samedi 30 juin 2018

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Bibelot Summer Show

une brève exposition conçue par Callisto Mc Nulty

, Callisto Mc Nulty

Le bibelot, préciosité domestique de petite taille, choyée par ses propriétaires, mais située au bas de l’échelle de la société de classes des images. Serait-ce leur existence oisive, leur apparente absence de fonction, qui suscitent tant de déconsidération ?

Cette exposition propose de célébrer le petit, le fugace, le quotidien, l’anecdotique ; de se saisir de ce qui passe habituellement inaperçu ; d’interroger ce « bruit de fond » qui nous enveloppe ; mais a ussi d’élargir le champ du bibelotisable.
Cette poétique de l’attention auprès de choses qui n’en méritent habituellement pas résonne avec le concept de chanoiserie. La chanoiserie est quelque chose de délicat. C’est l’attention portée au détail, à l’insignifiant. La chose qui, perçue par l’oeil de la chanoise, devient chanoiserie en un battement de cil. Le filtre de perception chanois s’apparente au rayonnement infrarouge qui détecte le détail imperceptible à l’oeil nu. Dans un cas, c’est la chaleur qui est détectée, dans l ’autre c’est l’idiosyncrasie, la mignonnerie.

Arthur Aillaud, Sans titre, 2016-2017 22 x 16 x 6 cm

C’est dans un appartement nu de la rue de Grenelle, un espace dépourvu de tout ornement domestique, qu’Éric Bauer et moi-même avons orchestré la rencontre d’une trentaine de pièces issues d’univers, de pratiques artistiques et de générations variés. Libérées de leur environnement habituel, les pièces se rencontrent, se confrontent. Elles font connaissance et s’emparent de l’espace. Les histoires singulières qu’elles transportent suscitent inévitablement des affinités é lectives, échappant à notre contrôle.
La palette-bibelot d’Arthur Aillaud est une monstruosité triomphante. Les fines pattes de porcelaine d’un ancêtre canin soutiennent son épaisse crinière de peinture (deux années de pousse), le fruit du geste ritualisé de l’artiste. Beaucoup plus sage et docile, le petit chien de paille d’Éric Bauer examine, du haut de son tabouret, la pièce de son maître qui se cache derrière le compteur électrique. Il regretterait presque la tranquillité de leur atelier, en l’absence de tous ces envahisseurs.
Perché sur sa branche, mon perroquet coloré a repéré, à travers sa vitrine, la belle Carduelis peinte par Sylvie Fajfrowska. Son regard doux et pétillant invite au dialogue. Cette rencontre fait écho la coutume pékinoise qui consiste à « sortir » les oiseaux en cage devant l’entrée des hutongs de sorte que l’animal prenne l’air et fasse la connaissance d’autres camarades plus ou moins sauvages.

Sylvie Fajfrowska, Carduelis Chloris, 1999 Colle et cire sur toile, 20 x 20 cm

Rarement aussi bien entouré, l’oeil du perroquet s’excite un peu. À sa gauche, un classeur devenu perchoir pop (Égide Viloux), véritable air aviaire de jeux. Derrière, ce qu’il croit avoir identifié comme d’autres compagnons ailés. En réalité, des leurres de pêche capturés par Clément Roche dans une lave translucide, à l’instant de frénésie qui précède une prise. L’unique poisson du marigot desséché (Diafara Kane) n’est pas dupe. Il poursuivra peut-être son chemin jusqu’au diorama luxuriant de mignonerie où, nous l’espérons, les mini-orques et bélugas de Sacha Golemanas l’accueilleront.

