vendredi 4 août 2023

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LA FABULOSERIE

Quarante ans de passion partagée

, Catherine Belkhodja

Jusqu’au 25 août, La Halle Saint-Pierre, au pied de Montmartre, fête les quarante ans de la Fabuloserie. L’occasion de revenir sur la fabuleuse histoire de cette collection incroyable née dans les années 70, rue Jacob à Paris, à l’initiative d’Alain Bourbonnais, et dont les pièces ont rejoint au début des années 80 la « maison-musée » de Dicy en Bourgogne.

La Fabuloserie souffle ses quarante bougies à la Halle Saint-Pierre à Paris, avec, jusqu’au 25 août, une exposition incontournable pour ceux qui s’intéressent à l’art brut, ou à l’art hors-les-normes, au croisement de l’art populaire ou des arts singuliers. L’occasion de revenir sur l’histoire de cette collection incroyable née dans les années 70, rue Jacob à Paris, à l’initiative d’Alain Bourbonnais, disparu en 1988. L’homme, architecte de métier, a rassemblé pendant quarante ans, avec sa femme Caroline, de splendides pièces qui ont rejoint au début des années 80 la « maison-musée » La Fabuloserie située à Dicy, au cœur de la Bourgogne.

Aux beaux jours, d’avril à novembre, l’extraordinaire musée de Dicy ouvre également ses portes, l’occasion pour nous de découvrir, sur les lieux mêmes de leur création, les Turbulents d’Alain Bourbonnais ou les œuvres tout aussi fabuleuses choisies par le couple légendaire.
Dans le domaine aménagé, leurs filles Agnès et Sophie, qui ont repris le flambeau et, avec conjoints et enfants, organisent souvent des visites. La découverte de ce lieu magique commence par la visite autour du lac où des personnages et des animaux grandeur nature cohabitent en bonne intelligence et en toute quiétude dans un décor enchanteur.

Girouette du manège. La Fabuloserie à Dicy

L’histoire commence avec le modeste achat d’une simple maison de bois avec un carré de jardin attenant, le tout bordé par un marécage. De l’autre côté de la route, un garage. La propriété a été achetée en 1960, par un froid glacial, en quelques minutes, par leur père, Alain Bourbonnais.

Alain Bourbonnais, architecte et collectionneur

L’architecte et créateur de génie originaire de l’Allier s’installe à Paris en 1942 pour suivre des cours d’architecture aux Beaux-arts. Il choisit d’habiter à proximité de son école à Saint-Germain-des-Prés, quartier des galeries et des clubs de jazz qu’il fréquente assidûment, avec sa famille. Il conçoit pendant ses études des décors de théâtre, et reçoit des commandes pour le Grand Duché du Luxembourg et la première maison de la Culture de Caen. Il achètera ses premières œuvres d’art quelques années plus tard : Louis Pons, Armand Avril, Fred Deux au point Cardinal, ou des œuvres du mouvement Cobra comme Karel Apel et Corneille. Il s’intéresse aussi à l’art forain, au Trebulum de Jean-Paul Favant ou aux poupées péruviennes de Céres Franco.

La correspondance avec Jean Dubuffet.

D’après sa fille Sophie Bourbonnais, son père n’a découvert l’art brut qu’à l’occasion de la donation de Jean Dubuffet à la Ville de Lausanne, en 1971. Il lui écrit immédiatement pour lui présenter des photos de ses estampes : Les Gratte-cul. Jean Dubuffet est enthousiaste. La correspondance entre les deux hommes se prolongera jusqu’en 1984 et donnera lieu à une publication parue en octobre 2016 chez Albin Michel : Collectionner l’art brut et comporte 114 lettres [1].

Alain Bourbonnais ouvre une galerie au 45, rue Jacob qu’il pensait consacrer à l’Art brut, mais Jean Dubuffet s’y oppose vivement et exige que ce terme lui soit réservé. L’artiste propose en contrepartie trois autres appellations : « L’art hors les normes », « les Productions extra culturelles » et « l’invention spontanée ». Il recommande également, et vivement, quelques artistes. Alain Bourbonnais fait alors la tournée des trente-cinq artistes proposés par Dubuffet. Mais plus encore, il privilégie l’intuition et va au-devant d’autres artistes qu’il visite en famille et qui deviennent vite des amis. Il apprécie la cohérence entre leur créativité et leur façon de vivre.

Alain Bourbonnais, qui s’oppose à la mode des galeries de l’époque qui proposaient des cubes blancs, préfère au contraire reproduire l’environnement foisonnant des artistes sur un fond noir en toile de jute.

Inauguration de l’Atelier Jacob.

L’atelier est inauguré en septembre 1972 avec une superbe exposition de Aloise Corbaz , laquelle, grâce au succès, sera prolongée au-delà des dates prévues. Bien vite, Alain Bourbonnais n’aura plus besoin d’emprunter des œuvres au Musée de Lausanne et préfèrera prospecter lui-même, avec toute la considération de Dubuffet, épaté par ses trouvailles.

