dimanche 1er octobre 2023

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Art Brut

Jacques Flèchemuller, le « peintre-fakir »

, Catherine Belkhodja

A l’occasion d’une exposition de Jacques Flèchemuller à la galerie Harkawik à New-York, l’autrice nous donne une vision personnelle du parcours et de l’œuvre du peintre et sculpteur.

Alors que j’étais étudiante aux Beaux-Arts à Paris, j’avais rencontré le peintre Jacques Flèchemuller. Nous avions découvert que nous étions voisins à Belleville et il m’avait invitée à visiter son atelier. J’aimais particulièrement les tableaux vifs et spontanés de l’artiste, qui s’était affranchi de ses années de cours à l’École des arts appliqués de Duperré et aux Beaux-arts pour oser envoyer valdinguer tout ce savoir et s’amuser selon sa fantaisie.

Il aimait se souvenir de cette citation de son ami Bram Van Velde : « Une peinture est bonne lorsque vous perdez pied en la voyant ». Il faut dire que Jacques avait toujours suivi ses coups de cœur et n’avait pas hésité à rejoindre Saint-Paul-de-Vence pour assister à un concert de free jazz du saxophoniste Albert Ayler, organisé par la fondation Maeght. Le saxophoniste devenu son ami l’avait embarqué dans la folle aventure d’un cirque ambulant dont Jacques était devenu le clown, le fakir et le musicien sous le pseudonyme de « Flèche ». Il accolera plus tard ce pseudo à son vrai nom Muller, pour signer ses toiles Flèchemuller.

Le grand pêcheur

Ce peintre, mi-clown, mi-gagman, mais aussi fakir, nous a offert dès lors des œuvres pleines de légèreté et de dérision. Le peintre Jean Dubuffet et le créateur du lieu d’art brut La Fabuloserie, Alain Bourbonnais, l’ont soutenu en l’exposant à l’atelier Jacob à Paris. D’autres expositions ont suivi en Belgique, en Suisse, en Suède, en Allemagne et aux Pays-Bas.

La galerie Jeanne Bucher a organisé sa première exposition personnelle en 1981 et Jacques partira ensuite pour New-York avec Puanani, son épouse hawaïenne. Ils partagent maintenant leur vie entre son atelier de Brooklyn et un refuge en Ardèche.

Jacques Flèchemuller multiplie les moyens d’expression (peintures, dessins, photos, bandes dessinées, sculptures) avec un esprit de dérision et un mauvais goût qu’il assume et revendique. Le rire de Puanani est le critère majeur de l’artiste pour mesurer que l’œuvre tient, avoue l’artiste.

L’atelier de Jacques Flèchemuller à Brooklyn

Pour la première fois, l’artiste expose une quarantaine de dessins. Ses sujets de prédilection sont souvent des êtres nus et désirants, des animaux collés l’un à l’autre, des situations absurdes que l’artiste se plait à évoquer avec beaucoup d’humour et de dérision. Le burlesque ne lui fait pas peur et la sexualité est omniprésente.

Il revendique de se tenir loin de la politique, mais que dire de ce clown triste et borgne qui se fait guider par un cochon ? J’aime bien les cochons, explique-t-il. Ils sont comme le général de Gaulle, assez faciles à dessiner. Fastoche !

Jacques Flèchemuller, Le clown borgne

Dans un autre dessin, des baleines escortent en foule un cargo, en fumant un gros cigare. Comme j’y vois une référence aux désastres écologiques produits par les cargos et la disparition des baleines, je préfère l’appeler à New-York pour vérifier mon interprétation.

Jacques Flèchemuller, Les fumeuses

Dans la foulée, je demande aussi si les jeunes filles égrillardes devant leur interlocuteur au sexe dressé, ne seraient pas des jeunes filles un peu gourmandes. Avec la campagne Me Too, autant de pas faire d’erreur.
Jacques répond simplement :
— Attends ! je vais leur demander !
Je ne saurai jamais s’il parle des jeunes filles ou des baleines.

Jacques Flèchemuller, Les jeunes gourmandes

Je reviens à la charge pour demander si le chasseur qui pose fièrement dans le cadre est un lion ou un singe.
La réponse est oui !

Jacques Flèchemuller, Le poseur

Une dernière question avant de raccrocher  ?
— Est-ce que le jeune homme posant sur l’herbe est ta vision du déjeuner sur l’herbe ? Il répond « Oui, D’ailleurs, il est midi : je cours acheter des rouleaux de printemps chez le Chinois de Metropolitan avenue. »
Trop tard pour lui demander pourquoi ce couple est largué dans le ciel par un avion rouge, si c’est lui l’homme pataugeant sous la pluie, ou s’il a fait bonne pêche en pêchant dans son aquarium.
Jacques est un homme pressé : les rouleaux de printemps n’attendent pas.
De plus nous sommes déjà en été et l’automne arrive.
— Too bad, too late, toutou ! conclut-t-il.

Jacques Flèchemuller, Couple largué
Invitation manuscrite de Jacques FlècheMüller à son exposition. Harkawik gallery New-York, , jusqu’au 8 octobre 2023.

Jacques Flèchemuller
Exposition à la galerie Harkawak
30 Orchard Street
New-York USA
Jusqu’au 8 octobre 2023