samedi 3 août 2019

Accueil > Les rubriques > Images > Miguel Chevalier à la Cathédrale de Rodez

Miguel Chevalier à la Cathédrale de Rodez

Digital supernova, un véritable ballet cosmique

, Miguel Chevalier et Pascal Pique

Miguel Chevalier a ouvert dès la fin des années 70 la voie d’un nouvel art de l’image, celui de l’image virtuelle avec l’utilisation de la programmation informatique et de la projection vidéo. Aujourd’hui, il est l’un des plus fameux représentants de cet art numérique et digital à dimension environnementale.

Digital Supernova est une installation de réalité virtuelle auto-générative spécialement conçue pour les voûtes de la Cathédrale de Rodez. 35 différentes trames de lumière colorées sous forme de réseaux sinueux se déploient les unes après les autres. Elles se superposent à d’étonnantes cartes du ciel où se mêle l’imaginaire et la science avec l’utilisation des données astrophysiques les plus récentes issues d’explosions lumineuses d’étoiles massives. Ces grands maillages se forment et se déforment, créant des univers diversifiés sans cesse renouvelés. Cette œuvre ouvre sur l’infini et nous plonge dans les mystères de la texture de l’univers. Elle dégage aussi une énergie rayonnante très particulière et bien réelle qui inaugure une nouvelle esthétique du virtuel à travers l’énergétique du numérique.

Dear World… Yours, Cambridge, Miguel Chevalier
2015 King’s College Chapel, Université de Cambridge (UK) Installation de réalité virtuelle générative Curateurs : Helen Marriage et Bill Gee / Artichoke Crédit Miguel Chevalier

Pascal Pique : Miguel vous êtes l’un des grands pionniers de l’art numérique et digital. Avec Digital Supernova pour la cathédrale de Rodez vous signez une œuvre magnifique, qui est aussi l’une des plus monumentales et spectaculaires que vous ayez faite. Comment vous est venue l’idée et surtout la vision de ce véritable ballet cosmique ?

Miguel Chevalier : S’affronter à un tel espace ne s’improvise pas. Digital Supernova est le fruit d’expériences tirées de différentes installations que j’ai pu réaliser dans des lieux patrimoniaux d’exception.

En 2015, j’ai eu la chance de monter un projet à la cathédrale et abbatiale de Durham dans le nord de l’Angleterre où j’ai pu me confronter à ce type de bâtiment. Jusque là, j’avais imaginé mes installations projetées au mur, à la verticale, et au sol, à l’horizontale, mais jamais je n’en avais réalisées au plafond. À Durham, on m’avait d’abord invité à investir l’espace au sol, mais la hauteur intérieure était tellement incroyable que j’ai proposé d’intervenir sur toute la nef centrale. Avec l’architecture gothique, le regard est d’entrée attiré vers la nef, car ce qui fait la force de tels lieux, c’est leur élévation et leur lien à la spiritualité.

La même année, j’ai eu également un projet à la King’s College Chapel de Cambridge, une chapelle de style gothique flamboyant avec une longueur intérieure de 88 mètres et une hauteur de 24 mètres. La direction de l’université de Cambridge m’a demandé de créer une œuvre inédite avec une dimension immersive, pour accompagner le discours du grand astrophysicien Stephen Hawking.

De là est née l’idée pour Nuit Blanche 2016, le projet Voûtes Célestes présenté sur la nef centrale de l’église Saint-Eustache à Paris.

Pour la cathédrale de Rodez, la commande initiale était d’imaginer un projet à l’extérieur, sur la façade arrière pour l’ouvrir à tous les publics. Pour moi, le mapping sur façade est devenu très banal, toutes les fêtes des lumières en France et à l’étranger refont exactement les mêmes choses. J’ai donc proposé d’intervenir à l’intérieur de la cathédrale, dans cet espace hors normes qu’est la nef et la croisée du transept.

