lundi 1er avril 2024

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Holyshit, de l’inceste au possible pardon

le long chemin de Sarah Marcuse, et une pièce de théâtre

, Catherine Belkhodja

Victime d’un inceste durant l’enfance, Sarah Marcuse ne trouvait pas les mots pour l’écrire. Il lui a fallu attendre plus de quarante ans pour que les vannes s’ouvrent. Holyshit raconte cet émouvant parcours qui va du cauchemar à la guérison.

Elle voulait écrire l’histoire de son inceste à sept ans. À l’époque, Sarah Marcuse ne trouvait pas les mots. Elle s’est alors fait la promesse de reprendre plus tard son témoignage et a tenu parole. Quand elle s’est mise à l’ouvrage, elle avait 49 ans. Elle a écrit « Holyshit ! », une pièce qu’elle interprète elle-même, seule en scène.
Elle utilise son savoir-faire de comédienne, mais nous offre paradoxalement un spectacle d’une grande authenticité. La co-mise en scène avec Madeleine Raykov est sobre et dépouillée, au service de la parole, sincère et sans artifice.

Bouleversante, Sarah Marcuse refuse de se poser en victime. Elle cherche surtout à évacuer la honte et à trouver le chemin de la guérison et du pardon.

Elle explique le processus mental qui, du stade de la stupéfaction, lui permet de traverser cette épreuve et de rejoindre l’autre rive en s’aimant assez pour survivre à ce cauchemar.

Grâce à un chemin spirituel ponctué de lectures variées et de rencontres déterminantes, elle parvient à survivre à ce traumatisme.
Elle ne pourra, naturellement, jamais supprimer les douleurs du passé, mais la créativité lui permet de transformer ses blessures.

Nous la suivons dans sa recherche qui passe par toute une palette d’émotions. Stupéfaction, colère, tendresse, terreur, colère, honte, douceur. Chaque fois, elle aborde de nouvelles situations avec une intelligence rare. Cette enfant surdouée et pleine de ressources aura eu besoin de tout ce temps pour affronter l’innommable.

Nous avons eu le privilège de la rencontrer après la sortie du spectacle.

Catherine Belkhodja - Comment as-tu réussi, après tant d’années, à écrire sur ce traumatisme d’enfance ?



Sarah Marcuse - Ma boite noire a fait rejaillir en bloc non pas la mémoire, qui n’avait rien occulté, mais les émotions et les sensations que mon corps anesthésié avait refusées, au-delà ce que j’aurais pu imaginer. J’ai ressenti de la fierté d’avoir mis tant de délicatesse et de force dans ce texte alors que je me sentais si fragile.



CB - Comment l’idée d’un spectacle a-t-elle émergé ?

SM - Avec les mots, des images de mise en scène sont apparues, des musiques, des costumes et des accessoires. Tout s’est déployé en simultané. J’ai demandé à Madeleine Raykov de m’accompagner parce que je savais pouvoir me livrer à son regard. J’avais confiance en elle.
Je savais sa rigueur, ses connaissances du corps et son goût du détail. Et les maux ont pris corps. Le corps m’a guidée en scène pour retrouver goût et mouvement alors qu’en moi tout était pétrifié. Retrouver ma liberté. Ma sensualité.

CB - Tu es allée très loin dans l’évocation de ton intimité…

SM - J’avais choisi d’être sur scène avec mes outils et mon expérience de comédienne, mais sans jouer : en me présentant au public dans cet endroit délicat de ma vérité, de ma reconstruction, sans masque et sans tricher. Pour braver la honte de moi afin de me valider enfin. De m’accepter, là, en intégralité. 



CB - On sent une grande maturité spirituelle dans le spectacle. En dehors de ta formation au cirque ou en théâtre, as-tu suivi d’autres enseignements ou vécu des expériences spécifiques ?


