dimanche 9 juillet 2017

Accueil > Les rubriques > Entretiens > Confessions d’une enfant du siècle 4/4

Confessions d’une enfant du siècle 4/4

Dernière demeure.

, Hervé Bernard , Jean-Louis Poitevin et Jeanne Susplugas

Jeanne Susplugas exposait, expose et exposera au printemps et tout l’été à Versailles à la Maréchalerie et à l’école des beaux-arts, et à Paris, à la galerie VivoEquidem. C’est à la Maréchalerie que nous l’avons rencontrée et filmée « sous » et « dans » son œuvre, une sculpture installation aux ramifications multiples qui nous conduit à pénétrer plus avant dans les secrets de la personne, comprise, et c’est là la surprise, comme une entité dont l’intériorité est comme plus remplie par les injonctions du dehors que par les suintements du dedans.

Confessions d'une enfant du siècle 4/4 from BERNARD Hervé (rvb) on Vimeo.

Et cette fiction si elle se nourrit de celle des autres – comment pourrait-il en être autrement ? - elle n’en constitue pas moins un univers en soi, une sorte d’île ou d’îlot, de bulle. Cette bulle est certes poreuse, parce que chacun est en contact avec le monde, les autres, les choses, mais ce qu’on appelle d’un mot vengeur et si inexact la réalité et que certains tentent d’imposer comme seule mesure du vrai et qu’ils nomment eux le réel, cette bulle n’en est pas moins increvable dans tous les sens du terme, elle peut enfler ou fondre, elle constitue qu’on le veuille ou non à la fois la forme de notre intériorité, le nom de notre individualité et, paradoxe des paradoxes, le dehors inaccessible tant à nous même qu’aux autres puisqu’il est dans cette bulle à la fois cette bulle même, l’air qui s’y trouve pris et les mots que produisent notre corps et notre cerveau, habitant unique et multiple de cette bulle.
C’est de cela dont est consciente Jeanne Susplugas, c’est cela qui constitue le coeur de sa réflexion et de sa pratique artistique, la mise en scène de cette situation confuse et pourtant limpide qui fait que nous sommes et producteur de la bulle et prisonniers de cette même bulle et ouverts sur le dehors et prisonnier du dehors qui est « en » nous et cela parce que ces « réalités » sont nous affirmerions sous la torture qu’elles existent vraiment ne sont que des construction verbales, que des inventions, que des mots mis bout à bout et formant une image cohérente de ce que nous tenons pour vrai !

Vue sous cet angle, la maison qui est le motif, le mobile et le moteur de cette oeuvre, apparaît comme une version tout à fait juste de cette « bulle » qui nous enveloppe qu’on soit présent en elle qu’on la regarde du dehors ou qu’on prétende n’en avoir pas.

© Jeanne Susplugas

En comparant une exposition à un livre, en affirmant que tout dans la vie et donc toute la vie n’est que théâtre, en évoquant le pharmakon, à travers une expérience vécue qu’elle a su transposer à tous les niveaux de l’existence, en évoquant aussi l’enchainement des histoires comme la dimension même dans laquelle finalement chacun de nous existe, Jeanne Susplugas met en place une boucle de rétroaction qui la pousse à interroger les autres pour tenter de comprendre comme chacun de nous et elle compris fonctionnons.

Alors on commence à entrevoir une réponse possible à cette question qui légitimement la taraude, celle de savoir à quoi l’art peut bien servir ?

Et encore une fois la réponse vient des mots, par les mots, ceux des histoires qu’elle « se » raconte, ceux des histoire qu’elle demande aux autres de lui raconter, celles qu’elle invente pour rendre la réalité qu’elle découvre au Japon ou ailleurs compréhensible au moins a minima et parfois tout simplement acceptable. Mais ces mots, elle est capable de les convertir en gestes, en éléments plastiques en éléments visuels, en textes en vidéo en céramiques offrant à nos esprits un peut trop inattentifs ou apparemment incrédule la confirmation à la fois désirée et repoussée du fait que nous sommes des êtres singuliers sur cette terre puisque, quoique que l’on en ait, notre nourriture première, ce sont les mots et par les mots les histoires qu’on nous raconte qu’on se raconte qu’on écoute ou qu’on lâche dans l’atmosphère comme des ballons ou des bouées sauvetage sans savoir si ainsi on cherche à sauver quelqu’un d’autre ou soi-même !

La maison rose, qui relie enfance et réflexion sur la sexualité des enfants, la maison malade ou celle qu’elle a construite pour la Maréchalerie, chacun de ces maisons raconte l’angoisse qui est la nôtre et pas seulement la sienne, celle d’être enfermé dans une maison dans cette maison n’importe laquelle dans « sa » maison !

Et finalement on finit par le comprendre, entendons par l’accepter comme une évidence douloureuse mais salutaire, nous vivons enfermés nous sommes les prisonniers volontairement involontaires de notre relation aux mots, aux histoires, et chaque maison témoigne de cela et chaque humain témoigne de cela, que la vie est un enfermement avant d’être un enfer et que si l’on s’ingénie avec tant de jouissance à en faire justement un enfer c’est que l’on tente par tous les moyens de faire éclater la bulle et cela à n’importe quel prix !

Et le prix est aussi immense qu’infini puisqu’il s’agira encore et encore de (se) raconter des histoire au moment de négocier le prix, celui de la maison qu’on vend, celui de celle qu’on achète, celui de la première comme de la dernière demeure !