Chaque bâtiment a sa spécificité et on ne peut pas faire n’importe quoi dans un tel bâtiment de culte chargé d’histoire. Je travaille sur l’originalité du lieu pour apporter à chaque fois un contenu propre à créer ce type de « ballet cosmique ». Enfin, tout le monde peut ressentir la physicalité de l’édifice à l’extérieur et à l’intérieur, indépendamment de ses convictions. Pour moi, il est important que l’œuvre dialogue avec l’architecture, fasse sens avec le lieu.

Digital Supernova 2019, Miguel Chevalier
Installation numérique générative Manifestation dans le cadre de IN SITU Patrimoine et art contemporain Cathédrale Notre-Dame de Rodez (France) Logiciels : Cyrille Henry / Antoine Villeret Crédit Miguel Chevalier

PP : Vous trouez littéralement, virtuellement bien entendu, le plafond de la cathédrale de Rodez que vous embrasez avec les projections vidéo. Comment vous positionnez-vous par rapport au monument que vous prenez ainsi à bras le corps dans une sorte d’étreinte artistique et lumineuse ?

MC : En effet, il y a une forme d’étreinte. Ceci dit, elle n’est pas vraiment érotique. Ce que je trouve intéressant aujourd’hui dans le champ du virtuel, de la lumière et de la projection vidéo, c’est que l’on peut métamorphoser le rapport à l’espace. Il y a une magie qui opère dans ce lieu de culte qui devient un réceptacle. Je m’imagine celui qui rentrait dans une cathédrale au XIIe / XIIIe siècle, baignée par la lumière des rosaces. On entrait alors un peu comme dans le film « Rencontre du troisième type ». Il faut dire que j’ai une relation particulière avec les chapelles, les églises romanes, les monastères et les cathédrales gothiques. Mon père était un chartiste passionné d’architecture entre autres romanes et gothiques. Durant les vacances il m’a fait voyager avec ma mère et mes frères dans toute la France et en Espagne pour notamment visiter les cathédrales. On comparait leurs hauteurs, leurs nefs, leurs porches et les caractéristiques de tous ces bâtiments entre eux... J’ai donc un rapport très fort à cette architecture gothique en particulier.

Digital Supernova 2019, Miguel Chevalier
Installation numérique générative, Manifestation dans le cadre de IN SITU Patrimoine et art contemporain, Cathédrale Notre-Dame de Rodez (France), Logiciels : Cyrille Henry / Antoine Villeret, Crédit Miguel Chevalier

PP : Pour ma part, je trouve que vous réactivez la fonction première de la cathédrale. En tant qu’objet architectural, elle a été conçue comme une sorte de machine qui permet de capter et de redistribuer les énergies à la fois célestes et terrestres. D’où l’idée du monument comme collecteur. On emploie même le terme de vaisseau spatial dans la mesure où il permet de se projeter dans les dimensions célestes. Vous êtes vous inspiré de ces particularités de l’histoire de l’art avec laquelle vous aimez parfois faire jonction ?

MC : Oui c’est vrai. Pour moi le gothique est en quelque sorte le high tech de la pierre. Il est à la fois l’invention de l’ogive et des arcs boutants, ce qui a permis de construire des édifices plus hauts et plus vastes, tout en réduisant l’épaisseur des murs. A l’époque romane, on ne savait pas encore bien canaliser la poussée des forces sur quatre piliers. Ces innovations ont permis d’avoir des ouvertures beaucoup plus grandes, de faire entrer la lumière et enfin d’introduire le vitrail et les rosaces.

La lumière du vitrail est apaisante et propice à la méditation, car elle projette des couleurs chatoyantes au sol et sur les murs. Elle permettait de canaliser la pensée vers un au-delà et une forme de spiritualité. Avec l’art numérique, je réactive la notion de lumière et de couleur introduite par les vitraux. Il y a une sorte de fusion et un pont qui se crée entre ce que j’appelle le high tech de la pierre et le high tech de la technologie. En fait, j’essaye ici de faire entrer en résonance les technologies numériques avec ce qui structure l’édifice.