Bruno Vanderaert, Night Vision (élément 2), 2017 Huile sur toile, 30 x 30 cm

Certaines pièces opèrent la bibelotisation d’événements « infra-ordinaires », ennoblis par l’attention minutieuse des artistes. Les « small stories » d’Adrien Lécuru transforment les « mèmes » - ces images répétées, recyclées, qui saturent la toile -, en icônes. D’autres dramatisent des instants de quotidienneté urbaine (la « Jeune Orpheline au métro » remarquée par Joël Person), domestique (une maison de famille qu’Anne Sedel capture au feutre, au format iPhone) et intime (la silhouette noyée dans l’aquarelle de Yuna Wang, les amoureux en bronze d’Agnès Thurnauer, le portrait d’« Ellen » révélée par la rencontre entre un rayon de soleil et l’oeil de Nastasia Alberti). Ces saynètes restaurent l’étrangeté familière de ces instants de vie quotidienne, elles brouillent la frontière entre fiction et réalité, entre l’animé et l’inanimé. Un parc d’attraction fantomatique photographié par Naomi Fleischer fait écho à la « night vision » verdoyante d’un joueur à travers
son viseur (Bruno Vanderaert).

Clément Blanchet et Alexandra Roussopoulos Polymondi, 2018 Carton plume, tiges en plastique, maille métallique, résine et peinture acrylique, dimensions variables 

Le microcosme « polymondi », co-élaboré par Clément Blanchet et Alexandra Roussopoulos, est un espace de rencontres improbables. Le paysage domestique s’anime. La fenêtre satinée de Tom Kaniok s’enflamme suite à l’abjection d’un tube de peinture à l ’huile jaune. Un fragment d’ornement sort ses griffes (François Mendras).
Les oeuvres de Silvana Mc Nulty, Paul Roussopoulos, Juliette Dominati et Tamaris Borrelly évoquent des paysages familiers, plus ou moins lointains. Miniaturisée, la nature devient protectrice, votive - sorte de pierre des lettrés dont la force tranquille inspire.

Mathilde Denize, Contours, 2017 Huile sur toile, vinyl, dimensions variables

La vidéo-herbier d’Anne Destival et de Guillaume Emptoz archive une collection d’images fleuries colonisant une maison maternelle auvergnate.
Matthieu Gounelle propose le métissage de bouts de matières rencontrés sur son chemin dans le désert de l’Atacama et à l’Aigle, à la recherche de pierres tombées du ciel.

Eva Bony 04-14, 2014, Paris Sept livres sans texte, papier, 7 x 4 x 3 cm

Une météorite contemple le théâtre de rue à travers la fenêtre. Elle trouve également refuge dans l e dessin sous verre de Régis Sénèque.
D’autres pièces enfin revisitent une mythologie de l’objet ordinaire valsant avec l’extraordinaire. La rencontre insolite de divers bibelots et objets du quotidien réunis dans une vitrine (Sacha Floch Poliakoff). Un souvenir de plage de Royan dégoulinant de glace nacrée (Romain Taieb). Des cadeaux de Noël de provenance quasi extraterrestre tombés au pied d’une cheminée avant d’avoir trouvé refuge auprès d’un radiateur (Martin Mc Nulty). Une bouche de femme bâillonnée par le poids des plumes d’un volant de badminton usagé (Mathilde Denize).

Joel Person, Shanghai, série : « Bruit du monde », 2018 Pierre noire sur papier, 15 x 15 cm

Des bijoux de famille peints sur des factures de fournisseurs de pierres précieuses trouvées par hasard dans la rue (Aurélia Jaubert). Des balises extraites de leur paysage urbain, devenues invitation exotique (Aurel Porté). Une bouteille aux allures morandiesque dressée sur son socle puis allongée, au bout de la nuit (Éric Bauer). Une peinture-bikini qui a pris la forme d’un corps absent (Mathilde Denize). Une pile de mini-livres bibelots (Eva Bony). Un rouleau de peinture (bibelot d’atelier de Joan Ayrton), pelouse moelleuse sur laquelle se prélasse une minuscule femme de porcelaine. Un bloc cubique rainuré habillant la jetée d’Alger, bibelotisé en presse-papier (Max Gagnaire), qui retient non plus l es vagues mais cette feuille.

Nastasia Alberti, Ellen Photographie, 15 x 23 cm

Vendredi 29 juin, samedi 30 juin, dimanche 1er juillet 2018 à la Wendy Galerie.
33 rue de grenelle...

Couverture : Agnès Thurnauer, Sans titre, 2010, Sculpture en terre cuite et émaille, 40 x 20 cm