jeudi 26 janvier 2023

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Ismael Mundaray : de l’Orénoque à la Seine

Présentation et analyse d’une œuvre 2/2, intervention de Alexandre Alaric et Jean-Louis Poitevin

, Ismael Mundaray

Paysage et pensée, interventions orales sur des œuvres récentes d’Ismael Mundaray par Alexandre Alaric et Jean-Louis Poitevin qui accompagne aussi d’un texte cette présentation.

intervention de Alexandre Alaric

Pensée picturale
Fleuves, rives, arbres, l’oeuvre d’Ismael Mundaray est comme portée, soulevée même, par la question que ne cesse de nous adresser depuis toujours ce que nous appelons désormais le paysage. Peindre, pour lui, c’est s’adresser à ce qui, de son enfance sur les bords de l’Orénoque à sa vie d’aujourd’hui sur les bords de la Seine, constitue à la fois son cadre de vie, son sujet pictural essentiel et la source de son inspiration, un fleuve et les paysages qui l’entourent.

Il ne faut pas s’y tromper, l’oeuvre d’Ismael Mundaray est de part en part peinture pure, c’est-à-dire que les paysages qu’il fait apparaître sur la toile sont à la fois des inventions nées de son imagination rétrospective, des constructions mentales élaborées en fonction des seules lois de la peinture (couleurs, formes, composition, etc.) et des projections psychiques mêlant de manière irréversible une poétique de l’existence, une interrogation sur la situation de l’homme e, exil sur cette terre et un appel continu lancé vers le ciel pour tenter de saisir un peu du mystère de la vie.

Ces strates concrètes et psychiques sont les vecteurs par lesquels Ismael Mundaray invente et construit non seulement une oeuvre picturale, mais une pensée picturale. Il transforme ces questions qui traversent chaque homme en visions.

Inversion du regard
Portés par des conceptions erronées relatives à l’art et à la représentation, nous affectons de penser et de croire que peindre ce serait représenter quelque chose qui existe dans la réalité qui nous entoure. Ismael Mundaray, lui, sait que peindre, au contraire, c’est inventer, construire, faire émerger une image par des moyens uniquement picturaux. Et si cette image représente quelque chose, cette chose n’existe que par la peinture et comme peinture. Elle est le fruit d’une invention. C’est du moins cela qui caractérise le travail des peintres véritables.

Ainsi nous faut-il modifier notre approche de l’oeuvre et considérer que ce qui nous fait face, même si nous y reconnaissons des éléments fragmentaires de paysages, n’est pas représentation d’un paysage donné mais création d’un paysage "imaginal" à partir de données inscrites dans notre psychisme autant que par notre expérience individuelle.

C’est sur l’exploitation de ces données "imaginales" que se fonde le travail d’Ismael Mundaray. Chaque homme sait qu’il est sur terre, chaque homme sait que l’eau est source de vie, chaque homme sait que l’arbre est, parmi les êtres créés par la nature, celui qui est le plus proche de l’homme, sa place comme symbole dans toutes les cultures le prouve aisément. Chaque homme est traversé par les forces telluriques, chaque homme a affaire aux vents, à la pluie, au ciel. Chaque homme "sait" qu’il est seul et qu’il habite une planète à la fois hostile et accueillante. Chaque homme fait l’expérience de l’ineffable face à un paysage quel qu’il soit. Oui, chaque homme sait ce qu’est un paysage : le monde tel qu’il existerait sans lui, sans l’homme.

Alors, il nous faut, face aux oeuvres d’ Ismael Mundaray, simplement "oublier" ce que nous croyons savoir sur la représentation et accepter de faire face à la mise en scène d’une expérience existentielle et partageable. En inversant notre regard, nous parviendrons non pas à chercher à comparer, mais à chercher à comprendre. Nous deviendrons plus essentiellement hommes.

Point de contact et vision pure
C’est bien parce que chaque tableau est invention qu’il peut parvenir à nous toucher. Point de contact entre deux psychés, le tableau est ce qui permet le véritable rapprochement des individus. N’avoir jamais vu l’Orénoque ne m’empêche pas de faire l’expérience de ce qu’il en est d’une vision de fleuve, d’arbres, de paysage.