Par exemple les arcs d’ogive ont un côté très nervuré que l’on retrouve dans l’installation Digital Supernova avec cette esthétique wire frame ou cette trame filaire emprunté à la modélisation 3D. L’œuvre est à percevoir comme un squelette virtuel qui souligne et met en exergue les arcs d’ogives et les voûtes. Cela crée des trompe-l’œil surprenants qui soulignent et à la fois amplifient cette architecture tout en tant lui donnant une impression de légèreté.

Rosace de la Cathédrale de Rodez

PP : Cette dimension du vitrail est importante. On parle même d’une alchimie des couleurs et de la lumière qui avait une fonction particulière de mise en connexion. Ce dont on a perdu le secret depuis. Est-ce à dire que le numérique peut nous aider à retrouver cela ?

MC : Oui je crois que les technologies numériques permettent de renouer avec de nombreux éléments de la culture et de l’histoire de l’art, et notamment avec la dimension du vitrail, mais aussi avec d’autres éléments de l’architecture comme c’est le cas avec l’installation Tapis Magiques que j’ai réalisée en 2014 sur le sol de l’ancienne église de Casablanca, magnifique édifice des années 30. J’y ai ré-activé l’idée des contes des Mille et Une Nuits, notamment l’imaginaire du tapis volant, le tout établissant un pont inédit entre la mosaïque et le pixel : les mosaïques faisant partie du rapport à l’architecture, sont en quelque sorte une préfiguration du pixel.

Cette ancienne église que j’ai investie était un lieu désaffecté qui n’avait plus de fonction religieuse. Ce qui n’est pas le cas de la cathédrale Notre-Dame de Rodez. C’est pourquoi comme à Durham, je laisserai les chaises dans la nef, pour que les gens puissent s’assoir, non pas face à un prêche ou à une homélie, mais pour lever les yeux vers une œuvre en couleur et en forme qui ouvre sur l’infini, qui crée des cartes imaginaires du ciel. Avec cette notion d’élévation, cette œuvre virtuelle est de nature à créer l’émerveillement comme pour ceux qui entraient dans les cathédrales au XIIe siècle et découvraient les grandes rosaces et les vitraux. Tout cela a été pensé pour nous amener à nous surpasser, à nous élever pour prendre conscience d’un au-delà.

PP : À travers l’image de la cathédrale comme capteur d’énergie, telle qu’elle aurait été conçue originellement il y a l’idée que les bâtisseurs ont travaillé avec la matière des ondes et des fréquences de la lumière, de la pierre, du bois, de l’eau etc. Ce que les publics de l’époque ressentaient en venant littéralement se ressourcer dans l’édifice. Probablement sur la base de perceptions énergétiques que nous avons sans doute perdues ou inhibées pour la plupart d’entre nous. N’est-il pas troublant de voir que 8 ou 9 siècle plus tard, à travers votre projet qui travaille aussi les ondes et les fréquences grâce au numérique on retrouve quelque chose de ces sensations ?

MC : J’ai déjà parlé de mon père. Il nous disait une chose importante, qu’il fallait non seulement voir et regarder, mais aussi ressentir ces espaces et ces architectures. C’est ce que j’ai fait très tôt avec lui. J’ai pu ensuite en faire l’expérience au Mexique sur des sites préhispaniques, mon père étant l’un des grands historiens spécialiste de l’Amérique latine. Il est vrai que l’on a des sensations de physicalitè par l’architecture qui nous conditionne comme par exemple la monumentalité du site Teotihuacan. C’est pour cela que je suis attiré par les espaces architecturaux. Aussi bien les espaces construits que les espaces naturels comme les grottes…

Le virtuel, à travers la notion d’immersion, a la capacité de créer la sensation d’être enveloppé par l’image et permet de révéler autrement des bâtiments que l’on voit habituellement dans leur historicité et leur patrimonialité. Il élargit les lieux possibles de monstration de l’art contemporain et permet de toucher ainsi un public qui ne va pas forcément dans les musées ou les centres d’art. J’aime créer ces télescopages entre sacré et profane, qui sont autant de passages entre le type de créations que je réalise, l’espace dans lequel je suis et la rencontre avec les personnes amenées à voir ce type de création contemporaine.

