vendredi 4 août 2023

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Le don de « clair-audience »

Entretien avec Anne Vassivière, écrivaine

, Catherine Belkhodja

Anne Vassivière publie son second roman, « 122, rue du Chemin-Vert ». Elle y raconte le parcours d’une femme, pourtant non initiée, qui entend involontairement le désir sexuel des personnes qui l’entourent. Si nous avions tous et toutes le don d’entendre le désir sexuel des personnes de notre entourage, ce serait une vraie cacophonie ! Anne Vassivière n’hésite pas à s’emparer de ce thème pour imaginer, avec un humour et une ironie omniprésents, les situations les plus cocasses.

 

Quel a été l’élément moteur de l’écriture de votre roman, « 122, rue du Chemin-Vert » ?

J’ai voulu faire un ouvrage sur la tolérance. J’ai souhaité aller plus loin que mon premier roman « Parties communes », en m’attaquant aux préjugés que l’on peut avoir sur la sexualité d’autrui. Si, à la fin de sa lecture, le lecteur ou la lectrice regarde sa sexualité et celle d’autrui avec bienveillance, le pari est tenu. C’est également l’occasion de faire découvrir aux lecteurs des extraits d’ouvrages érotiques qu’ils n’auraient pas pensé à découvrir.

Pouvez-vous décrire le dispositif que vous avez mis en place dans votre livre ?

J’ai utilisé l’artifice d’un super-pouvoir attribué à une jeune femme, Anne. Au début, c’est plus une super-malédiction  ! Elle entend les pensées sexuelles des gens et elle devra apprendre à en maîtriser le flux. Anne a un don de « clair- audience », un terme équivalent de « clairvoyance » et non pas de voyeurisme , pour ce que l’on entend   ! Elle finira par cesser de juger les gens pour leur pratique sexuelle. Elle acceptera aussi elle-même ses propres pulsions pour rouvrir la porte de l’amour.

Cet ouvrage est donc un livre de réconciliation ?

Absolument. Le personnage d’Anne nous accompagne sur le chemin des préjugés qui échappent à notre conscience, jusqu’à la tolérance. La seule limite est évidemment le consentement du partenaire. Tout se passe entre adultes consentants. Le parcours de cette jeune femme peut être le nôtre : dans l’enfance, nous avons tous plus ou moins entendu des choses que nous n’avons pas forcément comprises et qui ont pu être violentes pour nos esprits enfantins. Surprendre des ébats ou entendre des gémissements qui peuvent être pris pour de la douleur, c’est quelque chose que l’on enfouit dans l’inconscient. Ces fragments de souvenirs forment des petites plaies qui, accumulées, peuvent finir par être traumatisantes et remonter brusquement à la surface et faire souffrir ultérieurement lors de situations amoureuses. On fait ce chemin avec l’héroïne, jusqu’à transformer ces petits traumatismes en une compréhension et une acceptation de la pulsion de vie.

Au départ, le personnage principal, Anne, n’est pas une initiée ; son regard est presque ethnologique. Où avez-vous puisé la matière de ce livre ?

Je ne sais pas. C’est l’observation de mes propres pulsions, des conversations sur le désir avec des hommes et des femmes de tous âges qui m’ont donné la matière à écrire ce livre. C’est un livre plutôt facile à lire, mais qui, sous une apparence de légèreté, aborde des aspects plus profonds, sans pour autant tomber dans le dogmatisme d’un ouvrage de thèse, ou le voyeurisme.
Cet ouvrage a été écrit pour nous délivrer, avec le sourire, de nos barrages. A priori, la sexualité est un endroit où les chairs sont à vif. C’est une façon de réenchanter le corps et les rapports avec soi-même et autrui. Rien n’est sale : on se remet dans la beauté du monde.

Le personnage principal, Anne, a la lucidité d’une féministe, mais projette aussi des désirs masculins...

Le désir masculin est omniprésent dans notre société, il s’exprime sur les affiches de pub. L’héroïne apprendra à entendre aussi le désir des femmes et à lui donner la parole.

Qu’est-ce qu’écrire Éros ?

Écrire Éros, c’est rencontrer l’autre et se rencontrer soi-même. Il ne s’agit pas d’une posture de développement personnel à la petite semaine, mais d’une mise en vertige de soi et d’autrui. Une façon de grandir avec l’autre. Cela n’a rien de mièvre ni de tiède. Ça fuse, ça flambe, ça rit, ça crie. Écrire la relation charnelle me relie à mes semblables à travers les âges, les continents et les genres. Le corps vibre dans la chair du mot et, même écrit, même désincarné, demeure le lieu de toutes les rencontres. Ce qui s’exprime dans les relations amoureuses ou simplement charnelles nous dépasse pour le meilleur et pour le pire. Tant d’espoirs s’y cristallisent, heureux ou meurtris. Tant de grands bonheurs et de grands malentendus. Tant d’honnêteté, qu’on le veuille ou non, tant d’abandon. La sexualité est zone de pouvoir potentiel et donc, de responsabilité.

Comment façonnez-vous votre écriture ?

Je souhaite rester au plus près du grand chamboulement du corps. Le désir est toujours au présent, impératif. Il se gausse de toute correction, le désir est mal élevé. Si la bouche se déforme dans l’extase, le mot doit se déformer aussi. Dans un monde qui nous gave de consommation et de mental, qui en fait une prison bloquant les corps et les cœurs, je milite en écrivant la chair : pour la naïveté du cœur et pour l’instinct du corps. Et vice-versa. Pour le profondément humain. Car si je m’accepte dans mes désirs et mes plaisirs, si je m’accepte telle que je suis, alors je suis hors d’atteinte des jugements nés du pouvoir. Et je suis dans la bienveillance pour moi-même et pour autrui. Dans mon précédent ouvrage « Parties Communes », un roman choral, les noms deviennent verbes et vice-versa. Certains adverbes ont des velléités impropres à la grammaire.

Pouvez-vous présenter la Musardine, qui a édité « 122, rue du Chemin-Vert » ?

La Musardine est à la fois une maison d’édition et une librairie spécialisée dans la promotion des beaux livres, d’art, de littérature, de bandes dessinées ou même d’essais sur la sexualité ou sur le corps en général.

122, rue du Chemin-Vert
Anne Vassivière
La Musardine
978-2-3690-496-5
16 euros
(réservé aux adultes)