lundi 1er janvier 2024

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Jürg Kreienbühl, peintre des marges

des paysages périurbains en exposition

, Françoise Lambert et Stéphane Belzère

Avec l’exactitude et l’acuité hallucinante d’un scientifique, l’artiste s’est fait dès les années cinquante le peintre désillusionné des vieilles croyances, des banlieues et des mondes condamnés, des exclus et des ravages de l’urbanisation et de l’industrialisation. Les œuvres présentées jusqu’au 13 janvier 2024 à la galerie Loewe & Co à Paris montrent qu’il n’a rien perdu de son actualité.

Dès ses débuts, le peintre Jürg Kreienbühl (1932-2007) dit sa fascination pour la pourriture et la destruction. Exprimée dans une veine expressionniste, elle trouvera sa forme définitive dans un réalisme objectif, documentant un état des lieux sans concession des bouleversements socio-économiques et écologiques de la seconde moitié du 20ème siècle.

C’est après l’arrêt de ses études — en biologie puis aux Beaux-Arts à Bâle — et une formation de peintre en bâtiment, que Jürg Kreienbühl part en banlieue parisienne grâce à l’obtention d’une bourse de la Ville de Bâle.

Il y peint des décharges, des cimetières et des cadavres d’animaux en décomposition. L’artiste travaille sur le motif. En 1958, il finit par s’installer dans un vieil autobus sans roues, en plein cœur du bidonville de Bezons. Là, il pointe son regard et son pinceau sur une cour des miracles constituée de ses amis et modèles, les immigrés et les gitans. Familier des terrains vagues et des bidonvilles des alentours, au début des années 60, il continuera sa pratique dans un "atelier-roulotte" qu’il installe dans un terrain vague de Carrières-sur-Seine. Il fera pendant une décennie le portrait des marginaux, prostituées, clochards et infirmes qu’il côtoie. Devenant ainsi l’un des seuls témoins et chroniqueurs de la vie quotidienne dans ces marges de l’existence.

Intérieur algérien, 1976
peinture vinylique sur isorel, 125 x 121 cm

En 2007 [1] , le critique Philippe Dagen écrivait dans le Monde : « [Jürg Kreienbühl] pourrait être tenu pour le premier hyperréaliste de la peinture parisienne dans les années 1960. Il peut aussi apparaître comme le prédécesseur de ceux qui font aujourd’hui de leur art les moyens d’une chronique sociale et architecturale désenchantée. »

Si la technique picturale de Jürg Kreienbühl se réfère volontiers à la peinture du XIXe siècle, l’artiste peint la plupart de ses tableaux non sur toile mais sur Isorel, et il n’utilise pas de l’huile mais des peintures acryliques.

A partir des années 70, les grands bidonvilles qui entourent Paris sont démantelés. Jürg Kreienbühl reprend la pratique de la gravure et de la lithographie, tout en continuant à peindre dans son atelier de Cormeilles-en-Parisis. Il développe alors une production autour de sujets comme la pollution, le paquebot France au "quai de l’oubli" au Havre (1978-1979), le cimetière de Neuilly-sur-Seine et le chantier de La Défense (1980).

Il s’intéresse aussi aux trésors abandonnés de la galerie de Zoologie - alors fermée - du Jardin des Plantes de Paris (1982-1985), puis dans les années 90 à la centrale nucléaire de Gravelines et au port de Dunkerque (1995-1997). Il reviendra par la suite à des sujets suisses, avec notamment la brasserie Warteck, le jardin enchanté de l’artiste Bernhard Luginbühl et des paysages de montagnes.

Hortensias et paysage suisse, 1953
huile sur toile, 103 x 140 cm

Une exposition à voir jusqu’au 13 janvier 2024 à la galerie Loewe & Co à Paris présente un ensemble inédit des peintures de la période baloise (1953-1954), crues, fouillant au scalpel l’envers du "cauchemar climatisé" suisse, et une série de paysages de bidonvilles, de grands ensembles, de La Défense en banlieue parisienne, au littoral industriel du Havre et du Tréport. Jürg Kreienbühl, un peintre à découvrir ou à redécouvrir.

Jürg Kreienbühl, Paysages périurbains (1953-1978)
Exposition jusqu’au 13 janvier 2024
Loeve&Co Marais - 16, rue de Montmorency - 75003 Paris
Du mardi au samedi, 11h - 19h.

Image d’introduction : Jürg Kreienbühl, Sans titre (General motors), 1961, peinture vinylique sur isorel, 80 x 90 cm

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L’atelier de Jürg Kreienbühl à Cormeilles-en-Parisis

Photo : Françoise LAMBERT / Hans Lucas, 2017
Photo : Pascal HAUSHERR, 2017
Photo : Françoise LAMBERT / Hans Lucas, 2017
Photo : Françoise LAMBERT / Hans Lucas, 2017
Photo : Pascal HAUSHERR, 2017
Photo : Pascal HAUSHERR, 2017

Notes

[1Philippe Dagen, « Jürg Kreienbühl, peintre », Le Monde, 16 novembre 2007.