Digital Supernova 2019, Miguel Chevalier
Installation numérique générative, Manifestation dans le cadre de IN SITU Patrimoine et art contemporain, Cathédrale Notre-Dame de Rodez (France), Logiciels : Cyrille Henry / Antoine Villeret, Crédit Miguel Chevalier

PP : Que faites vous de la dimension spirituelle du monument avec laquelle vous entrez en résonance ? Il y a aussi la spiritualité des plans célestes et cosmiques auxquels vous renvoyez et qui peut déborder toute notion de religion ou de croyance.

MC : Il est vrai que l’on ne peut pas projeter n’importe quoi dans un lieu de culte tel une cathédrale. Il faut prendre en compte les différentes dimensions du lieu et ses spécificités. Pour autant, je ne suis pas là pour mettre en exergue la chrétienté, ni une quelconque autre religion.

Pour moi la spiritualité est propre à chacun. Atteindre une dimension spirituelle, c’est une recherche d’intériorité, une connaissance de soi, un dépassement des limitations de notre condition humaine, mais aussi une quête de sens… Certes cette création est présentée dans un espace catholique mais elle s’adresse à tout le monde, de quelque confession que l’on soit, athée ou simple curieux. Je pense que ce qui est important dans ce type d’intervention artistique est qu’elle nous questionne par rapport à notre être, à notre relation au monde, indépendamment de toute religion ou de toute croyance. C’est peut-être aussi ce qui fait le succès de certaines de mes installations, que l’on soit initié ou pas à l’histoire de l’art, à la création contemporaine ou à une religion quelconque : chacun peut l’apprécier à différents degrés, que ce soit par l’émerveillement, la contemplation, voire un questionnement sur les mystères de l’univers. Ici on ressent que l’on est sur Terre à une échelle qui n’a rien à voir avec celle des galaxies. C’est vers quoi j’essaye de tendre car il faut rester modeste. L’art que je développe avec les outils d’aujourd’hui est de nature à rejoindre d’autres types de créations d’artistes qui travaillent notamment avec la lumière et sont source d’émotions.

PP : Il y a aussi la dimension de la lumière. Les supernovas sont de véritables explosions pourvoyeuses de lumière. Une lumière dont la compréhension et la définition échappe toujours au monde scientifique. On ne sait toujours pas ce qu’est la lumière exactement. Alors que vous êtes, si je puis dire, un grand pratiquant de la lumière à travers les images et les couleurs que vous projetez depuis des années en les faisant interagir avec le visiteur, comment voyez-vous et ressentez vous la lumière ?

MC : Sur ce projet, je travaille avec Fabio Acero qui est astrophysicien à Saclay et qui a beaucoup collaboré avec la Nasa. Il travaille en particulier sur les vestiges des supernovas, les nébuleuses et les pulsars. Car les supernovas sont très rares, il n’est pas évident de capter ces explosions. En revanche, on peut observer leurs traces ou leurs vestiges qui restent dans l’espace. Fabio m’a donné accès à une série de documents inédits, de simulations ou autres que j’ai associés aux structures filaires pour les développer et les projeter sur les nervures des structures d’ogives. J’ai donc pu travailler sur une documentation étonnante, qui est la matière même avec laquelle les astrophysiciens tentent d’élucider ces phénomènes. C’est un peu un travail entre art et science. Fabio participe également au projet d’un réseau de 100 télescopes situés sur la planète qui vont se rassembler pour collecter des données. Notamment en étudiant les phénomènes de haute énergie. Je ne suis pas scientifique mais cette œuvre a une dimension particulière dans le sens où elle va aussi retranscrire les éléments que les astrophysiciens les plus pointus utilisent aujourd’hui.