La presse est élogieuse, les vernissages festifs et très réussis, mais les visiteurs n’ont pas encore le réflexe d’acheter. Il faudra attendre au moins six ans, l’exposition « Les singuliers de l’art » pour que trente-cinq artistes de l’atelier Jacob soient sélectionnés. Malheureusement, cette exposition prestigieuse qui avait rassemblé plus de vingt mille visiteurs, n’incitait pas encore les collectionneurs à investir dans l’Art brut.


Les honoraires reçus pour le projet du RER NATION [2], fondaient comme un nuage au soleil, car l’Atelier devait supporter un loyer et des charges importantes, sans contrepartie. Ce fut l’occasion d’une prise de conscience entre Alain et son épouse Caroline qui décidèrent de transférer les œuvres à Dicy, dans la fameuse propriété achetée en 1960.

Le déménagement à Dicy et l’aménagement du musée.

Là, Alain oublie son savoir-faire en matière de plans et préfère concevoir une architecture vernaculaire, improvisée au jour le jour en fonction des œuvres déjà acquises. Avec un maçon, il crée des niches, des coins, des recoins où les œuvres seront mises en valeur. Il met la main à la pâte pour créer un lieu intimiste qui restera confidentiel durant quelques années. Dans le même temps, il poursuit la création de ses sculptures géantes, Les Turbulents qu’il met aussi en scène pour réaliser des courts métrages qui sont parfois projetés à Dicy. Ce sont de grands gaillards plutôt joyeux dans lesquels sont souvent intégrés des mécanismes qui leur permettent de bouger et d’évoluer dans le hangar où ils vivent, au rez-de-chaussée du Musée de Dicy.

L’ouverture de LA FABULOSERIE

L’ouverture au public a lieu en 1983. En 1987, Roland Danchan « sauve » le Manège de Petit Pierre qui était voué à la destruction en le faisant rapatrier à la Fabuloserie. Alain Bourbonnais décèdera malheureusement en 1988, avant que le Manège, livré en pièces détachées, soit de nouveau remonté.

Les deux filles d’Alain et Caroline Bourbonnais ont pris le relais [3]. Alors qu’Agnès se charge d’organiser conférences et visites à la Fabuloserie, Sophie reste la galeriste de la Fabuloserie de Paris (malheureusement vendue depuis le début de l’année 2023), rue Jacob où elle organise de très nombreuses expositions comme la dernière exposition de JABER [4], ou d’autres artistes comme Michèle Burles, Ignacio Carles-Tolra, Alain Lacoste, Marie-Rose Lortet, Francis Marshall, Jano Pesset, Loli et To bich Hai. D’autres créateurs les ont rejoints comme Michael Golz, Hervé Marsy, Pape Diop, Jill Gallieni, Jean Christophe Philippi, Danielle Chanut, Sylvia Katuszewski, Bruno Monpied, Ni Tanjung, Genowefa Magiera et Genowefa Jankovska.

Tous ces artistes rassemblés par Alain Bourbonnais et son épouse ont su créer des univers parallèles qui nous retiennent au monde. Longtemps après être rentrés chez nous, les créatures angéliques, grinçantes ou célestes si attachantes résonnent encore en nos mémoires. Elles hantent nos rêves et tissent avec nous des fils invisibles qui nous incitent à les revoir, car elles nous manquent comme nous manquent les morts que nous aimons toujours.

Marie l’amoureuse de Jaber tableau de JABER
Tableau exposé à la Galerie BELLEVILLE galaxie lors de l’exposition organisée par Catherine Belkhodja en hommage à JABER. Collection privée Bruno Livrelli

Notes

[1Collection Beaux-livres

[3Plus de 16 000 visiteurs par an.

[4JABER, Vagabondeur, libre et frondeur par Catherine Belkhodja Revue A numéro 14 (Littérature-action) page 68-73, www.revue-a.fr

Voir en ligne : www.lafabuloserie.com

LA FABULOSERIE, à la LA HALLE ST PIERRE, 
2, rue Ronsard. Paris 18e, 01 42 58 72 89.
(25 janvier au 25 août 2023)
https://www.hallesaintpierre.org
Métro : Anvers/Abbesses

LA FABULOSERIE à DICY

1, rue des Canes 89120 Dicy – Charny-orée-de-Puisaye - 03 86 63 64 21
fabuloserie89@gmail.com

http://www.fabuloserie.com
Expositions temporaires
Juillet – aout 2023
Il y a Quelque Chose Là-dedans ?
Exposition collective présentant 3 artistes de la galerie Jennifer Lauren, Cara Macwilliam, Jesse James Nagel et Chris Neate.

couple dans le jardin de la Fabuloserie à Dicy