vendredi 5 mai 2023

Accueil > Voir, Lire & écrire > Lire & écrire > Morituri (de la petite mort) te salutant (pas forcément)

Morituri (de la petite mort) te salutant (pas forcément)

Tristan Félix, Testicul

, Jean-Paul Gavard-Perret

Tristan Félix – artiste et poétesse polymorphe et polyphrène offre ici un traité de démonologie sans polystyrène.

La fiction se farcit de viande rouge mais tout n’est plus forcément bon pour la tripe. Le tout dans un haro pour la sauvegarde des oies blanches. A ces innocentes l’auteure apprend que donner des preuves d’amour câlines n’est qu’un alcalin et addictif sacrifice de soi à des « dragons en similicuir ». Il leur faut d’autres animaux pour les sauver.

Mais si souvent la femme est coupée du monde et rêve, la narratrice à l’inverse devient la survivante farcesque d’une peuplade perdue afin d’atteindre un temps pur qui n’appartiendrait qu’à elle. Tristan Félix se centre de facto sur la question de la femme instrumentalisée par son propre amour. Elle exprime aussi une réalité psychique qui vise bien à introduire une distance avec la passion que l’amant suscite.

Ce « témoignage d’amour selon Saint-Luc » (Cul ?) est non seulement le philtre mystérieux qui unit et sépare mais le filtre contre la réceptivité organisée, l’hospitalité féminine et les pactes sociaux. Ces derniers ne cessent de trier le mâle blé de l’ivraie femelle et ne peuvent accepter la liberté de « deuxième sexe ». Pour autant la (perverse ?) narratrice se fiche autant du néo-féminisme que du « wokisme ».

Mais un tel opuscule sort du jeu d’inhibition psychique et de la stupeur et passivité sexuelles consenties. Une lumière noire révèle le corps fantomatique. Le moi – écrit la narratrice – « qui m’étreint, que l’étreins, que tu étreins, que nous étrayons, que vous étrayez », s’il devient un gouffre ne servira plus de trou-madame aux verges cyprines des ogres orgiaques.

Existe en conséquence dans ce roman de chevalerie inversée l’élimination des basses besognes qui généralement vont bon train et arrière train pour celles qui s’y collent. Des éclats d’être s’envolent là où les belles de cas d’X deviennent des hirondelles qui doivent annoncer leur printemps. Si bien que le stupéfiant n’est plus forcément de stupre et de fornication.

Certes la femme parfois se sacrifie encore au bon vouloir des loustics mais ils finissent par être roulés dans la farine et frits dans la sueur et la graisse par l’énergie d’égéries qui déplacent les lignes de flottaison en des poêles forcément au poil mais pas forcément à poil.

Bref la féminine engeance fait tout son possible pour sortir de son labyrinthe et de partout suinte une « phytomorphose » là où les mâles plutôt que de s’allonger sur leurs proies se tiennent à carreau. Preuve que le corps féminin, à travers celui de la narratrice, peut parler une langue étrangère, extraordinairement mutique mais tout autant bavarde et pléthorique.

Tristan Félix laisse donc les Malcolm Lowry and co. à leurs élucubrations « sentimentiques » et sémantiques et préfère s’en tenir à un évangile où se dégage des vérités premières et les lieux de l’identité primitive loin de tout effet d’exotisme mâlin.

Jouant du sophisme et de la rhétorique, l’auteure crée tout un langage où flotte l’aile arrachée d’un goéland sur des balles de coton, des tas de charbon. Il s’agit de repartir de plus belle vers la vie en faisant abstraction du passé patriarcal et machiste. Il s’assombrit et s’assèche.

Tristan Felix le transforme et ne se contente pas d’en polir les épluchures. Toute une puissance iconoclaste suit et se prolonge selon une vision férocement extatique et drôle là où les vieilles images se métamorphosent. Les nouvelles brillent, alléchantes – mais plus forcément à lécher à moins que la narratrice autorise la venue moins intempestive que souhaité d’un dragon dans son donjon.

Tristan Félix, Testicul, coll Tinbad Roman, Tinbad, Paris, avril 2023, 88 p. 15 €.