Une supernova est l’explosion d’une étoile en fin de vie qui voit sa luminosité augmenter de façon gigantesque, dépassant celle d’une galaxie entière. Cassiopée A, est le vestige d’une supernova agée de près de 330 ans. L’une des plus brillantes dans le ciel de la constellation de Cassiopée.

PP : Les dimensions énergétiques liées aux œuvres d’art, que l’on connaît encore assez mal et qui restent un sujet peu abordé semblent vous intéresser. Vous dites que « l’installation dégage une énergie rayonnante dans cet espace de plénitude ». Quelles sont les énergies que vous avez convoquées et que vous restituez ici ?

MC : En fait je crée cette énergie rayonnante à partir d’un logiciel sur mesure élaboré avec l’informaticien Cyrille Henry et Nicolas Gaudelet. Ce logiciel configuré à la taille de l’espace me permet de composer des tableaux successifs qui se mêlent les uns aux autres, cette première énergie étant renforcée par une seconde énergie qui est la musique. En effet, j’ai sollicité deux organistes, Frédéric Deschamps et Adam Bernadac, qui créent des performances musicales jouées en direct pour accompagner mes images. Il y ainsi la présence de la musique, de l’orgue, non pas dans un processus d’interprétation, mais dans celui d’un surgissement inspiré par les projections. L’idée est donc de créer une double sensation par les yeux et par l’ouïe, une sorte de fusion de nature émotionnelle. Frédéric Deschamps et Adam Bernadac sont des virtuoses qui vont participer à une véritable synesthésie. Nous avons travaillé plusieurs jours ensemble et il y a une part de défi dans tout cela. Même si les improvisations sont travaillées en amont tout n’est pas programmé…

Dear World… Yours, Cambridge, Miguel Chevalier, 2015
King’s College Chapel, Université de Cambridge (UK), Installation de réalité virtuelle générative, Curateurs : Helen Marriage et Bill Gee / Artichoke, Crédit Miguel Chevalier

PP : On connaît mieux la question de l’énergie des couleurs qui ont des longueurs d’ondes et qui produisent des vibrations pouvant agir sur les plans émotionnels et physiologiques. Est-ce que ces questions vous intéressent et sont-elles agissantes dans votre travail de lumière-couleur ?

MC : Absolument, cette question des vibrations qui agissent sur les plans émotionnels et physiologiques m’intéresse tout à fait. Déjà par le biais de certains artistes comme Georges Seurat qui a créé le mouvement pointilliste à la fin du XIXe siècle. Il a intégré ces questions dans sa peinture en s’intéressant aux théories de Chevreul avec ces cercles chromatiques et la loi des contrastes simultanés. Les artistes du mouvement pointilliste, lié à l’impressionnisme, avaient déjà compris que la juxtaposition de points de couleur crée, selon la distance de perception, à la fois des formes et des espaces. Ces artistes sont pour moi une préfiguration du tube cathodique, qui produit aussi des formes énergisantes montrant qu’il y a une dimension dynamique et vitale dans la lumière et la couleur. Plus tard, a été créé le mouvement du rayonnisme avec les artistes Mikhaïl Larionov et Natalia Gontcharova, qui ont créé une peinture abstraite rendant visible en peinture des sortes de vibrations en s’inspirant de l’énergie-matière et de la radioactivité. La notion d’énergie de ces artistes m’inspire beaucoup parce qu’ils ont travaillé sur des bases de formes spatiales en essayant de traduire la notion de rayonnement, de réflexion. Je suis peut-être entre le rayonnisme ou l’orphisme de Robert et Sonia Delaunay qui voulaient aussi rayonner par leurs disques de couleur-lumière. On rejoint ici la notion de rosace et on retrouve la circularité. La rosace est à la fois une dentelle de pierre et un système de filtres en verre coloré que traverse la lumière. De ce fait, dès que les rayons du soleil les transpercent, on obtient des couleurs très intenses qui irradient l’espace, à la manière de diapositives géantes littéralement projetées au sol. C’est aussi ce qui me plait dans la possibilité de projeter de la lumière à l’aide de vidéoprojecteurs. Sauf que je le fais sans soleil puisque cette œuvre ne fonctionnera que la nuit dans une artificialité la plus totale.

