samedi 29 octobre 2022

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Corridor Elephant

Je ne vois que du silence

Pascale Cholette

, Pascale Cholette

Je photographie pour commencer à voir et pourtant, pourtant… je ne vois que du silence.


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Comment
Surmonter le temps ou le détruire ?
Par la volonté du destin ou du hasard ?
Ensemble ou pour son propre compte ?
Ainsi demandent-ils, soulagés
que la réponse n’arrive pas...

Vladimír Holan - “À tue-silence”

Ma mémoire est défaillante. De ces espaces vacants, ces moments fantômes, j’ai appris à construire et déconstruire, à faire advenir une nouvelle forme d’épiphanie, plus personnelle, plus intime, peut être plus fuyante. L’ensemble de mon travail porte en lui paradoxalement ce mouvement qui s’échappe.
La fuite, l’absence : la photo comme un miroir brisé fait de bouts de soi désunis, qu’on recolle, pour donner une contenance, pour conjoindre la présence et l’absence sur une pellicule exposée au temps, puis sur un papier qui donne à voir tout autant qu’il se dérobe. Je ne cherche pas l’instant, je n’emprisonne plus le temps, je couche l’oubli, je suis démiurge d’un souvenir empreint de vide, mais qui résonne d’un écho en failles, courbures, lumière et obscurité.

La lumière traduit un nouvel espace, les ombres témoignent d’un temps incertain. Le choix de la double exposition, c’est justement apprendre à ne pas choisir, à créer une mémoire capitonnée du double, de l’absence et de l’oubli qui ne peut se dire. Faire advenir de deux réalités fuyantes, une fiction en devenir.

« Mais dès lors que nous avons quelque chose à dire,
nous sommes obligés de nous taire »

Maeterlinck - Le trésor des Humbles

Alors que l’acception courante de la photographie est de figer l’instant, de donner une éternité aux souvenirs fugaces, de graver l’ineffable et l’irréversible, j’ai souhaité, dans mon travail, faire infuser un temps qui s’écoule dans l’interstice. L’espace du silence qui fait sens.
Sur certaines, on mesure pleinement la force d’un carré d’Outrenoir en franche dualité avec un mur blanc, une architecture en écho sur laquelle vient se coucher une autre photo, qui, elle aussi, se trouve emparée de cette (dé)construction. Un procédé fait d’artifices, mais qui, dans l’entre-deux, permet de traduire ce temps insidieux, ce langage du manque et de l’absence.

Donner du corps à ce qui ne peut se dire : il y a un rapport autobiographique, presque psychanalytique dans cette recherche de ce qui n’exprime pas, ce qui ne se traduit pas, ce qui fait manque et silence et pourtant nous emplit.

Mes silences sont pleins et mes images, toujours dédoublées, superposées, à la recherche d’une autre, d’un autre, de moi-même peut-être et de mon passé sûrement.

Je photographie comme certains artistes gravent en creux. On parle aussi de “taille d’épargne”, comme si ce temps si précieux s’exprimait non pas par le relief, mais par les blancs et les absences. L’intervalle de la double exposition témoigne de ce temps écoulé, cloisonné d’où surgit l’imprudence d’un monde irréel qui se matérialise fragilement. Si le vide n’existe pas, c’est qu’il est plein d’un silence, mon silence, mon langage. Ce silence permet de dissoudre une réalité objective et créer un autre espace sensible. Car tous les silences ne font pas le même bruit et le grain des surcouches qui s’enclenchent au son de la pellicule sont d’un autre langage.

Je donne à voir des “impressions” dans leur sens duel : des images qui ne se laissent pas appréhender en surface, mais qui demandent une plongée dans les profondeurs de ses sens et de sa plus propre intimité, celle où le silence se rapproche le plus de celui des abysses et des nuits sans lune.
Car la nuit est également un thème récurrent dans mon travail. Car la nuit est l’espace où les souvenirs se superposent et où vient le temps du rêve.
Le temps des rêves est toujours incertain, de nuit ou de jour, sans heures et sans repères, nos chimères sont toujours en dehors de nos espaces et de nos temps, comme une mythologie porteuse de croyances, de signes et d’interprétation. Et c’est justement parce qu’elles sont en dehors, que le langage peine à les réduire.

Le ciel et des sol, le tableau d’un musée, l’ombre de mon chien, une mosaïque à Pompeï, les pavés de ma rue... ces surfaces impénétrables s’imbibent alors d’une transparence incertaine, vaporeuse...

“Nous ne pouvons déterminer l’instant précis où le Moi, sous une autre forme, continue l’œuvre de l’existence. C’est un souterrain vague qui s’éclaire peu à peu, et où se dégagent de l’ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres”.
De Nerval - Aurélia

D’une série préparée et projetée aux aléas d’une double exposition où j’ai (sciemment) oublié quelle était la première image, mes lieux communs relèvent toujours de l’inattendu, d’un mode de construction qui puise dans le visible et l’invisible, mais dont le but premier est de créer un nouvel horizon, plus libre et moins déterminé.

Voir en ligne : www.pascalecholette.com