dimanche 2 juillet 2023

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1re Partie

Fractures (paysage visage) I

d’après des photographies de Jean-Charles Léon

, Jean-Charles Léon et Sébastien Souhaité

un paysage surgit
d’entre les plis

 
tête faite poing
 
eau forte
 
paupières lèvres
cousues décousues
recousues
 
on renouvelle l’opération
 
on voit du bronze
on voit
du granit
du marbre
on voit du plâtre

 

 

une feuille de papier
froissée
 
on recommence
 
on déchiffre
 
ça ne peut plus bouger
ça épuise
le mouvement
 
on voit un galet
une tête
comme un galet
 
on tient cette tête entre nos mains
 
l’ombre a ravi le regard

 

 

un secret tour à tour
dérobé et révélé

cadastre de la lumière

hors l’obscurité l’arrachement

le faucon hagard
chasse la vérité

 

 

et le froissement des mots
accomplit la lumière

(on dirait qu’il neige mais
qui est-il)

l’œil est cerné de noir
le profil
lavé dans les sables

orne aveugle le mur
de l’hypogée

un peu de désordre lèche
son visage
comme une flamme

 

 

ombre de l’ombre
à la naissance du regard
à la commissure du ciel
et de la terre
on se demande quel est
ce lent secret enfoui

tous les vents d’un ailleurs
déraciné
déposent sur son visage les feuilles
de forêts très anciennes
or il neige de nouveau
or le printemps
se fait attendre

 

 

l’enfant sillonne la contrée
dans son poing fort
il serre la rose des sables
le photogramme sombre et maculé
fait la part belle
à l’énigme

est-il possible que nous ayons
tout oublié

 

 

l’obscurité suscite l’éclat
dans l’embrasure du regard

le très proche le lieu
inscrit dans le je
le dispute mais
sans mot dire
aux plus lointains confins

 

 

 

c’est une eau noire qui fond
depuis le ciel comme fondent les glaciers
et ravine la paroi

une eau qui sépare
la peau de la nuit de la chair
du jour

affouille le paysage
la surface du lac
est remuée

le désordre du centre gagne les marges

l’œil aux aguets froisse la surface
de la terre

 

 

un bleu lucide
à force de noirceur emplit l’espace

l’isthme de la parole
avance dans le silence

le poème se recroqueville
dans la paume de l’océan

un feu très lent
immobile
fait craquer le noir
du paysage

champs pourpres que convoite le soleil rasant
à l’horizon
se lève tant rêvé le pays
où l’on n’arrive jamais

 

 

 

l’espace est infini
son poing se ferme sur les couleurs
de l’univers

l’obscurité s’ébroue et froisse les braises
au bord des lèvres

l’eau recouvre les terres un grand navire
muet gagne le large
il longe la jugulaire arrache

un soupir aux vivants

 

 

 

où bâtir un refuge au creux
de quelle anfractuosité
de quelle commissure

si c’est ici le lieu
qu’il faut écarteler
nulle paupière
ne recouvrira l’œil

une dernière
image le crèvera

 

 

la surface noire
se lézarde la chair
affleure que sarclent les regards
hors-champ un passant
mâche les mots
rouges du désordre

l’écorce vole en éclats la sève
se répand dont foudroie
la patience
son geste esquisse
avec prudence le contour
du paysage

la nuit la mer
épouse le rivage
la lune s’est levée un éclair
déploie sa morsure lumineuse

 

 

 

une clarté oblique
creuse un estuaire dans
l’argile éphémère du ciel

c’est encore
l’œil affamé qui découvre l’horizon

au cœur de l’image les lèvres pourpres
sont mille fois décousues

le bleu quant à lui
épouse les contours de la chair le visage

pointe vers le bas

 

 

toute sève est immobile ou presque
aux yeux des vivants

le bourgeon crève l’écorce qui
déchire le ciel

arrache les lèvres de l’homme

la couleur
n’a pas disparu loin
de là elle a fui
dans l’ombre violente du souvenir

fomente sa résurgence à la
dernière heure

 

 

 

l’œil de l’homme est nu
que crève l’évidence

la bouche de l’homme est nue
que blesse le faisceau

le visage de l’homme
est nu
que gifle un vent de mélancolie
que porte aux nues l’image crue

 

 

 

la langue se terre
dans la cavité

la pluie effleure le visage et le rafraîchit

dans les hauteurs à l’arrière-plan
s’amoncellent les nuages mauves

tristesse crève la langue

se terre

toute cette eau ruisselle jusqu’au bas
du corps
un sang lourd comme l’ombre
dégoutte du menton provoque la crue
des rivières
mensonge et vérité se partagent
les mots or les mots sont amers

 

 

 

un tel présent n’est possible que si
l’on scrute l’image sans ciller

une fois déchiré l’iris la chair
blanche aveuglante se répand

 

 

l’eau du fleuve a tout recouvert
où sont
où sont les peaux

rouges les poteaux de couleurs

sur les rives repoussées
étrangement la neige mauve tient

au premier plan
s’invite de l’Indien
la tête décollée

 

 

 

un œil nu
se rétracte dans le paysage érodé
comme si tout devait finir à présent tout va
finir l’argile fatiguée
cherche du bout des doigts

le sommeil

au bout du monde s’amoncellent des témoins
les paupières arrachées
qu’un loup demain
dévorera

un pan du paysage sombre
dans la mer
la tête la première pas l’ombre d’un frisson
mais un silence
de tous les diables regardez
comme vu du ciel c’est beau

 

 

 

tête nue
ce n’est qu’un fragment

de mâchoire de clavicule
d’arcade sourcilière
impossible d’en savoir plus
mais ne restez pas là

éloignez-vous du bord

un paysage vu de la cime des arbres des tours
à l’assaut du ciel du lierre
à l’assaut des tours
des racines qui plongent loin
dans l’obscurité de nos consciences
un poème noir qui s’effiloche dans
le blanc des yeux il faudrait
de vrais mots pour combattre la

mélancolie

 

 

 

ratisse les allées
du jardin
scrute la terre
décèle les chemins
cache ton sourire

pense à dans mille ans