Complex Meshes 2015, Miguel Chevalier
Installation de réalité virtuelle générative et interactive, Festival Lumiere, Cathédrale de Durham (UK), Commissaire : Helen Marriage / Artichoke, Logiciel : Cyrille Henry / Antoine Villeret, Crédit Miguel Chevalier

PP : Il y a aussi l’énergétique de la respiration. Vous parlez de respiration du cosmos avec lequel votre œuvre nous met en connexion. Comment avez vous perçu cette respiration et à travers quels outils la restituez vous ?

MC : Je pense à la respiration des premiers hommes préhistoriques qui soufflaient les pigments sur la paroi et laissaient les traces de leurs mains. Ce rapport au souffle m’intéresse beaucoup. Certes je ne souffle pas, mais l’ordinateur crée une sorte de respiration des images que l’on peut travailler. Les images ont la possibilité de se dilater et de se contracter et du coup de créer cet effet de respiration projeté sur les voûtes. Ce qui va faire respirer littéralement le bâtiment avec les effets de contraction/dilatation qui donnent la sensation d’un mouvement d’inspiration/expiration, une forme de vie.

Cela fait partie des éléments sur lesquels je travaille : on peut compresser l’image mais aussi l’agrandir, l’étirer pour voir des pixels s’allonger à l’échelle de 90 mètres de long dans la cathédrale. Cela donne leur force aux images. C’est aussi ce sur quoi nous avons travaillé ensemble avec les organistes, pour qu’ils puissent, avec cet instrument, donner un maximum de puissance ou de souffle, puis d’aspiration. Dans le cosmos on retrouve cette respiration avec les supernovas qui donnent la sensation d’un souffle ou d’une expiration géante suivie d’une dispersion. C’est exactement ce qu’étudie Fabio Acero à travers les vestiges de ces événements. Il y a un effet waouh de l’explosion de la supernova qui est particulièrement intense. Et ensuite une déperdition qui va vers un essoufflement des choses.

Complex Meshes 2015, Miguel Chevalier
Installation de réalité virtuelle générative et interactive, Festival Lumiere, Cathédrale de Durham (UK), Commissaire : Helen Marriage / Artichoke, Logiciel : Cyrille Henry / Antoine Villeret, Crédit Miguel Chevalier

PP : Vous parlez également d’une « nouvelle esthétique du virtuel » qui est proposée ici. Mais est-ce que paradoxalement, le virtuel dont vous parlez, n’est pas plus réel que l’on pourrait le penser ? Notamment à travers les énergies, les flux et les fréquences invisibles qui nous entourent, et dans lesquelles nous baignons. Ce que vous rendez visibles et tangibles.

MC : L’esthétique du virtuel est un choix et un parti pris. Avec l’ordinateur, on a un variateur de lumière, contrairement à la vidéo qui a une importante déperdition de la couleur. Là on produit des couleurs pures, les couleurs mêmes de la lumière, des rouges, des verts ou des bleus très intenses. Cela crée une colorimétrie particulière, notamment avec les nouveaux projecteurs laser qui donnent des intensités proches de la fluorescence. Les outils numériques gênèrent une esthétique très spécifique qu’il est difficile de retranscrire en peinture, en photo ou en vidéo. C’est aussi une esthétique en mouvement et en dynamique. Le virtuel permet de rendre presque palpables des choses qui ne le sont pas, comme les flux ou les énergies.

