dimanche 29 octobre 2017

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Des ruines dans la forêt

Savatore Puglia

, Salvatore Puglia

Françoise bonjour, j’espère que tu te portes bien. Tu m’avais demandé sur quoi je travaillais en ce moment et j’ai tâtonné, cherchant à te décrire une des formes possibles de la survivance ; par conséquent, je n’ai pas été précis dans ma réponse. Je peux l’être un peu plus maintenant.

Je continue de travailler sur le sujet de la nature assujettie à la civilisation (et vice-versa) ; dans mes photos, prises dans différents sites en Europe, il y a toujours une prédominance de la nature sur les éléments artificiels (des restes, des traces).

Depuis quelque temps j’ai repris Dante, notamment les vers de la Comédie où il parle de la selva antica, la « forêt ancienne », qui est en effet une représentation du paradis sur terre. J’aborde ce sujet de l’Eden (perdu et pas encore retrouvé) d’une manière allégorique.

Je suis en train de travailler sur deux séries, une série A et une série B, que j’aimerais montrer face à face. 

La première présentera dix tirages numériques sur verre, en format 30x40 horizontal (ce choix de format permet de respecter l’idée de série et aussi celui d’une approche « recueillie » et, si l’on veut, poétique). A travers l’image rendue transparente on percevrait le texte de Dante, le Canto XXVIII du Purgatoire transféré en entier sur papier ; celui où justement, avant de passer à la visite du Paradis, le poète se retrouve dans ce jardin délicieux d’où les premiers pêcheurs ont été chassés, mais dans lequel les animaux même sont absents. Elément naturel et élément humain sont ici indiscernables, fusionnés dans ce qui pourrait être une vision du monde d’après le passage de l’homme, un monde redevenu forêt primaire.
On ne sait pas si un pêcheur de perles venu d’une autre galaxie pourrait y retrouver ces quelques os devenus coraux, même en y appliquant la technologie anti-scientifique préconisée par Hannah Arendt, celle de la perforation à l’encontre de la stratigraphie, celle de la nécessaire destruction du passé pour en extraire « ce qui est précieux et rare ».

Faisant face à cette séquence j’imagine une autre rangée de tirages sur verre, au même format ; dans ces travaux le facteur humain serait plus présent ; il s’agirait surtout de vestiges monumentaux plus « structurés », perdus dans la nature mais encore reconnaissables si non reconstructibles ; à travers la photographie on verrait des découpes de cartes géographiques : elles pourraient, ou pas, désigner l’emplacement de ces paradis terrestres improbables. Je jouerais entre une certaine « joliesse » de l’image et son caractère avertisseur. Rien n’y serait spectaculaire ou dramatique, mais l’ambiance générale serait plutôt à l’inquiétude, à un certain sentiment du « uncanny », du « Unheimliche » qui nous appartient.
Ciao ciao,

Sp

PS : j’en oubliais le titre de ce travail : Des ruines dans la forêt.

Farnese, 11 novembre 2016

Salvatore Puglia est représenté en France par la galerie Sit Down.