SM - Comme j’en parle dans la pièce, j’ai vraiment essayé beaucoup de choses : la méditation Vipassana, l’EMDR et les thérapies psychotropes... Toutes ces méthodes ont en commun de nous permettre d’aller voir ou ressentir les mécanismes qui se sont cristallisés et qui finissent par nous étouffer, pour nous sauver dans un premier temps. Ce qui m’a vraiment permis de revenir dans mon corps, c’est une formation de transe cognitive auto induite, théorisée par Corine Sombrun à partir de sa propre expérience ( ndlr : voir le film Un monde plus grand de Fabienne Berthaud).
Les livres ont aussi été d’une grande aide pour ne pas devenir folle... « Le processus de la présence » de Michael Brown, « Rompre avec soi-même » de Jo Dispenza, « Aimer ce qui est » de Byron Katie.

CB - Tu dis dans un passage de la pièce que tu ne veux pas te victimiser. 
Peux-tu nous donner des explications ?



SM - C’est le grand paradoxe. Il faut accepter le fait d’être une victime et mettre le doigt sur les souffrances et mécaniques que cela a « engrammé » dans chacune de nos cellules pour pouvoir en sortir ! Et il faut ensuite sortir du statut de victime, qui a été comme une seconde nature et qui nous a constitué, pour sortir de la souffrance. Cette émancipation est primordiale et elle ne dépend de personne d’autre que nous. C’est un acte libérateur que l’on s’offre à soi-même. Plus facile à dire qu’à faire !

CB - Tu animes des ateliers en lien avec le spectacle et ton histoire. As-tu rencontré beaucoup d’enfants ou d’adolescents agressés sexuellement, qui ont pu dépasser ces violents traumatismes ?

SM - Dans les ateliers, les enfants et adolescents n’en sont pas à la prise de parole. Elle vient parfois après, dans un cadre sécurisé. C’est surtout un partage de mon expérience et une proposition pour qu’un regard constructif soit posé sur le traumatisme afin de sortir de la souffrance.

CB - Aurais-tu un message particulier à donner à ceux qui ne parviennent pas à dépasser des traumatismes d’enfance ?

SM - La chose la plus importante à mon sens est de se rappeler toujours que la blessure et le trauma ont généré automatiquement des ressources et des aptitudes très puissantes. Les voir, c’est accepter que quelque chose de beau est fatalement issu de ce cauchemar. Aller à la rencontre de ces trésors que l’on a développés, c’est enrichissant et réparateur. Il existe des techniques très puissantes pour faire ce chemin. « Que faire de cette douleur-là ? », c’est réellement une question de vie ou de mort ... Chercher ce que ÇA m’a apporté de positif pour ne pas sombrer.



CB

 - Es-tu capable de pardonner à celui qui t’a blessée ?

SM - Le chemin est plutôt de me pardonner à moi-même. C’est peut-être difficile à comprendre pour qui ne l’a pas vécu ! C’est plutôt un retour à l’amour de soi. Un amour plus grand qu’auparavant car il englobe aussi les parts de moi que je détestais et qui me faisaient honte.

CB
 - Ta démarche évoque pour moi le Kintsugi, l’art japonais de réparer les céramiques brisées avec de la laque et de l’or : Cette technique remonte au XVe siècle et met en valeur les fêlures et les cassures. On peut considérer que tu répares en effet tes cicatrices d’enfance brisée avec de l’or, transformant ainsi ton expérience douloureuse en œuvre d’art.

SM

 - Oui, cette image est assez parlante. Il y a aussi ce dicton qui dit que c’est par nos fêlures, par nos blessures, qu’entre la lumière qui nous permet de nous rencontrer ou de nous connaître vraiment. Le résultat est pour moi, je pense, un condensé d’authenticité, un pas décisif vers ma singularité. Celle d’avoir cru ou su depuis toujours que mon salut viendrait de mon aptitude à tirer de ce cauchemar, quelque chose de beau. Voir en moi l’or, enfoui sous toute la peur du monde.



Voir en ligne : Théâtre de la Reine Blanche

Dates et renseignements :
www.holyshit-show.ch

Le texte de la pièce est publié aux Éditions du chamois rouge.

Sarah Marcuse est née à Taïwan en 1971 d’une mère indonésienne et hollandaise et d’un père australien et belge. Genevoise d’adoption, elle est de nationalité franco-suisse.