lundi 1er mai 2017

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Fétichisme féminin, un parcours différent

, Jonathan Abbou

C’est au travers de la relation avec mes modèles, que m’est venue l’idée de me pencher théoriquement, sur le sujet du (pseudo)Fétichisme Féminin.

Pourquoi, qui suis-je ?

J’ai eu la chance d’avoir engagé, il y a près de 30 ans un double cursus de formation. D’une part celui de photographe et tireur professionnel (Ecole photo ETPA de Toulouse, Tireur pro Archive départementale Haute Garonne) et d’autres part un parcours universitaire en psycho-clinique et pathologique (Diplômé promotion 2005, psychologue clinicien, université Paris 8).
C’est donc avec une approche artistique aussi bien pratique que théorique que j’ai abordé ce sujet du fétichisme, largement argumenté, depuis près d’un siècle et demi.
Mes réalisations techniques en photographie sont dans la verve traditionnelle, et je n’utilise que ce que je maîtrise parfaitement c’est-à-dire l’argentique dans ses diverses facettes. Je réalise mes prises de vue et mes tirages dans mon atelier et labo pro. Mon travail de plasticien me vient des sensations toutes particulières, que j’éprouve à malmener, façonner, etc., l’émulsion argentique.
Quand à mes inspirations thématiques, je les puise, dans la littérature aussi bien classique que psychanalytique, ce qui me porte à vouloir essayer de les mettre en image.

Le vif du Sujet

Lorsque l’on se penche profondément sur la psychanalyse du fétichisme, il est communément admis pour la plupart des auteurs, qu’il n’existe pas de fétichisme féminin au sens strict. Non que ce phénomène n’existe pas dans la réalité, mais la genèse des textes psychanalytiques a complètement occulté la femme du champ théorique des perversions. On s’accorde à dire que l’angoisse de castration, lorsqu’elle est traumatique, et sa manifestation sur l’investissement libidinal d’un objet partiel est spécifiquement masculine. Il ne s’agira pas ici de faire une revue exhaustive de la littérature sur le fétichisme et nous renverrons le lecteur vers les nombreux ouvrages et textes sur le sujet. Il s’agira simplement, dans ce référentiel, dans ce modèle occidental, d’arriver à un questionnement, et de formuler par combinaison conceptuelle une sorte d’interprétation du fétichisme féminin.

Le questionnement est, d’une part qu’il est le parcours psychologique que suit le phénomène fétichiste sur le genre féminin et d’autre part de tenter de savoir s’il n’existe pas un retournement narcissique du phénomène de castration, sur la personne propre, et par là-même un investissement du corps de la femme, qui s’érigerait en tant que fétiche. En d’autres termes et sur le dernier point qui m’intéresse, est-ce que le phénomène de castration, chez la femme, ne se manifesterait-il pas en une symbolique qui représenterait, sur sa personne, le phallus, par le biais de vêtements et autres accessoires. Cette idée de la personne en tant que « fétiche-phallique-personnifiée » m’est venue en réalisant des photographies avec des modèles qui, en enfilant des combinaisons (Zentai, Katsuit, masque etc.), disaient changer littéralement de peau. Elles éprouvaient un sentiment de puissance, dans cette néantisation de l’identité, qui apportait aussi son lot de jouissance dans la liberté de l’anonymat.

Au résultat du tirage, je constatais en une deuxième lecture, outre ce qui est montré d’une personne énigmatique en Katsuit, une sorte de forme globale, une érection phallique en lieu et place de la personne. La première lecture de la photo peut faire croire à une « objetisation » (réification) de la femme comme assujetti au plaisir de l’homme de par sa tenue, mais cette « objetisation » est consentie dans la mesure où la personne devient elle-même un fétiche avec tous les attributs de puissance dont peuvent être investis les objets fétichisés. C’est de là que m’est venue, en observant la femme objet investie de puissance, l’idée d’un rapprochement avec le phénomène de la femme voilée. Ce rapprochement risqué s’est imposé à mes interrogations. Lorsque j’observe une femme en combinaison latex et lorsque je regarde une femme en burqua, je peux y voir dans les deux cas l’érection d’un phallus. Dans le cas de la femme voilée, là aussi, pour moi, la femme est fétichisée en une symbolique phallique de par sa tenue. Ici, il y a deux phénomènes ambivalents, d’une part il y a néantisation de l’identité et dans un même mouvement il y affirmation sociale de l’identité culturelle de par la burqua (nous nous plaçons ici dans un contexte occidental c’est-à-dire c’est la femme qui revendique la Burqua). Si dans le premier cas le but final de cette fétichisation étant le plaisir sexuel, avec toute sa scénarisation factice, dans le deuxième cas cette fétichisation est d’ordre religieux, spirituel, la femme étant la garante de la religion de part son pouvoir d’engendrement.

Mais revenons brièvement au texte freudien sur le sujet du stade phallique, pour mieux saisir le cheminement qui s’est opéré pour en arriver à ces similarités dans des mondes en apparence totalement opposés. Freud, et à sa suite tous ses rejetons admettent une indifférenciation de perception fantasmatique chez le petit garçon et chez la petite fille. Il n’y a pas encore à ce stade de reconnaissance précise du genre « à ce stade de l’organisation génitale infantile, il y a bien un masculin, mais pas de féminin ; l’alternative est : organe génital mâle ou organe châtré […] ». Le phallus revêt une importance fantasmatique égale pour les deux genres. Or, comme on peut le constater, il y a déjà négation du génital féminin. La question se pose dans ce cas de savoir s’il n’existerait pas un traumatisme chez la petite fille, lié à la néantisation du sexe féminin, une sorte de « complexe du membre fantôme », complexe que s’il devenait pathologique, s’exprimerait par la suite en une tentative de réhabilitation phallique sur le corps propre (Zentai, katsuit, burqua). Est-ce que dans l’angoisse de castration au féminin, « le rien à perdre », ne se jouerait pas en une recherche du phallus, une symbolisation du phénomène, personnifiée, « anonymisée ». Cette néantisation chercherait une expression et une conjuration par la liberté de l’anonymat tout en affirmant une identité, puissante dans les deux cas.

Cette exposition photographique, n’est pas un manifeste, mais simplement ouvre vers de nouvelles hypothèses de travail.

Exposition « Femmes Fétichisées »
20 avril 2017
Galerie G. Spot
21 rue des Filles du Calvaire - 75003 Paris