vendredi 1er décembre 2023

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Ça marche

Marcher c’est résister

Nicolas Frémiot

, Nicolas Frémiot

Depuis plus de trente ans, le photographe Nicolas Frémiot traverse à pied les paysages, pour mieux aller à leur rencontre, s’en imprégner, les saisir et les restituer avec son regard. Une démarche qui s’inscrit dans la lignée d’artistes tels que Hamish Fulton, Richard Long ou le groupe Stalker qui créent des œuvres grâce et à partir de leurs déplacements dans la nature ou en milieu urbain.

Nicolas Frémiot, Pierres levées

« Je veux aller à pied à travers les paysages. En tant que tels, ils n’existent pas. Ils sont d’abord des perceptions et le fruit de l’intervention de l’homme. Et trop souvent, nous nous contentons de les faire défiler à toute vitesse, ils sont immédiatement consommés. Combien de territoires, de « pays » sommes-nous conduits, en effet, à traverser en bus, en R.E.R, en tram, en train, en voiture ? Y sommes-nous vraiment et que voyons-nous ?

Nicolas Frémiot, Traversée, E4, Chailly-en-Brie, 2012

Au lieu d’habiter le monde, nous finissons par habiter des lieux fonctionnels : voitures, immeubles, bureaux, centres commerciaux… A tel point que « le corps n’est plus qu’un paquet en transit, un pion bougé de case en case ; il ne se meut pas, il est mu » pour citer Rebecca Solnit (L’art de marcher, Collection Babel, éd. Actes Sud, 2004).

Photographe depuis le milieu des années 1980, je me suis, dans une première période, attaché au portrait, pour questionner les rapports sociaux.
C’est en 1991 que je débute mes déambulations insulaires en Bretagne. Depuis, mes pas ont traversé l’Islande, l’île de la Réunion, les Shetland, les Hébrides, la Corse, l’Irlande...

Nicolas Frémiot, La Réunion 1992 (à gauche), Islande 1994 (à droite)

À partir de 2004, conjointement aux marches iliennes, j’ai entrepris de construire des parcours continentaux, pour traverser la diversité du territoire français, en poursuivant une recherche artistique sur la perception du paysage quotidien.

Nicolas Frémiot, Mille-Vaches, Eymoutiers, 2009

En 2019, à l’arrivée du Covid et avec le confinement, Il m’a fallu absolument trouver une solution pour ne pas sombrer. J’ai pris mes pieds et mon appareil photo, et fidèle à ma De(s)Marche(s) je suis parti arpenter l’espace parisien. J’ai décortiqué mon périmètre de survie, inspiré par mes lectures de Georges Perec (notamment Espèces d’espaces) et Penser/Classer) et de Marie-José Mondzain avec Confiscation - Des mots, des images et du temps (en particulier sur la notion de « saxifrage »), mais aussi par le film Smoke de Wayne Wang, dans lequel le personnage de Auggie a réuni plus de 4000 clichés de sa boutique pris chaque jour au même endroit et à la même heure.

Chaque jour, j’ai ainsi photographié :

  1.  
    - la vue depuis la fenêtre de mon atelier pendant quinze minutes,
    - trois végétaux de ma terrasse afin de suivre leurs éclosions,
    - toutes les rues de mon périmètre de survie pendant une heure,
    - mes voisins proches et lointains,
    - la frontière des 1 kilomètre, représentant ainsi vingt-neuf « check-points » virtuels, en photographiant les quatre points cardinaux, le ciel, le sol avec mes pieds et la rue de mon atelier.
Nicolas Frémiot, Confinement, j103, frontières, 1 km, 2021

Je construis des parcours photographiques, prosaïques, sonores et cinématographiques en partant à la rencontre des paysages et de ses habitants.
Ma DÉ(s)MARCHE(S) continentale s’articule sur une dimension centrale, celle de l’autre. J’implique activement, à divers niveaux et sous diverses formes, les personnes habitant les régions que je traverse. Comment prétendre accéder à la découverte-perception d’un paysage-territoire sans la rencontre avec ceux qui le façonnent et l’habitent ? À chaque étape, je suis hébergé chez l’habitant·e, d’autres viennent marcher avec moi.

Par ailleurs, et puisque marcher c’est être en prise avec l’imprévu, des rencontres, des surprises, des évènements, des contacts fugitifs, des conversations, des regards se sont noués lors de mon passage, à l’improviste. La présence parfois d’un collègue cameraman et d’un preneur de son permet de porter un regard singulier sur ces événements. Au moment de la « monstration », un échange se fait de regard neuf à regard renouvelé… peut-être ?

« Marcher-Créer-Résister », c’est aussi pour moi un regard sur les lieux où vivent et travaillent les gens, une manière de questionner la construction des territoires, l’effacement des frontières historiques qui séparaient jadis les métropoles de ses banlieues. C’est un propos anti-carte postale et anti-mythologique qui va à l’encontre de la communication dont nous abreuvent continuellement les institutions diverses et variées à propos des métropolisations et de la densification urbaine. »

Nicolas Frémiot, Traversee-face-nord-Bobigny, par Claude Rambaud

 

 

Traversée face nord, création sonore Fred Marty
 

PROCHAINEMENT, en 2024 :
Exposition « Traversée, face nord » à Coulommiers, Gonesse, Paris, Gennevilliers, Nanterre.

DERNIÈRES ACTUALITÉS, 2023 :
Marche Arthur Batut réalisée en octobre 2023. Trente jours de marche à travers le Tarn, l’Aude et les Pyrénées-Orientales sur les traces du photographe Arthur Batut. Un projet en collaboration avec l’association Lumière d’Encre à Céret et le musée Batut à Labruguière.

EDITIONS, sélection :
« Traversée », Ed. galerie Jean Collet de Vitry-sur-Seine, 2013. « Résidences », Ed. Poursuite, 2012. « Artoismarche », Ed. Poursuite, 2011. « La ligne acadienne, traces d’un photographe marcheur », Ed. Centre d’art de Châtellerault. « Vagabondages », Ed. Trans Photographic Press, 2007. « G.R.P N°2 », La collection Choisy, Ed. Ville de Choisy-le-Roi, 2006. « Paysages zone de l’esprit », Ed. Galerie d’essai d’Arles / dotation photo service, 1994.

© Nicolas Frémiot, La marche du Mantois, E2, Grès blanc, Gargenville, 2015