Enfin avec les imprimantes 3D, on peut matérialiser le virtuel, y compris les algorithmes. Mais nous ne sommes pas exactement sur ce registre à Rodez. Je dirais que la cathédrale est un écrin ou un écran qui permet de visualiser cela. La voûte de la cathédrale arrête et réverbère ces flux d’ondes et ces fréquences de lumière qu’elle nous restitue. Du coup ces univers sont visibles, perceptibles et tangibles.

Complex Meshes 2015, Miguel Chevalier
Installation de réalité virtuelle générative et interactive, Festival Lumiere, Cathédrale de Durham (UK), Commissaire : Helen Marriage / Artichoke, Logiciel : Cyrille Henry / Antoine Villeret, Crédit Miguel Chevalier

PP : N’est-ce pas cela l’avenir du virtuel ? Devenir bien réel ou plus que réel grâce aux développements énergétiques que permettent le numérique ? Parmi ses applications futures, on commence à parler d’une médecine et une médication numérique par l’utilisation des fréquences de certaines molécules qui pourraient être numérisées. Votre art est intimement lié aux fréquences et aux ondes. Est-ce que c’est une dimension qui vous touche et peux t-on dire que vos œuvres entretiennent, ou soignent quelque chose de ce monde ?

MC : Aujourd’hui on peut créer des formes de vie artificielle. J’ai appliqué ces recherches pour développer plusieurs œuvres sur le thème de la nature, différentes générations de plantes et des fleurs virtuelles capable de créer des jardins de lumière. Ces œuvres auto-génératives se transforment au fur et à mesure du temps, ce qui ouvre des perspectives nouvelles, impossibles avec des médiums plus traditionnels. Aujourd’hui les puissances de calcul des ordinateurs, grâce aux nouvelles cartes graphiques, permettent de créer des univers de synthèse qui travaillent justement la lumière en la faisant évoluer.

Dans le cadre de certaines de mes œuvres ou installations, j’ai pu constater par exemple aux Galeries Lafayette, dans ce temple de la consommation, il y a un espace d’exposition temporaire La galerie des galeries où j’ai exposé en 2007. Dans cet espace j’avais projeté sur tous les murs mes Sur-Natures, pour créer une véritable immersion dans un jardin virtuel entièrement rouge génératif et interactif, les visiteurs qui venaient, certains par hasard, rester pour la plupart très longtemps dans cette installation parfois plus d’une heure voire beaucoup plus. Ces visiteurs m’ont expliqué qu’ils se sentaient particulièrement bien, c’était pour eux comme dans un espace de plénitude, de relaxation et d’apaisement…

La responsable de l’espace et moi même nous nous sommes demandés si certaines configurations comme celle que j’avais crée en rythme et en couleurs n’avaient-elles pas des effets bénéfiques d’un point de vue neurologique ou autre sur le mental de chacune de ces personnes ? Il faudrait étudier cela scientifiquement pour comprendre mieux ces phénomènes. L’expérience de cette création artistique de réalité virtuelle m’a fait prendre conscience, qu’une nouvelle forme de thérapie par ces technologies numériques était possible avec le public.

Complex Meshes 2015, Miguel Chevalier
Installation de réalité virtuelle générative et interactive, Festival Lumiere, Cathédrale de Durham (UK), Commissaire : Helen Marriage / Artichoke, Logiciel : Cyrille Henry / Antoine Villeret, Crédit Miguel Chevalier

IN SITU Patrimoine et art contemporain - 2019
21 juin > 29 septembre 2019

Cathédrale Notre-dame – Rodez
Horaires d’ouverture : Du 8 au 18 août — De 20h30 à 22h30

https://patrimoineetartcontemporain.com/

Illustration couverture : Digital Supernova 2019, Miguel Chevalier, Installation numérique générative, Manifestation dans le cadre de IN SITU Patrimoine et art contemporain, Cathédrale Notre-Dame de Rodez (France), Logiciels : Cyrille Henry / Antoine Villeret, Crédit Miguel Chevalier