samedi 1er avril 2023

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Le crépuscule des formes

, Audrey Perzo

Il n’est rien de plus intéressant que de voir à travers une fenêtre fermée : elle met le proche à distance, crée d’autres espaces dans l’espace.

Pour peu qu’elle soit embuée, elle donne une aura aux choses car elle les montre moins par ce qu’elles sont que par ce qui les entoure. Une fenêtre opaque est un support-projection pour l’esprit. La vitre, l’image ou l’eau, quand elles sont troubles, sont plus propres à créer des fantasmes que le clair et le distinct. Quand nous cherchons un souvenir dans notre mémoire, il nous arrive souvent de fermer les yeux : l’obscurité permet-elle de mieux voir les contours ? En opacifiant, il s’agirait d’obstruer, en partie, l’œil physique pour ouvrir l’œil de l’esprit, de placer un voile sur les images comme pour les glisser sous les paupières closes.

Audrey Perzo
© Laurent Ardhuin

La peinture d’Audrey Perzo procède de l’architecture, du design, et de l’espace en général. Les lignes qui la traversent témoignent d’une géométrie appliquée, faite de pavements, de plans, de lignes de fuite, de volumes, de cercles et de carrés. La peinture est en cela « medium » au sens strict, c’est-à-dire qu’elle est un moyen d’accueillir et de transmettre autre chose qu’une forme ou une couleur définies, comme un conduit accompagnant des énergies potentielles. Aussi, se constate une poétique du bricolage où le brouillon, la maquette, le schéma et la cartographie sont moins marqueurs de repentirs et de travaux préparatoires que du travail en soi. Mais ces formes nettes sont rendues floues par le biais de plusieurs truchements : reflets, transparences, dispositifs membranaires. Leur précision première fait place à l’instabilité, au vaporeux, au tremblement. Par exemple, elles s’animent à travers un verre dépoli noyant les contours comme des fumerolles de pensées ou de silhouettes à la dérive. Ce sont dès lors des caractéristiques temporelles qui s’immiscent dans l’espace plastique puisque les formes sont poreuses aux éléments changeants qui les entourent : le mouvement, la lumière, l’environnement, les corps. Ce travail est donc un travail sur l’atmosphère et s’ouvre vers le spectateur qu’il place en son sein comme au milieu d’un paysage. Voyons-nous parce que nous voulons voir ou parce que quelque chose, au coin de l’œil, semble nous regarder ?

Audrey Perzo
© Laurent Ardhuin

[La légende du voile de Poppée raconte que la seconde épouse de l’empereur Néron dissimulait en partie sa beauté pour attiser le désir. L’œuvre voilée par des brises-vue aguiche-t-elle le regard ou l’éloigne-t-elle pudiquement ?]

On peut lire, sur le site de bricolage monartisanat.fr : « La bâche et le tissu technique peuvent être indispensables aussi bien pour les particuliers que pour les professionnels. Appréciés pour leur résistance, leur souplesse et leur esthétique, ils sont utilisés en guise de protection, d’aménagement intérieur et extérieur, de couverture de façade, d’isolation phonique ou encore de brise-vue ». Le terme « brise-vue » est excellent. Comme les brise-lames protègent le port de la houle du large, la bâche empêcherait un regard un peu trop direct ou insistant sur les choses. La bâche est donc un rempart où vient s’échouer notre acuité visuelle. Disposée en vagues dans l’espace d’exposition, elle joue le rôle d’un prisme, en ce qu’elle démultiplie la perception des formes colorées. L’incertain fait trembler le précis, soulève le simple et le délicat comme l’aller-retour anadyomène d’une vague, une respiration douce ou le mouvement de diastole et de systole du cœur. Il y a une sensation de corps flottants et une perte de la vision centrale au profit de la vision périphérique : on ne voit que par les côtés. En parlant des œuvres d’Audrey Perzo, j’ai le sentiment d’être une ophtalmologue qui décrit les divers symptômes d’une diminution progressive de la vue.

Cataracte

I. Chute d’un fleuve, chute d’une rivière importante, lorsque ses eaux se précipitent d’une grande hauteur.

II. Opacité du cristallin, chez l’homme ou l’animal.
Source : Dictionnaire de l’Académie française

Elora Weill-Engerer

Audrey Perzo
© Laurent Ardhuin
Audrey Perzo
© Laurent Ardhuin
Audrey Perzo
© Laurent Ardhuin
Audrey Perzo
© Laurent Ardhuin
Audrey Perzo
© Laurent Ardhuin
Audrey Perzo
© Laurent Ardhuin

Voir en ligne : Audrey Perzo

Exposition personnelle Le crépuscule des formes
à l’Espace d’art contemporain Camille Lambert, Juvisy-sur-Orge
du 11 février au 22 avril 202
35 Av. de la Terrasse, 91260 Juvisy-sur-Orge
https://sortir.grandorlyseinebievre.fr

Frontispice : Audrey Perzo — © Laurent Ardhuin