J’ai vu d’autres rivières, d’autres fleuves, et comme le peintre je suis porté par les forces de la nature. Et, libéré de l’obsession de reconnaître, je peux commencer à voir. J’entre dans la vision que le peintre a crée, et, ainsi, je peux enfin commencer à comprendre. Parce que comprendre, c’est sentir, éprouver, s’associer à la vision, penser. Je n’ai pas besoin de savoir peindre pour devenir peinture. Seulement de m’abandonner à la puissance d’évocation de l’image qui vient à ma rencontre.

C’est alors le moment où mon esprit entre en contact avec l’esprit de celui qui peint mais à partir et en fonction de ce qui est présenté sur la toile. C’est cela qu’il me faut désormais tenter de "comprendre" : ces strates colorées, parfois étagées comme des couches de crème sur un gâteau aux couleurs étranges, ces masses jaunes parlant la langue des flots violents d’un fleuve éternel, ces coulures qui sont comme les pleurs du ciel sur l’innocence de la terre, ces sables alanguis qui jouent à imiter le fleuve, ces ciels oublieux de leur bleu et qui semblent le reflets des eaux jaunes du fleuve, ces îles qui séparent le fleuve en deux et qui suggèrent l’existence de jambes infinies, celles d’un corps qui restera à jamais inconnu.

intervention de Jean-Louis Poitevin

Les arbres
Et puis, il y a les herbes folles venant accompagner le bord du fleuve. Et puis, il y a l’arbre solitaire élevé à la puissance du symbole, celui d’arbre de vie. Et puis, il y a les arbres, les arbres qui bordent le fleuve, les arbres qui s’étendent à l’infini et forment des forêts qui sont comme des montagnes pour le regard. Et puis, il y a les arbres qui se tiennent comme des sentinelles ou comme des guerriers semblant prêts à partir à l’assaut de ce qui leur fait face.
Prendre la mesure de la présence multiple des arbres nous ouvre à ce qui constitue le coeur des visions qui hantent la psyché d’Ismael Mundaray : le face à face avec la terre telle qu’elle existerait sans nous.

La mémoire dont il est porteur, celle de son enfance sur les bords de l’Orénoque, ce vécu incomparable qui lui a permis de devenir homme, il s’en saisit. Ou plutôt, faudrait-il dire, il est saisi par elle, et c’est pour qu’elle existe encore et soit partageable qu’il peint. Car, il le sait, cette expérience n’est pas "individuelle" au sens restreint du terme. Elle est au coeur de l’expérience que fait chaque homme, de cette solitude, de ce face à face sans réponse avec les paysages dont la terre est porteuse et auxquels nous faisons face, immobiles et angoissés.

La peinture d’ Ismael Mundaray est à la fois synthèse poétique d’une existence et partage avec tous les hommes. Non seulement elle nous fait voir notre solitude mais elle nous la fait vivre. Car qui dans la vie courante accepte d’accueillir le mystère de sa solitude dans ce monde qui ne l’attendait pas ? L’expérience esthétique, dont la peinture est porteuse, est bien celle de ce face à face avec le monde tel qu’il serait si nous n’étions pas là. Elle nous permet d’accéder à ces "paysages non humains de la nature" et ainsi à faire l’expérience de ce que nous visons mais à quoi nous ne prêtons pas attention. La peinture, ici, nous emporte et nous élève juste au-dessus de notre regard, et nous permet de voir avec les yeux d’un "dieu" comment cela se passe lorsqu’en effet nous, les hommes, sommes absents.

Les arbres, on le comprend, sont nos doubles. Ils sont à la fois vie et présence, activité de croissance et élan à la conquête de l’espace qui les entoure. Ils sont ce que nous sommes, des êtres dotés d’une puissance de vie incomparable à la fois spectateurs et acteurs, guerriers d’une guerre contre le néant peuplé qu’est la terre nue et regards exacerbés face à l’inconnu qui les porte, les accueille, les absorbe. Et tout cela, ils le sont par la seule puissance du pinceau d’Ismael Mundaray.