dimanche 24 mai 2015

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Tension

images d’Israel et de Gaza

, Adam Reynolds

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Le mois dernier, Adam Reynolds présentait ces deux ensembles de photographies à la galerie de l’université de Bloomington Indiana comme travail de fin d’études. Les images qu’il a réalisées dépassent largement ce cadre et constituent, outre un témoignage d’obstination pour obtenir en tant que simple citoyen les autorisations pour pénétrer dans les abris israéliens ou arpenter la bande de Gaza, la preuve d’une véritable pensée photographique. Le choix de deux modalités de prise de vue et de monstration en témoigne. Plus qu’un témoignage, ces deux ensembles d’images nous conduisent à appréhender une réalité inconnue de nous autrement que par les informations et de pénétrer à la fois dans la vie de ces deux peuples et dans certains recoins de leur existence qui parlent la langue de leur vécu mais aussi de leur inconscient.

Architecture d’une menace existentielle

Depuis sa création en 1948, l’Etat d’Israël s’est senti isolé et assailli par des ennemis cherchant sa destruction. Cette obsession collective du siège est la mieux traduite par l’ubiquité des centaines d’abris anti-aériens qu’on trouve à travers le pays. Selon la loi, tous les Israéliens doivent avoir accès à un abri anti-aérien et à des pièces pouvant être hermétiquement fermées en cas d’attaque armée non-conventionnelle.

Les abris sont de toutes formes et tailles. Outre les abris anti-aériens les plus typiques se trouvent des parkings qui peuvent être convertis en bunkers antinucléaires et des hôpitaux capables de prendre en charge des milliers de personnes, des écoles entières enchâssées dans du béton armé avec des fenêtres à l’épreuve des explosions et une unique petite pièce « mamads » [1] dans les résidences privées destinées à résister aux missiles et aux attaques chimiques et biologiques. Il n’est pas rare que les abris anti-bombes aient un second emploi tel celui de studio de danse, centre de communauté, bar, mosquée ou synagogue.

Pour les Juifs israéliens hantés par un passé d’exil et de persécution, ces abris sont l’architecture d’une menace existentielle – à la fois réelle et ressentie. Ces abris matérialisent à la fois la résistance d’Israël en tant que nation et son incapacité à parvenir à un accord avec elle-même et avec ses voisins dans une région instable. Les photographes s’intéressant à ces espaces offrent une fenêtre sur l’état d’esprit collectif du peuple israélien, sur la façon dont il a normalisé ce « lieu du Jugement Dernier » dans sa vie de tous les jours.

Le long du Bord de la Bande

Enclave côtière. État terroriste. Prison en plein air. La Bande de Gaza est devenue synonyme de conflit et de désespoir. Depuis que le Hamas a pris le contrôle des minuscules morceaux de terre de ses rivaux laïcs lors d’un conflit interne bref mais très violent en 2007, la guerre entre Israël et le Hamas a dévasté la terre à trois reprises. La guerre la plus destructrice de toutes fut, de loin, l’« Opération Bordure Protectrice » de l’été 2014 ; sept semaines de bombardement israélien, de tirs de roquettes palestiniens et de combats terrestres qui se conclurent par environ 40 000 tonnes de décombres et par la mort de près de 2 000 Palestiniens à Gaza, en majorité des civils.

Coincée entre les déserts du Néguev israélien et celui du Sinaï égyptien d’un côté et par la mer Méditerranée de l’autre, Gaza, noyée sous le nombre de ses réfugiés, est devenue l’incubatrice du nationalisme palestinien laïc qui suivit la création d’Israël en 1948 et le lieu de naissance d’un Islamisme palestinien militant à mesure que l’occupation israélienne devenait de plus en plus enracinée après 1967. Aujourd’hui, les 1,8 million de résidents de Gaza – 40% d’entre eux vivant en-dessous du seuil de pauvreté – se retrouvent isolés et coupés du monde extérieur à cause d’un blocus terrestre et maritime imposé partiellement par Israël [2] afin d’entraver le régime du Hamas.

Le littoral pittoresque de Gaza s’étend sur 40 kilomètres le long des eaux chaudes méditerranéennes mais cache une terre et des habitants en état de siège et de destruction permanents, sur le point de basculer dans un effondrement total. Notre idée de Gaza a été renforcée par les déclarations souvent incohérentes des médias au sujet d’une violence talionique qui semble surgir de nulle part. Pourtant, entre les guerres et au milieu des décombres vit néanmoins un peuple qui endure le destin auquel il s’est résigné.

Notes

[1Abréviation de « merhav mugan dirati » : espace protégé dans un appartement ou une résidence.

[2et partiellement par l’Égypte.

Traduction de l’anglais d’Anne Hémion.