lundi 1er janvier 2024

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Les déjà-vu de Francis Jolly

un poème de Nancy Huston

, Francis Jolly et Nancy Huston

« J’aime la photographie pour ce qu’elle ne montre pas, ce qu’elle déclenche au regard. J’aime être surpris par les espaces inattendus qu’elle nous ouvre.
C’est pour approfondir et nourrir ces écarts que je propose à des écrivains "d’accompagner" mes photos pour en suggérer d’autres lectures possibles.
Le poème que Nancy Huston m’a offert se glisse naturellement lorsque ces images sont publiées. »

On ne peut se défaire du sentiment que
sans les avoir jamais arpentés
ces paysages ruraux ou urbains
on les connait déjà intimement
parce qu’en notre cœur
dans le regard de notre cœur
ils sont posés, juxta- et super-
posés exactement ainsi :
non dans la confusion mais
dans l’intelligence mutuelle
du proche et du lointain
la lumière réciproque
du lointain et du proche

Les rayons du soleil tombent
à plusieurs angles différents ;
c’est le matinsoir, il fait nuitjour
la fenêtre éclaire les gratte-ciels
et les gratte-ciels éclairent la fenêtre
la route traque le ciel et
le ciel traque la route
la roche est transparente et
l’écriture traverse les nuages

Une vitre nous sépare du monde
elle prend la couleur de notre souffle
de notre rêve, de notre souvenir
ça pleure et ça pleut
ça se couvre d’humidité, faisant affleurer
ombres poussières vents
glissades     reflets
hachures     égratignures
déchirures de la mémoire

On soupire et se perd
on recule et tombe
on voit sans bouger : rien n’est tout à fait pareil
et pourtant on reconnaît, on reconnaît
on est plein de reconnaissance.