samedi 1er avril 2023

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Pascal Boulanger : l’homme nu

, Jean-Paul Gavard-Perret

Dans ce qu’il nomme une « érotisation de la parole » les mots arpentent le paysage.

Pour trouver paix et sérénité depuis 2019 Pascal Boulanger a changé non de peau mais de lieu : preuve que l’« extime » du monde peut changer un homme : « je est un autre, je suis l’autre, celui qui vit près de la baie du Mont Saint-Michel, [...] échappant à l’injonction sociale et aux divers crachats sur l’asphalte des villes qui sont dorénavant sous l’œil de la surveillance et de la violence » écrit-il en préface de son livre.

Par fragments le poème en prose fait son chemin face aux beautés qui s’étendent, et pour les faire ressentir l’auteur nous place « face au spectacle des mots jouant le texte du monde et des choses qui le constituent ». Et ce pour atteindre leur énigme par la confrontation communiquante entre des mots et de paysage.

Dans ce qu’il nomme une « érotisation de la parole » les mots arpentent le paysage. S’en suivent diverses propositions et une suite d’aveux où, par exemple, Artaud victime de lui-même et d’une sorte de maladie de l’égo est remis à sa place eu égard à ce que Boulanger vient d’apprendre depuis son « exil » assumé.

Par sauts et gambades de telles vaticinations permettent de nous comprendre. Cela devient non une leçon mais un apprentissage. Et ce depuis le jour où la naissance de sa petite fille transforma l’existence de l’auteur plus que le plus beau poème surréaliste (d’Aragon) – mais qu’il ne renie pas pour autant.

Les considérations existentielles et littéraires se mixent afin de mettre à jour les « enchantements simples, dans la perpétuelle enfance du monde » soudain redécouverte. Dans ce but l’auteur n’hésite pas à donner la parole à ses paires : Bataille, Lautréamont, Pascal et bien d’autres.

Le tout pour mettre à mal le babil sentimental dont les Macron deviennent les parangons et pour le remplacer par les crétinismes pour mieux se tenir en soi et dans le monde. L’impertinence est ici forcément de rigueur mais n’est jamais gratuite. Preuve d’une attention soutenue à ce qui arrive dans la cérémonie du présent.

Sensible aux affres de l’époque, l’auteur fait sienne la quête de la beauté pour atteindre ou se rapprocher de la « poétique totalisante » et sa co-naissance de Claudel. Il devient dans cet espoir le promeneur solitaire des plages normandes. Là, il pense en marchant, et parle « dans un saisissement qui le dessaisit » pour devenir enfin qui il est.

Abandonnant le monde pour mieux le retrouver et s’éloigner des prêtres et dévots de toutes obédiences, il va dans l’écart et l’écartement : « ni père, ni laboureur, ni guerrier. Je suis seul et je ne suis pas seul au monde, je suis toutes choses en étant ni ceci, ni cela » : telle est la belle conclusion de celui qui pour mieux être au monde refuse de pactiser avec les bruits de la ville, les confinements et vaccinations farcesques et désolantes.

Il peut ainsi mettre à nu nos ratés et nos crédulités absurdes. Quant à la littérature, dans un tel cheminement, elle demeure une aide majeure pour peu que nous ne nous limitions pas à celle, frelatée, d’un post modernisme « wokiste ». Bref Boulanger offre des raisons d’espérer par sa fouille de nos coulisses et mettre corps et esprit à nu.

Pascal Boulanger, En bleu adorable, Tinbad, Paris, avril 2023, 90 p., 15 €.
https://www.editionstinbad.com