivement féminins, de porter un masque et une paire de bottes, les laisser libres de se mettre en scène dans leur propre intérieur, user d’un pseudonyme, voilà le début d’une histoire bien ficelée.

Le masque est la star de l’interrègne, de l’interchangeabilité, de l’interface des mondes, la représentation de l’interdit, du désordre, face à l’ordre imposé. En montrant les peurs d’un monde qui se délite, le masque les exorcise. Il théâtralise les valeurs, revitalise leur sens par les simulacres et les inversions.
Dans une société où le « crime parfait » (cf. Baudrillard, Paris, Galilée 1955) de la réalité a effacé la ligne entre le réel et l’imaginaire, l’artiste faiseur d’artifices conserve à jamais le masque.
Carl Einstein définissait le masque comme « une extase immobile », extase certes dans la mesure où son porteur cesse un temps d’être lui-même pour incarner ce qu’il souhaiterait être.

 

 

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