jeudi 21 février 2013

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Comment dormir vite

Note sur les images déshabitées de Mengzhi Zheng

, Mengzhi Zheng

Au commencement, c’est un travail de sculpture, de sculpture en petite dimension. Du carton plume, blanc, comme un mur, ou comme la surface, avant un rêve, du fond du crâne surexposé à une lumière aveuglante. Les images ? Elles viendront plus tard.

1. Comme une maison vide

Ça ne servirait à rien qu’elles soient projetées sur ce fond blanc uniforme et plat. Elles resteraient sans relief, sans vie.

La vie, c’est autre chose. Ça commence avec l’ombre, seule preuve manifeste de l’existence d’un corps. Et l’ombre Mengzhi Zheng la crée non en dessinant sur la surface mais en dessinant la surface. En découpant ce carton blanc, en le pliant et en lui conférant l’aspect d’une demeure à la fois minuscule et improbable, possible et inhabitable. Un rêve de maison dans laquelle tout serait différent de ce que l’on connaît car ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici, un petit rêve de pacotille, une maison dans laquelle habiter, mais de chercher à comprendre par des processus de renversement de perspectives ce qu’il en est de vivre et des lieux où le faire.

Les ombres qui ne viennent donc pas dessiner quelque chose puisqu’elles sont le dessin même, ces ombres créées par les volumes sont les premières manifestations de la possibilité du rêve.

Ensuite, il faut tout achever. Au sens guerrier du terme. Il faut que la maison du rêve soit détruite ou du moins déconstruite pour que le rêve advienne.

2. Le rêve à venir

Tout est vite, la rotation de l’astre, le mouvement des particules sur la terre comme au ciel, le balayage des images sur les écrans, les mouvements des voitures, le passage des pensées, le regard des filles dans la rue, le mouvement des doigts sur le clavier. Tout est vite, trop vite sans doute. Ce qui est certain, c’est qu’il y a un décalage « ontologique » entre les modalités de l’apparaître liées à toutes les sortes de mouvement et les manières du corps quand il prétend au repos. Car il faut bien dormir et si possible, le mieux est de pouvoir dormir quelque part.

Mais comment dormir vite, aussi vite que les gestes, les atomes, les souris et les rêves ?

Les images déshabitées de Mengzhi Zheng sont une réponse à cette impossible équation. Il y a eu l’étape de la fabrication des images de la maison impossible, vue sous différents angles, images qui ont fait ressortir le blanc aveugle du rêve encore à venir. Puis il y a eu les gestes habituels de manipulation des images, une manière de lier le réel et le rêve dans un continuum perceptif inclassable.

Et là plus de toute, le blanc ne suffit pas, ni la forme, ni l’ombre, ni les pliures du temps sur les murs de la maison minuscule. Le rêve demande à être visionné. Des fragments d’images récoltés au vent du net sont venus se coller sur les fragments de la maison éclatée.

3. L’accident

En faisant un de ces si banals copier/coller qui constituent d’une des formes les plus actuelles de la métaphore, Mengzhi Zheng a omis de sélectionner certaines zones, ce qui a fait glisser des images sur un nouveau fichier. Au final des fragments non coordonnés reçoivent des images improbables et le tout s’écrase littéralement sur l’écran en une image brisée rappelant de une construction éclatée. Le rêve est là, mais en morceau. C’est d’ailleurs le propre du rêve, d’être inaccessible dans sa totalité, à la fois pour les rêves de la nuit et les rêves de la vie.

Reste un dernier pas à faire. Accepter de reconnaître que ces images sont la véritable traduction visuelle de cette maison qu’est notre âme. Notre âme déshabillée est une maison déshabitée faites d’images de hasard recomposées au gré du vent vite, le seul qui permette de dormir vite. On est alors dans la maison impossible, qui pourtant fut si réelle qu’elle a laissé des traces visibles, des images palpables, des échos véritables et qui reste inhabitable puisqu’elle disparaît à mesure que le rêve de la vie s’écoule.
Les images déshabitées de Mengzhi Zheng sont comme des preuves de l’impossible réalité de la mémoire et un témoignage de sa véritable puissance qui est de nous faire espérer retrouver ce qui nous comble dans ce qui nous manque.