dimanche 6 novembre 2016

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Séoul Playstation mélancolique

Le premier roman inspiré par Séoul à un écrivain francophone, Jean-Louis Poitevin

, Jean-Louis Poitevin

Séoul Playstation mélancolique est le premier roman écrit en français dont l’action se déroule en Corée et qui au-delà de la trame narrative fait de Séoul le personnage central d’une méditation hallucinée.

L’histoire d’un photographe de guerre embauché pour un shooting de mode en Corée se trouve embarqué malgré lui dans la recherche d’œuvres volées d’Alechinsky. Aux prises avec sa propre mélancolie, suite à un trauma de guerre, il découvre la ville de Séoul accompagné d’une coréenne qui, elle, cherche à réaliser un film sur sa ville. Entre poursuites en escalator et errances sans but, le photographe et sa compagne dérivent dans Séoul qui devient ainsi pour la première fois dans un livre français le cadre et le personnage d’un roman post-historique.

Le chauffeur semblait s’amuser à frôler les bords de ces langues grises que forment les lacets de bitume et de béton aux armatures d’acier surplombant le port et lacérant l’écran géant du ciel sur lequel se joue sans fin la partition née de la diffraction des couleurs émises par les conteneurs entassés au-dessous. Plus loin, par instants, clignotements d’inox dans un magasin de foire, il y avait les reflets de la mer. Le trafic immobilisa la voiture, laissant le regard en surplomb au-dessus du vide d’où remontaient des vapeurs de vert et de rouge formant une sorte de halo tendance néon.

Je marche, je regarde, j’entends, j’absorbe. Mon corps absorbe. Mon cerveau absorbe. Je laisse s’épanouir en moi ces milliers de fleurs urbaines et sauvages qui explosent à chaque endroit, néons en plein jour, écrans aux dimensions de cataracte déversant leurs millions de litres de pixels sur des passants apparemment indifférents, recoins sombres entre deux tours, ouvrant des espaces minuscules servant d’abris aux passants, aux gargotiers, aux pauvres, éclats du ciel sur les parois de verre des immeubles, tout, autour de moi, bouge s’agite, en des variations constantes, lumineuses, colorées, plastiques. Ces images me traversent et s’effacent et me traversent encore et cet assaut permanent de piqûres colorées, je l’accueille jusqu’à l’extase.

On ne gagne pas contre une ville. Au mieux, on se fond en elle et on disparaît, homme des foules à l’existence précaire, capable de se démultiplier ou de s’effacer un moment des prompteurs de la surveillance en ligne en passant entre deux murs dans une zone de petites maisons, de ruelles décharnées peuplées de vélos morts, de carcasses de cartons, d’ombres d’hommes ivres et de spectres respectables qui tentent, sans doute en vain, de rassembler images, odeurs, trajets, visages, avant un improbable retour « at home » pour cause de mémoire sinistrée.

La nuit à Séoul, épuiser la nuit, s’épuiser dans la nuit et renaître au matin saisi par l’attente de revoir les néons enfin s’allumer.

Dans ce vieux quartier, l’aspect de cité radieuse interstellaire qu’a Séoul la nuit quand tout n’est plus que lumières clignotantes, messages interstitiels, propositions liminales, appels criards et aveux sans gloire ni scrupules, mais aussi désirs accaparants et feux d’artifices cosmiques, cet aspect qui vous fait non seulement croire mais pouvoir affirmer que vous êtes dans une ville plus infinie que toutes celles que le cinéma a inventées, cette impression s’estompe, disparaît même, au profit d’une autre remontant d’un passé sans doute révolu mais qui s’accroche à la mémoire comme aux angles des toits.

En passant chaque jour des immeubles crachant leur vanité à ces toits retroussés comme des jupes sages, j’avais perçu la puissance de cette dualité intérieure et profonde du schéma mental que la ville imprime en chacun. En me laissant avaler par ces ruelles, je choisissais temporairement un camp.

Les couleurs un peu bizarres de l’écran me faisaient parfois imaginer que l’action se passait plutôt à Dubaï qu’à Séoul, mais cela ne dura pas. La ligne du fleuve, la présence schématique du 63, les ondulations acérées des montagnes, la tour de télévision, le bloc noir du Grand Hyatt, le quadrillage du palais impérial, tous ces petits détails ne cessaient de nous rappeler que la ville de référence de cette ville miniaturisée pour les besoins du jeu, était bien Séoul.

Nous avons choisi la voie qui passe par les escalators et les escaliers. Nous sommes déjà devant la porte de la galerie. Elle est fermée. Nous frappons discrètement, puis plus fort. La responsable finit par venir nous ouvrir. Piang lui présente un papier signé de la main de la Présidente et indique que nous avons ordre d’emporter immédiatement l’ensemble de l’exposition. La Présidente ne l’a pas prévenue. Elle n’a pas à le faire. Nous l’attachons succinctement, l’enfermons dans son bureau et éloignons son téléphone. Il nous faut démonter à grande vitesse les cadres et en extraire dessins et lithographies. Les cutters crissent, les dessins glissent aisément. Nos mains s’agitent, des tas se forment, des rouleaux se préparent. Nous travaillons vite.

Dans la cave, par un travelling hoquetant, la caméra finit par montrer une chaise. Quelqu’un est assis sur la chaise. Attaché. La tête couverte d’un sac en toile de jute.
- Où sont les dessins ?
- De quels dessins parlez-vous ?
- Ne vous moquez pas de moi. Je n’ai pas de temps à perdre cher Monsieur Akka !
- Vous ne les avez donc pas trouvés ?

Avec une délicatesse inattendue, l’homme au chapeau a retiré le sac et la tête de Jiun est apparue, bâillonnée et en larmes.

Dans un coin, des toilettes d’un rouge magnolia. Accroupie, attachée bras dans le dos, muette offrande à un dieu barbare, Jiun. Son reflet se diffracte à l’infini cognant sans fin contre tous les miroirs. Pas de trace de blessure.
Les lumières se mettent à clignoter en tous sens. Akka tombe à genoux, sa tête cogne le sol.

Que se passe-t-il si je décide de ne pas rentrer ? Que se passe-t-il si je saute du taxi alors qu’il sera arrêté à un feu rouge ? Que se passe-t-il si je suis réellement séquestré ? Qui sait que je suis là ? Comment Piang pourrait-il faire pour me retrouver ? Que m’arrivera-t-il, si je crée un évènement supplémentaire dans cette trame invisible qui assure à l’ensemble de ma vie sa petite cohérence banale ?

Déjà des murs s’écrasent. Déjà des rues se plient. Déjà des quartiers sont anéantis. Déjà d’autres semblent ne devoir jamais être touchés par la danse lente des pieds blancs qui errent en dansant dans la ville de carton blanc, dans la ville sans nom, dans la ville qui est toutes les villes. C’est à l’évidence la ville qui se parle à elle-même dans la blancheur d’un rêve qu’elle n’osait pas avouer jusqu’ici.

Nombre de pages : 240 pages
Dimensions : 12 x 17 cm
Prix public : 15 000 wons/15 euros
Parution : 25 octobre 2016
Couverture couleur, texte NB, broché
EAN : 9791091555319

Première signature avant la sortie en librairie le dimanche 6 Novembre à 16 heures, sur le stand de la librairie Phénix, à la Mairie de IIe arrondissement de Paris dans le cadre du salon du livre asiatique http://www.asiedeslivres.org/